Question de Mme VERMEILLET Sylvie (Jura - UC) publiée le 31/01/2019
Mme Sylvie Vermeillet attire l'attention de Mme la ministre des solidarités et de la santé sur le portage public-privé pour la construction d'établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Au regard des contraintes budgétaires qui pèsent actuellement sur les collectivités et les administrations décentralisées, les porteurs de projets se tournent régulièrement vers des partenariats public-privé pour la construction de bâti.
Il est notamment de plus en plus courant qu'une personne morale de droit public, dans l'incapacité de rénover un bâtiment qui n'est plus aux normes à un coût raisonnable pour la collectivité, soit démarchée directement par un prestataire privé pour envisager une construction neuve sur un site voisin.
C'est par exemple le cas lorsqu'un opérateur privé construit un EHPAD et le vend à un autre opérateur privé qui décide de le louer à un opérateur public.
Dans le département du Jura, un établissement public de santé a récemment opté pour ce type de montage dans la construction d'un nouvel EHPAD en remplacement d'un site vétuste.
D'autres projets en France sont concernés à court et moyen termes.
Or, la jurisprudence définie par un arrêt du 25 mars 2010 de la Cour de justice de l'Union européenne introduit la notion selon laquelle si l'opérateur public a une influence déterminante sur la nature ou la conception de l'ouvrage, sans pour autant en définir directement les caractéristiques, cela a pour effet de faire tomber l'opération dans les marchés publics.
Ce type de montage, dans lequel il pourrait être considéré que l'ouvrage est entièrement construit au bénéfice de l'établissement public de santé, s'expose donc à une requalification en marché public de travaux.
Elle la remercie donc de bien vouloir lui indiquer si une solution juridique peut être apportée pour ces projets menacés, sans quoi ils devraient être abandonnés faute de financements par ailleurs.
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Réponse du Ministère des solidarités et de la santé publiée le 30/01/2020
Les montages juridiques associant acteurs publics et privés en vue de la construction ou la reconstruction d'établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) rattachés à des personnes publiques (collectivités territoriales ou établissements publics de santé) donnent lieu le plus souvent à l'acquisition d'un terrain foncier pour construire un EHPAD par un promoteur privé ; le terrain et le bâtiment font ensuite l'objet d'une vente en l'état futur d'achèvement (VEFA) à un investisseur privé lequel loue le bâtiment à un gestionnaire public par un contrat de bail. Ce montage juridique, conçu sans procéder à des formalités de publicité et de mise en concurrence, s'expose au risque de requalification en contrat soumis aux règles de la commande publique. L'article 2 de la directive 2014/24/UE du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics, transposée en droit national à l'article L. 1111-2 du code de la commande publique, définit un marché public de travaux comme « la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d'un ouvrage répondant aux exigences fixées par le pouvoir adjudicateur qui exerce une influence déterminante sur sa nature ou sa conception ». Cette définition englobe tous les contrats, quelle qu'en soit la forme (y compris donc un contrat de VEFA), par lesquels un pouvoir adjudicateur commande la construction d'un ouvrage sans exercer lui-même la maîtrise d'ouvrage des travaux et sans nécessairement en devenir le propriétaire à leur achèvement. Dans la mesure où la construction d'un EHPAD répond aux besoins précisés par la personne publique, il est très probable que le juge, communautaire comme national, estime que l'objet réel de l'opération, considérée dans son ensemble, est la réalisation même de l'ouvrage et non sa seule location et que saisi d'un recours, il requalifie l'opération en marché public de travaux. La seule circonstance que l'opération ait été scindée en deux contrats distincts - l'un passé entre deux entreprises privées et portant sur la construction de l'ouvrage, l'autre passé entre une entreprise privée et une personne publique et portant sur la location de cet ouvrage-, ne paraît pas suffisante pour faire échec à cette requalification, le juge s'attachant à vérifier, si la personne publique gestionnaire, sans jouer le rôle de maître d'ouvrage, a eu ou non une influence déterminante sur cette réalisation (par exemple définition de la surface en fonction de la capacité d'accueil attendue ou de certaines caractéristiques techniques et technologiques de l'ouvrage). En ce sens, la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) a eu l'occasion de trancher deux litiges, portant sur des réalisations immobilières, dans lesquels un contrat passé entre une personne publique et une entreprise privée comportait un volet « construction » et un volet « location » (29 oct. 2009, Aff. C-536/07 et 10 juillet 2014, Aff. C-213-13). Dans ces deux affaires, la CJUE relève que les deux volets précités forment un tout indissociable et que l'objet principal des contrats est la réalisation de ces ouvrages et non leur location. Elle rappelle également que pour caractériser un marché public de travaux, le critère essentiel est que l'ouvrage soit réalisé conformément aux besoins précisés par le pouvoir adjudicateur. Or les ouvrages concernés avaient été réalisés conformément aux spécifications très détaillées explicitées par le pouvoir adjudicateur, par conséquent les contrats en cause constituaient des marchés publics de travaux. Il appartient donc aux personnes publiques gestionnaires d'EHPAD ou d'autres catégories établissements sociaux et médico-sociaux d'être vigilantes quant au respect des règles de la commande publique s'appliquant aux marchés publics de travaux lorsqu'elles sont amenées à réaliser des opérations de construction d'établissements ou de rénovation des bâtiments.
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