Question de Mme BEAUFILS Marie-France (Indre-et-Loire - CRC) publiée le 02/10/2014

Mme Marie-France Beaufils attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice sur l'avenir des études de notaires.

Elle constate que les notaires sont reconnus par l'ordonnance du 2 novembre 1945 comme des officiers publics. Elle rappelle qu'ils assurent une mission de service public, qu'ils appliquent des tarifs réglementés, qu'ils garantissent la sécurité juridique des actes notariés, en même temps qu'ils collectent 24 milliards d'impôts, sans aucun frais pour l'État.

Elle précise la position de la Cour de justice de l'Union européenne soutenant que « les activités notariales poursuivent des objectifs d'intérêt général qui permettent de justifier des restrictions à la liberté d'établissement » et signale que la spécificité du notariat a été rappelée dans le cadre de la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005. Elle se félicite que ces arguments aient été défendus en mars 2014 par le ministère de la justice, montrant ainsi l'attachement du Gouvernement à la réglementation notariale.

Elle lui demande pourquoi cette profession est stigmatisée aujourd'hui et pourquoi des annonces d'ouverture à la concurrence sont envisagées. Elle lui demande si ont été examinées les voies permettant de ne pas donner suite à ces projets qui n'auraient pour conséquence que l'affaiblissement de la puissance publique dans des territoires déjà fortement impactés et des conséquences néfastes pour les plus modestes de nos concitoyens.

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Réponse du Secrétariat d'État, auprès du ministère des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger publiée le 15/10/2014

Réponse apportée en séance publique le 14/10/2014

Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les notaires que j'ai rencontrés dernièrement à Château-Renault, sont très inquiets, mais également extrêmement déterminés. Rapport de l'Inspection générale des finances, fuites dans la presse, déclarations ministérielles contradictoires : tout cela n'est pas fait pour les rassurer.

Les notaires ont conscience d'être la cible de tous ceux qui souhaitent la déréglementation de leur profession, voire sa disparition. Surtout, ils ne comprennent pas que ce soit le gouvernement actuel qui soit à l'origine de cette campagne.

Les notaires, en effet, ne méritent pas les caricatures entendues ces derniers temps visant à les stigmatiser. Je rappelle qu'ils ont collecté, en 2013, 22 milliards d'euros de recettes fiscales à titre gratuit pour l'État. Ce sont des officiers publics assurant une mission de service public, appliquant des tarifs réglementés, les mêmes sur tout le territoire.

La sécurité des actes notariés représente une garantie forte pour l'ensemble de nos concitoyens, notamment pour les plus faibles d'entre eux.

Un ministre a annoncé en août que 6 milliards d'euros de pouvoir d'achat pourraient être restitués aux Français en déréglementant la profession. Or son successeur a déclaré en septembre qu'il était illusoire de penser qu'une telle réforme rendrait 6 milliards de pouvoir d'achat aux Français. Qui croire ?

Regardons de près ce qui s'est passé aux Pays-Bas. En libéralisant les tarifs voilà douze ans, les Néerlandais ont provoqué une hausse de 70 % du coût des actes notariés, ce qui a accru l'inégalité d'accès au service public notarial. Où est donc l'intérêt économique d'un tel bouleversement ?

Le président du Conseil national du notariat soulignait en mai dernier : « Ce n'est pas parce qu'il y aura plus de concurrence entre notaires qu'il y aura plus d'achats immobiliers ou plus de successions à régler ! Cela n'aura aucun impact sur le PIB. »

Si ce projet n'a aucune conséquence, ni sur le pouvoir d'achat ni sur le PIB, en quoi pourrait-il être utile ? La seule solution raisonnable me semble donc son retrait immédiat. En effet, sa mise en œuvre porterait atteinte à notre modèle social républicain déjà fortement attaqué.

Une libre installation « sauvage »entraînerait une dégradation de la sécurité juridique et une remise en cause de la garantie collective. Par ailleurs, l'entrée de capitaux étrangers dans leurs études par l'intermédiaire des banques, des compagnies d'assurance ou d'autres investisseurs, conduira inéluctablement à une perte d'indépendance, ainsi qu'à la disparition des petites structures.

Une telle réforme signera le recul non seulement de la présence de la puissance publique dans des territoires aujourd'hui très affectés par la disparition de services publics comme La Poste ou encore les trésoreries, mais aussi de l'accès au droit pour nombre de nos concitoyens, à l'image de ce qui s'est passé avec la fermeture de tribunaux. Et cela, nous ne pouvons l'accepter !

La défense de l'accès au droit, la préservation de la mission de service public des notaires et la sécurité juridique sont autant de principes chers à Mme Taubira, ministre de la justice. Je me félicite qu'elle les ait défendus à maintes reprises, montrant ainsi son attachement à la réglementation notariale. Devant le congrès des notaires qui se tenait à Lyon en juin 2013, elle disait à propos de la directive sur la reconnaissance des qualifications professionnelles : « Il a fallu se battre contre ceux qui sont persuadés qu'il faut déréglementer ces professions. [...] Nous sommes armés d'une culture du service public. Nous avons la culture de la présence territoriale. Nous avons la culture de la citoyenneté. Armés de cela, nous avons décidé d'être invincibles et nous avons été invaincus ! »

Alors, monsieur le secrétaire d'État, il ne faut pas laisser s'installer une telle entreprise de destruction de nos principes républicains au profit de l'installation d'un hypermarché du droit. Comment comptez-vous donc préserver dans notre pays les valeurs fondamentales qui régissent cette profession ? Les notaires et les personnels des études sont prêts à appuyer toute initiative allant en ce sens.(M. Michel Houel applaudit.)

M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Matthias Fekl,secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger.Madame la sénatrice, vous avez appelé l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, dont je vous prie d'excuser l'absence, sur le projet de réforme des professions réglementées, et plus particulièrement sur la situation des notaires.

Mme la garde des sceaux reconnaît avec vous la place importante qu'occupent les notaires dans le service public de la justice. Comme vous le rappelez, le Gouvernement a d'ailleurs soutenu devant les institutions européennes la spécificité de cette profession lors des discussions relatives à la révision de la directive dite« qualifications professionnelles » du 7 septembre 2005. C'est en invoquant cette spécificité que le gouvernement français a obtenu l'exclusion du notariat du champ d'application de cette directive, alors que cette bataille n'était pas gagnée d'avance !

Dans le même sens, la Cour de justice de l'Union européenne a affirmé, dans un arrêt du 24 mai 2011, que les notaires « poursuivent des objectifs d'intérêt général, qui visent notamment à garantir la légalité et la sécurité juridique des actes conclus entre particuliers » - je cite le point 87 de cet arrêt. À ce titre, toujours selon la Cour, les restrictions relatives à l'organisation du notariat en France peuvent être compatibles avec la liberté d'établissement garantie par le droit de l'Union.

En ce qui concerne la réforme des professions juridiques réglementées, la ministre de la justice a conduit depuis le 17 septembre une série de consultations avec les représentants de ces professions et le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique. Cette concertation a déjà permis de dissiper un certain nombre des inquiétudes qui, il faut le reconnaître, avaient pu naître. Je note avec satisfaction que les mouvements de protestation qui entouraient l'ouverture des concertations ont été suspendus.

La nécessité de réformer les professions juridiques réglementées est largement admise, y compris par les professionnels eux-mêmes. Depuis 2012, Mme la garde des sceaux a lancé ce processus de modernisation, en lien avec leurs représentants. Ainsi, elle a déjà agi pour la réduction du tarif des greffiers des tribunaux de commerce avec le décret du 19 mai 2014. L'ordonnance du 12 mars 2014 réforme les procédures collectives et modifie également les conditions de désignation des administrateurs et mandataires judiciaires. Le nombre de notaires salariés pouvant être nommés a été augmenté par l'ordonnance du 27 février 2014. Des participations financières croisées sont désormais possibles entre professionnels du droit et du chiffre depuis un décret du 19 mars 2014. Tout récemment, enfin, il a été procédé, par un décret du 28 août dernier, à l'extension de la compétence territoriale des huissiers de justice du ressort du tribunal de grande instance au département.

C'est dans un esprit de dialogue que doivent se poursuivre les discussions. Personne, au sein du Gouvernement, ne peut se voir reprocher d'adopter une logique simpliste ou de tenir un discours caricatural. Au contraire, tous ses membres ont le souci constant d'assurer la qualité du service public, de garantir la sécurité juridique des actes concernés et de préserver un maillage territorial serré, comme nos concitoyens sont en droit de l'attendre

Ainsi, c'est à l'aune de ces exigences qu'il faut analyser les risques que présenteraient la liberté d'installation, l'orientation des tarifs vers les coûts ou encore l'ouverture à la concurrence de certains actes.(Mme Frédérique Espagnac et M. Luc Carvounas applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.

Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le secrétaire d'État, vous avez bien résumé l'ensemble des déclarations de Mme la garde des sceaux. Malheureusement, certains faits continuent de les contredire. Je vais donc finir par me dire qu'un autre ministère ne défend peut-être pas tout à fait la même conception de la concertation, s'agissant de la profession de notaire. En effet, Les Échos ont récemment publié des« pistes de réflexion » du ministère de l'économie, alors que les sujets évoqués n'avaient fait l'objet d'aucun débat avec la profession. Ainsi, pendant la consultation, la presse publie des éléments qui n'ont absolument pas été abordés par les négociateurs. Il va donc falloir à un moment adopter une méthode de travail plus claire, afin qu'un accord s'établisse entre les déclarations publiques et le contenu des discussions.

J'ajoute que les informations diffusées dans la presse ne permettent pas au public de comprendre les réalités en cause. Par exemple, les tarifs réglementés permettent aux personnes les plus modestes de bénéficier de tarifs très raisonnables, pour des biens d'une valeur allant jusqu'à 200 000 euros. Or peu de gens savent que, à la rémunération du notaire, s'ajoutent des frais correspondant tout simplement à des impôts. Le mélange de ces chiffres crée une confusion quant au coût véritable de l'intervention du notaire.

Ainsi, pour un bien de 200 000 euros, s'il faut verser 12 500 euros au Trésor public, l'office notarial ne perçoit, quant à lui, que 2 500 euros. Cette réalité est très mal connue, et il ne faut donc pas s'étonner que la perception du coût de l'acte juridique, en dépit de la sécurité qu'il apporte, soit totalement faussée. Je souhaite par conséquent que l'État apporte les éclaircissements nécessaires dans ce débat.(MM. Jean-Claude Lenoir et Michel Houel applaudissent.)

M. Jean-Claude Lenoir. Nous approuvons cette intervention !

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