Question de M. ROUX Jean-Yves (Alpes de Haute-Provence - SOC) publiée le 18/12/2014

M. Jean-Yves Roux attire l'attention de Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie sur les conséquences du règlement européen « Reach » (règlement n° 1907/2006) concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances sur la production de plantes à parfum françaises et notamment sur la production de lavande. À la suite du rapport du professeur White sur les fragrances allergènes dans les produits cosmétiques, remis en 2012 à la direction générale de la santé et des consommateurs de la Commission européenne, cette même commission réfléchit actuellement au niveau de substances autorisées dans les parfums et les produits cosmétiques. Le programme « Reach », soit en anglais « Registration, evaluation, authorisation and restriction of chemicals », ou « enregistrement, évaluation, autorisation et restriction de produits chimiques » prévoit que chaque substance chimique existante ou nouvellement produite ou importée doit être enregistrée auprès de l'Agence européenne des produits chimiques et que les producteurs ou importateurs de produits chimiques fournissent les données toxicologiques relatives à leurs produits. Il s'agit de recenser, d'évaluer et de contrôler les substances chimiques fabriquées, importées, mises sur le marché européen. D'ici à 2018, plus de 30 000 substances chimiques seront connues et leurs risques potentiels établis. Cette modification du règlement inquiète fortement les producteurs de plantes à parfum français. Le règlement « Reach » précise que l'Europe disposera ainsi de moyens juridiques et techniques pour garantir à tous un haut niveau de protection contre les risques liés aux substances chimiques. Or, toutes les substances chimiques, y compris les substances naturelles comme les huiles essentielles, sont susceptibles d'être concernées. Les conséquences induites risquent d'être lourdes pour la production de plantes françaises et notamment pour la production de lavande et de lavandin. Les transformateurs qui fabriquent les huiles essentielles de plantes s'interrogent aujourd'hui sur l'avenir de leur filière. Ils s'inquiètent de ce projet de réglementation européenne qui semble amalgamer production naturelle et production chimique pure. Il lui demande quelles mesures elle compte prendre pour protéger les producteurs de plantes à parfum français, secteur économique et agricole, qui représente l'avenir de notre production nationale, à l'heure où l'on parle beaucoup d' « acheter français ».

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Réponse du Secrétariat d'État, auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement publiée le 04/02/2015

Réponse apportée en séance publique le 03/02/2015

M. Jean-Yves Roux. Monsieur le secrétaire d'État, je ne vous apprendrai rien en vous rappelant aujourd'hui que la filière lavandicole est plus qu'inquiète pour sa production et son avenir.

Dans mon département, les Alpes-de-Haute-Provence, les différents acteurs de la filière doivent faire face à deux grandes difficultés.

Vous avez déjà été alerté sur les conséquences préoccupantes du règlement européen d'enregistrement, d'évaluation, d'autorisation et de restriction des substances chimiques, dit « REACH », sur la production de plantes à parfum françaises, notamment sur celle de lavande et de lavandin.

Les acteurs et producteurs d'huile essentielle de lavande se mobilisent. Une pétition nationale contre ce projet de réglementation des huiles essentielles a déjà recueilli près de 20 000 signatures.

Bien que protéger avec efficacité la santé des consommateurs soit évidemment notre priorité à tous, il ne s'agirait pas en l'occurrence de laisser la théorie l'emporter sur un savoir-faire et une production de très haute qualité.

Recenser, évaluer et contrôler les substances chimiques fabriquées, importées, mises sur le marché européen se comprend parfaitement. Prévoir que chaque substance chimique existante ou nouvellement produite ou importée soit enregistrée auprès de l'Agence européenne des produits chimiques et que les producteurs ou importateurs de produits chimiques soient obligés de fournir des données toxicologiques relatives aux produits se conçoit également.

Réduire la présence de produits potentiellement allergènes dans les cosmétiques et les parfums, nous le comprenons tous.

Mais qualifier les huiles essentielles, issues des plantes, donc naturelles, de produits chimiques me paraît excessif et irraisonné.

S'agissant de l'huile essentielle de lavande, le linalol - une molécule naturellement présente dans la lavande - est pointé du doigt puisqu'il serait potentiellement allergène. Certes, j'en conviens, l'huile essentielle de lavande placée sous l'œil irritera ce dernier... Mais revenons à la raison et au bon sens : il convient de faire la distinction entre le linalol conçu chimiquement par les usines pour la fabrication de produits tels que la lessive ou les désodorisants, et celui qui est contenu de manière naturelle dans la plupart des huiles essentielles, comme l'huile essentielle de lavande ou même l'extrait d'orange. Notre méfiance à l'égard des substances chimiques ne doit pas conduire à un amalgame grossier.

L'une des conséquences de la réglementation en question est l'apposition de pictogrammes sur le flacon. Les répercussions économiques d'un tel étiquetage sont évidemment dramatiques !

Il est inconcevable que les plantes et les huiles essentielles soient considérées comme des produits chimiques et que les distillateurs soient assimilés aux fabricants de produits chimiques, voire dangereux et toxiques.

Par ailleurs, les dossiers que doivent constituer les lavandiculteurs en application de cette réglementation, afin de mettre en évidence les caractéristiques physico-chimiques, toxicologiques et éco-toxicologiques de leur production, ont un coût non négligeable : c'est la double peine !

Dernière précision sur cette réglementation : pour une huile essentielle, il est quasiment impossible de fournir les données demandées puisqu'elles varient en fonction du sol et du soleil. Exiger une « carte d'identité » pour chaque huile essentielle est une aberration.

Cela étant, un autre danger réel menace la lavande dans les Alpes-du-Sud : un insecte, la cicadelle, qui se nourrit de sève et ravage des champs entiers, transporte, ce faisant, une bactérie, le stolbur, qui ronge les pieds de lavande et de lavandin. La plante dépérit rapidement et meurt.

Pour tenter d'endiguer les dégâts causés par la maladie, un programme d'investigation et d'expérimentation visant à mieux cerner les causes de l'épidémie et à trouver des solutions afin de faire baisser l'incidence de la maladie a été mené entre 2011 et 2013 ; il a été financé par le compte d'affectation spéciale pour le développement agricole et rural, ou CASDAR, France AgriMer, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, le Comité interprofessionnel des huiles essentielles françaises, le CIHEF, et l'Occitane.

La sélection variétale est l'une des méthodes préconisées pour enrayer la maladie, mais il faudra attendre plusieurs années pour obtenir des résultats. À l'heure actuelle, nous disposons vraiment de peu de moyens de lutte adaptés.

La lavande est l'arbuste phare de la Provence : 500 tonnes de lavande sont produites chaque année dans les Alpes-de-Haute-Provence, soit la moitié de la production nationale. Les répercussions économiques de sa culture sont multiples : du tourisme à l'industrie de la parfumerie, en passant par la gastronomie.... La lavande et le lavandin sont à l'origine de 2 milliards d'euros en termes de consommation touristique. En Provence, les plantes à parfum sont cultivées sur plus de 22 000 hectares et concernent plus de 2 000 producteurs ; 80 % de la production est exportée, et il s'agit souvent de produits prestigieux.

Les conséquences induites du règlement européen REACH, à l'horizon 2018, couplées aux pertes causées par la cicadelle, pourraient porter un coup fatal à la production de lavande et de lavandin.

Amalgamer par l'étiquetage, dans l'esprit des consommateurs, production naturelle et production chimique pure est préjudiciable. Monsieur le secrétaire d'État, quelle stratégie préconisez-vous pour sauvegarder ce secteur si précieux ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marie Le Guen,secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser l'absence de Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Ne pouvant être présente, elle m'a chargé de vous répondre.

Je tiens tout d'abord à vous remercier de vous mobiliser en faveur des producteurs français d'huiles essentielles de lavande et de lavandin. Comme vous l'avez à juste titre souligné, ces productions sont importantes pour tout le sud-est de la France sur les plans à la fois paysager, touristique et agricole. Elles sont également très utilisées par les industries de la parfumerie et du luxe, fers de lance du savoir-faire français et composantes majeures de notre commerce extérieur.

Tout en étant d'origine naturelle, ces huiles essentielles peuvent malheureusement s'avérer nocives pour la santé, notamment en provoquant des réactions allergiques. C'est pourquoi le règlement REACH, adopté en 2006, prévoit que, au même titre que les fabricants de produits chimiques, les distillateurs d'huiles essentielles de lavande doivent évaluer ces huiles et les enregistrer avant le mois de mai 2018.

Cependant, vous l'avez indiqué, un certain nombre de PME peuvent rencontrer des difficultés dans l'application de ce règlement. C'est la raison pour laquelle le ministère de l'écologie a mis en place, dès 2008, de nombreux outils pour aider toutes les entreprises françaises à appliquer le règlement REACH : pour ne citer qu'un exemple, le helpdesk - vous le constatez, mesdames, messieurs les sénateurs, on s'exprime dans un français parfait...

M. le président. En tout cas, ce n'est pas du provençal !(Sourires.)

M. Jean-Marie Le Guen,secrétaire d'État. Non, monsieur le président, je le reconnais !

Mme Laurence Rossignol,secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie. Mais vous pouvez toujours essayer de prononcer avec l'accent provençal, mon cher collègue !(Nouveaux sourires.)

M. Jean-Marie Le Guen,secrétaire d'État. Pourquoi pas, ma chère collègue !

Je disais donc que le helpdesk REACH de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques assure une hotline - le gag continue ! - quotidienne pour répondre à toutes les questions des entreprises et a réalisé des tournées d'information dans toute la France.

Dans le cas des huiles essentielles de lavande et de lavandin, Mme Ségolène Royal a instauré, aux côtés de M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, un plan d'action afin d'aider spécifiquement les producteurs. Ce plan prévoit non seulement une sensibilisation des instances européennes aux difficultés particulières rencontrées par ce secteur, mais aussi un soutien technico-financier à la filière et la mise en place d'un comité de pilotage regroupant services de l'État et acteurs professionnels.

Grâce à l'engagement de toutes les parties prenantes, l'application du règlement REACH permettra aux distillateurs français d'huiles essentielles de lavande et de lavandin de mettre sur le marché des produits sûrs et de valoriser l'origine naturelle de leurs produits, ce qui est le sens de votre combat, monsieur le sénateur.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux.

M. Jean-Yves Roux. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d'État. Les producteurs de lavande étant très inquiets, je tenais à ouvrir ce débat.

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