Question de M. DUPONT Jean-Léonce (Calvados - UDI-UC) publiée le 17/11/2016

M. Jean-Léonce Dupont attire l'attention de Mme la ministre des affaires sociales et de la santé sur le système d'accueil des enfants dans le département du Calvados. De 5 000 dans les années 1970, le nombre d'enfants confiés est passé aujourd'hui à 2 250, ce qui reste supérieur de 15 % à la moyenne nationale.
Le système est totalement embolisé. La maison départementale de l'enfance et de la famille (MDEF) ne peut plus remplir son rôle d'accueil d'urgence et plus aucune place n'est disponible. Il lui rappelle qu'il reste 120 décisions de placement décidées par la justice qui ne sont pas exécutées avec tous les risques de mise en jeu de la responsabilité pénale que cela implique et, surtout, d'absence de mise à l'abri de jeunes nécessitant protection.
Cette situation s'explique. En effet, le manque cruel de places en institut médico-éducatif (IME), instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (ITEP) (qui relèvent de l'agence régionale de santé - ARS) et la fermeture de ces établissements les week-ends et vacances font qu'entre 80 et 100 enfants relevant du médico-social sont confiés au département par défaut. Ainsi, le département doit accueillir sans plateau technique adapté des enfants orientés handicap, qui prennent la place d'enfants relevant eux de la protection de l'enfance.
Par ailleurs, la prise en charge des mineurs non accompagnés (MNA) et des mineurs isolés étrangers (MIE) est de plus en plus difficile. Ainsi, au rythme de leur arrivée, il faudra réaliser l'instruction de 500 primo-demandes de MNA ou supposés en 2016. Au-delà du travail considérable d'investigation qui pèse sur la direction de l'enfance et de la famille, ces jeunes, quand ils sont reconnus mineurs (seulement 35 %) et pendant la procédure d'évaluation, prennent des places à la MDEF et dans les maisons d'enfants à caractère social (MECS). Outre leur coût (6 millions d'euros), ces prises en charge en constante augmentation paralysent notre dispositif de protection de l'enfance.
Il apparaît évident que cette prise en charge relève de la politique migratoire, compétence de l'État, et que les services du conseil départemental du Calvados ne sont pas équipés pour assurer une mission d'évaluation de la minorité. Pour le moins, toute la période relative à la phase d'investigations et d'évaluation de la minorité devrait être prise en charge par l'État et non pas seulement les cinq premiers jours.
Une batterie de mesures a été mise en place pour faire face à cette asphyxie de notre dispositif de protection de l'enfance qui coûte 100 millions d'euros à la collectivité, mais le problème reste entier. Il demande ce que le Gouvernement envisage de faire pour remédier à cette situation qui se double d'une baisse sensible des dotations de l'État (35 millions d'euros sur trois ans) et de l'augmentation du reste à charge sur les trois allocations individuelles de solidarité - revenu de solidarité active (RSA), allocation personnalisée d'autonomie (APA), prestation de compensation du handicap (PCH).

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Erratum : JO du 29/12/2016 p.5656

Transmise au Ministère des familles, de l'enfance et des droits des femmes


Réponse du Ministère des familles, de l'enfance et des droits des femmes publiée le 21/12/2016

Réponse apportée en séance publique le 20/12/2016

M. Jean-Léonce Dupont. Nous restons en Normandie. Ma question porte en effet sur l'accueil des enfants placés dans le département du Calvados.

Madame la ministre, le nombre d'enfants qui nous est confié aujourd'hui est passé à 2 250, soit 15 % de plus que la moyenne nationale. Le système est totalement saturé. La maison départementale de l'enfance et de la famille, la MDEF, ne peut plus remplir son rôle d'accueil d'urgence. Plus aucune place n'est disponible.

Aujourd'hui, 120 décisions judiciaires de placement n'ont toujours pas été exécutées, avec tous les risques de mise en jeu de la responsabilité pénale que cela implique.

Pourquoi en sommes-nous là ?

Le manque de places en institut médico-éducatif, ou IME, et en institut thérapeutique, éducatif et pédagogique, ou ITEP, oblige le département à accueillir, sans plateau technique adapté, des enfants orientés handicap. La fermeture de ces établissements les week-ends et pendant les vacances fait qu'entre 80 et 100 enfants relevant du secteur médico-social sont confiés au département par défaut.

Par ailleurs, la prise en charge des mineurs non accompagnés et des mineurs isolés étrangers est de plus en plus difficile. Au rythme de leur arrivée, il faudra réaliser l'instruction de 500 primo-demandes de mineurs non accompagnés, ou supposés tels, en 2016.

Au-delà du travail considérable d'investigation qui pèse sur la direction de l'enfance et de la famille, ces jeunes, quand ils sont reconnus mineurs – seuls 35 % le sont – et pendant la procédure d'évaluation, sont accueillis à la MDEF et dans les maisons d'enfants à caractère social. Outre leur coût – 6 millions d'euros –, ces prises en charge en constante augmentation paralysent notre dispositif de protection de l'enfance. Il apparaît pourtant évident que cette prise en charge relève de la politique migratoire, qui est de la compétence de l'État, et que les services du conseil départemental du Calvados ne sont pas équipés pour assurer une mission d'évaluation de la minorité. Pour le moins, toute la période de la phase d'investigation et d'évaluation de la minorité devrait être prise en charge par l'État et non pas seulement les cinq premiers jours.

Une batterie de mesures a été mise en place pour faire face à l'asphyxie de notre dispositif de protection de l'enfance, mais le problème reste entier et s'accroît.

Madame la ministre, qu'envisagez-vous de faire pour remédier à cette situation ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes. Comme vous le savez, monsieur le sénateur, j'ai porté la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant, dont la genèse se situe dans cet hémicycle. Elle a en effet été élaborée à partir d'une proposition de loi déposée par Muguette Dini et Michelle Meunier.

Ce texte conforte certains aspects de la loi de 2007, tire le bilan de celles de ses dispositions qui n'ont pas été réellement appliquées et de ce qui s'est passé depuis son entrée en vigueur. Il permet notamment de faire évoluer la philosophie de la protection de l'enfance, de mieux répondre aux préoccupations des départements, dont je mesure très bien la charge financière, indépendamment de la question des mineurs non accompagnés, et de mettre en place un ensemble de dispositifs. J'invite d'ailleurs les conseils départementaux, ainsi que les juges des enfants, dans leurs relations avec l'aide sociale à l'enfance, à avoir recours par exemple au tiers de confiance, qui permet de moins placer les enfants en établissement ou en famille d'accueil et de recourir davantage à l'environnement de l'enfant.

Je les invite également à utiliser les dispositifs mis en place en faveur de la fin de la prise en charge des jeunes majeurs par l'aide sociale à l'enfance. Cette sortie devra être anticipée par les départements un an à l'avance, en concertation avec les préfets pour les jeunes majeurs d'origine étrangère, afin, par exemple, que puisse leur être délivré un titre de séjour leur permettant de travailler. De nouveaux mineurs non accompagnés entrant dans le dispositif de l'aide sociale à l'enfance, il faut également qu'il en sorte. À cet égard, les conventions qui seront signées entre les préfets et les départements, ainsi que la circulaire du 25 janvier 2016, faciliteront la sortie des jeunes du dispositif.

Enfin, la loi comporte un important volet axé sur la mobilisation pluridisciplinaire et pluri-institutionnelle de la protection de l'enfance. Ce texte, élaboré dans la concertation, a permis la création du Conseil national de la protection de l'enfance chargé d'articuler les dispositifs. Ce conseil permet souvent de réaliser des économies d'échelle importantes, sept ou huit professionnels pouvant intervenir successivement auprès d'un enfant ou d'une famille.

J'invite en outre les départements à réaliser à l'échelon départemental le même travail que celui que nous avons effectué à l'échelle nationale, en réunissant autour de la table tous les acteurs de la protection de l'enfance et de l'accompagnement des familles afin de faire évoluer les dispositifs et de rationaliser une partie de leur travail.

J'en viens à la question des mineurs non accompagnés.

La loi du 14 mars 2016 a donné une base légale à la cellule de répartition entre les départements. Aujourd'hui, cette cellule organise la péréquation, et donc la solidarité, entre les départements en ce qui concerne l'accueil des mineurs non accompagnés. Certains départements, il faut dire la vérité, étaient en effet particulièrement visés par les passeurs. Désormais, tous les départements sont appelés à prendre part à la prise en charge de ces mineurs.

Par ailleurs, nous venons de conclure avec l'Assemblée des départements de France un accord prévoyant une évolution de la participation de l'État à la prise en charge des mineurs non accompagnés, comme je l'avais d'ailleurs moi-même souhaité, afin de soutenir les départements dans cette responsabilité nouvelle.

Les mineurs de Calais sont actuellement pris en charge dans des CAOMI, ou centres d'accueil et d'orientation pour mineurs isolés. Une fois que la Grande-Bretagne aura accueilli ceux d'entre eux qu'elle souhaite accueillir, les autres mineurs seront progressivement réorientés vers le dispositif de droit commun.

Voilà comment nous travaillons avec les départements pour faire évoluer la protection de l'enfance et pour mieux répartir la prise en charge des mineurs non accompagnés entre les départements, mais aussi entre l'État et les départements.

M. le président. La parole est à M. Jean-Léonce Dupont.

M. Jean-Léonce Dupont. Loin de moi l'idée que vous ne travailliez pas ou que vous n'essayiez pas de prendre des mesures, mais je voudrais que vous ayez bien conscience du fait que le système est totalement embolisé.

Aujourd'hui, ce n'est pas de concertation que nous avons besoin. Vous l'avez bien compris, la situation résulte de l'accumulation d'un certain nombre de paramètres : un nombre de décisions de justice très nettement supérieur à la moyenne dans mon département, l'orientation à tort des enfants handicapés vers nos établissements et, enfin, la problématique tout à fait spécifique des mineurs isolés étrangers.

La situation est décourageante, pour ne pas dire désespérante pour les travailleurs sociaux, qui se sentent inefficaces. À peine ont-ils réussi à trouver une solution pour un cas que dix nouveaux se présentent !

Nous ne sommes plus en état de répondre à certaines obligations, alors que la responsabilité pénale d'un certain nombre d'acteurs peut être engagée.

Madame la ministre, je vous demande vraiment d'aller plus loin que dans les dispositifs que vous avez déjà mis en œuvre, notamment pour les mineurs non accompagnés. Il faut assurer la prise en charge des mineurs au-delà des cinq jours qui sont actuellement prévus, soit jusqu'au moment où l'on sait s'ils sont effectivement mineurs ou majeurs.

Permettez-moi de vous citer un seul chiffre : en cinq ans, la dépense de mon département est passée de 1,5 million d'euros à plus de 6 millions d'euros. Et on m'annonce qu'elle s'élèvera à 7 millions d'euros l'année prochaine ! Il faut que vous ayez conscience de ces chiffres, dans le contexte budgétaire et financier, dont on dit gentiment et de manière élégante qu'il est « contraint », alors qu'il est en réalité extrêmement difficile pour la collectivité départementale ayant en charge la solidarité nationale.

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