Question de Mme GONTHIER-MAURIN Brigitte (Hauts-de-Seine - Communiste républicain et citoyen) publiée le 17/03/2016

Mme Brigitte Gonthier-Maurin souhaite interpeller Mme la ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes sur les violences dont sont victimes les migrantes, au regard des cas de traite des êtres humains.
La délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a publié, le 9 mars 2016, un rapport d'information n° 463 (2015-2016) sur les femmes et les mineurs victimes de la traite des êtres humains qui souligne la porosité entre les victimes de traite et les migrantes.
Avec la crise en Syrie, la proportion de femmes a nettement augmenté parmi les migrants. Sur les 644 000 réfugiés qui étaient arrivés en Europe entre janvier et novembre 2015, 34 % étaient des femmes et des enfants. Le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, des organisations non gouvernementales (ONG) et des chercheurs alertent d'ailleurs, depuis plusieurs mois, sur les violences auxquelles celles-ci se trouvent exposées. « La traite des êtres humains dans les situations de conflits et post-conflit », brochure publiée en juin 2015 par le Secours catholique, montre clairement que « le trafic de migrants peut se muer en porte d'entrée vers la traite des êtres humains. De nombreuses personnes n'ayant pas les moyens de payer leur passeur sur le champ se retrouvent en situation de servitude pour dettes. Certaines familles sont ainsi contraintes de marier leurs filles aux premiers maris venus, afin de récupérer l'argent de la dot, d'autres, notamment en Europe de l'Ouest, entrent dans l'exploitation économique ou la criminalité forcée ».
Comme le relève le rapport de la délégation aux droits des femmes du Sénat qui s'est rendue à Calais « la question de la traite des êtres humains au sein des camps de migrants est malheureusement une réalité déjà tangible, ayant incité associations et pouvoirs publics – français et britanniques – à s'organiser pour lutter contre le phénomène. »
C'est pourquoi elle lui demande si le Gouvernement peut s'engager, dans les plus brefs délais, à créer les cinquante postes de médiateurs culturels, annoncés dans le cadre du plan d'action national de lutte contre la traite des êtres humains 2014-2016, et à compléter le questionnaire annexé à l'arrêté du 23 octobre 2015, de façon à prévoir des questions relatives à toutes les situations de vulnérabilité visées au deuxième alinéa de l'article L. 744-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), deux dispositions figurant parmi les recommandations formulées par la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat dans son rapport d'information.

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Réponse du Secrétariat d'État, auprès du Premier ministre, chargé de l'aide aux victimes publiée le 22/06/2016

Réponse apportée en séance publique le 21/06/2016

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Madame la secrétaire d'État, le récent rapport de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat sur la traite des êtres humains, dont j'ai été corapporteur, a souligné le risque d'amplification du phénomène de traite dans le contexte actuel de crise des migrants.

Selon les statistiques de l'ONU, 70 % des victimes de la traite des êtres humains sont des femmes et de jeunes filles.

Depuis le conflit en Syrie, la proportion de femmes, parmi les migrants, a nettement augmenté. Notre attention a donc été attirée sur les dangers encourus spécifiquement par les femmes dans ces situations tragiques de grande vulnérabilité.

Nous savons que la frontière entre traite et trafic illicite de migrants est extrêmement poreuse.

Dans son rapport du mois de janvier dernier, la Commission nationale consultative des droits de l'homme, la CNCDH, rappelle que « le désir de migrer étant un ressort extrêmement puissant de la traite des êtres humains, l'immigration illégale n'est parfois que "la face cachée de la traite" ».

Human Rights Watch a fait état de cas dans lesquels des migrants avaient versé de l'argent à des passeurs clandestins, puis avaient été remis entre les mains d'individus se livrant à la traite.

La crise actuelle réunit les conditions pour que les réseaux exploitent cette situation. La traite est, d'ailleurs, une réalité tangible au sein des camps de migrants.

À Calais, l'association France Terre d'Asile a mis en place une structure spécifique, fondée sur un projet d'identification, d'information et d'orientation des victimes de la traite des êtres humains dans le Calaisis.

L'identification des victimes est d'une extrême difficulté. Or c'est l'étape indispensable à leur protection.

En situation de vulnérabilité extrême, ces victimes sont toutes sous emprise. Nos interlocuteurs ont rappelé que les exploiteurs mettaient tout en œuvre pour les empêcher de verbaliser leur parcours de vie véritable et leur qualité de victime de la traite.

Dès lors, comment mieux détecter les victimes potentielles de la traite ? Les témoignages entendus par la délégation convergent pour souligner la nécessité de médiateurs culturels. Je vous demande donc, madame la secrétaire d'État, de créer les 50 postes de médiateur culturel annoncés dans le cadre du plan d'action national contre la traite des êtres humains 2014-2016.

Le Gouvernement peut agir sur un second plan : il peut compléter le questionnaire annexé à l'arrêté du 23 octobre 2015, afin de prévoir des questions relatives à toutes les situations de vulnérabilité visées à l'article L. 744-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le CESEDA.

Mme Hélène Conway-Mouret. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Juliette Méadel, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de l'aide aux victimes. Madame la sénatrice, le Gouvernement s'est engagé avec une détermination absolue dans la lutte contre la traite des êtres humains. Dès 2012, il a développé, à ce sujet, une véritable politique publique, de nature interministérielle.

Ce volontarisme inédit s'est exprimé selon trois axes majeurs : le renforcement de l'arsenal législatif, la création de la mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains, la MIPROF, en 2013, et l'adoption du premier plan d'action national contre la traite des êtres humains, couvrant la période 2014-2016.

La situation des femmes migrantes nous préoccupe, tout particulièrement à Calais. Chacun sait que ces femmes constituent la proie des réseaux. Les témoignages des associations humanitaires en attestent, puisqu'ils évoquent de nombreux cas d'exploitation sexuelle.

Les services de l'État sont pleinement mobilisés aux côtés des associations qui vont à la rencontre des femmes migrantes pour assurer leur suivi médical, comme Gynécologie sans frontières, ou pour prendre en charge celles qui sont victimes de traite, à l'instar de l'Amicale du nid.

Pour ce qui concerne la création des 50 postes de médiateur culturel, il reviendra aux associations, auxquelles seront délégués des moyens nouveaux pour la mise en place du parcours de sortie de la prostitution, de juger si ce recrutement fait partie de leurs priorités d'action.

Le parcours de sortie de la prostitution constitue une avancée majeure, permise par la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées. Les associations auront toute latitude pour s'organiser au plus près du terrain et pour utiliser ces ressources complémentaires en fonction des besoins qu'elles auront identifiés.

Pour ce qui est de la détection des vulnérabilités des demandeurs d'asile, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, l'OFPRA, qui octroie la protection internationale, a d'ores et déjà engagé un processus de formation de ses agents à l'identification des besoins de protection liés à la traite, en application du plan d'action qu'il met en œuvre depuis l'été 2013.

Les formations sont délivrées par des officiers de protection référents, spécialisés sur ces thèmes.

L'entretien personnel avec le demandeur d'asile concerné est mené par un officier de protection formé, qui bénéficie de l'appui des référents internes sur les thématiques de la traite et des mineurs isolés : il est l'occasion d'amener l'intéressé, si besoin est, à verbaliser sa situation de victime de traite et son appartenance à une minorité, et à faire état, le cas échéant, de craintes à l'idée de retourner dans son pays d'origine.

Cette identification, dont la verbalisation est le préalable indispensable, est susceptible de justifier l'octroi d'une protection internationale s'il est établi, d'une part, que le demandeur s'est engagé dans un processus de distanciation du réseau de traite qui l'exploitait et, d'autre part, que cette situation fait naître chez lui des craintes de persécution ou d'atteintes graves dans l'hypothèse où il regagnerait son pays d'origine.

Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Madame la secrétaire d'État, je vous remercie de votre réponse.

Je veux simplement insister sur deux aspects.

Premièrement, le questionnaire sur la base duquel l'Office français de l'immigration et de l'intégration, l'OFII, réalise ses détections ne lui suffit pas à repérer les situations de vulnérabilité visées dans le CESEDA. Il faut absolument le compléter.

Deuxièmement, je veux revenir sur le rôle des associations que vous avez effleuré. Sur le terrain, celles-ci réalisent un travail extraordinaire, avec beaucoup d'humanité, notamment lorsqu'il s'agit d'accueillir des femmes, parfois très jeunes.

Vous avez renvoyé la création des postes de médiateur aux associations. Le problème tient aux moyens octroyés à celles-ci, notamment à celles qui se consacrent à la lutte contre la traite des êtres humains.

J'appelle donc à une pérennisation et, même, à une augmentation de leur financement, faute de quoi nous ne pourrons pas répondre avec humanité à ces situations de vulnérabilité.

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