Question de Mme MORIN-DESAILLY Catherine (Seine-Maritime - UC) publiée le 03/10/2019

Question posée en séance publique le 02/10/2019

Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le Premier ministre, jeudi dernier, un terrible incendie a ravagé, heureusement sans faire de victime, une partie de l'usine Lubrizol de Rouen, dégageant un immense nuage noir qui s'est abattu sur une partie de la Seine-Maritime et au-delà. Je remercie vivement les forces de l'ordre, les salariés de l'usine et nos pompiers, car le pire a été évité. Mais, chez les habitants, une angoisse et une colère légitimes demeurent.

Les enquêtes judiciaire et administrative doivent rapidement déterminer les responsabilités. Mais, à cette heure, c'est la santé qui prime : à cet égard, des réponses précises et des explications claires sont attendues.

Lors de votre visite sur place, monsieur le Premier ministre, vous vous êtes engagé à la transparence, du reste garantie par l'article 7 de la Charte de l'environnement. Or, hier, le préfet a dévoilé des chiffres alarmants : 5 253 tonnes de produits chimiques ont été brûlées et 160 fûts sont toujours entreposés, dans un état délicat. Il faut que les prochaines analyses nous renseignent sur les molécules dégagées qui ont été inhalées, les retombées de suie et leurs conséquences !

Nos familles sont inquiètes. Vous avez reconnu la nécessité d'un suivi médical de long terme, mais il faut aussi un suivi épidémiologique strict de ceux qui sont intervenus sur le sinistre et de toute la population touchée d'une manière ou d'une autre.

Si, comme vous le dites, la reconnaissance de l'état de catastrophe technologique n'est pas envisagée, quelle solution proposez-vous pour indemniser les victimes ?

Je remercie Didier Guillaume, qui a reconnu la gravité de la situation et promis des aides aux agriculteurs, éleveurs et maraîchers des 206 communes de Normandie et des Hauts-de-France concernées par la suspension des récoltes et des collectes de lait.

Enfin, lorsqu'un événement de cette gravité et de cette ampleur se produit, il faut que l'ensemble des maires soient bien informés. Or ils nous ont dit regretter de n'avoir pas toujours pu jouer leur rôle auprès de la population. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)


Réponse du Premier ministre publiée le 03/10/2019

Réponse apportée en séance publique le 02/10/2019

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Madame la sénatrice, lundi soir, avec d'autres parlementaires, députés et sénateurs, nous étions tous les deux sur le site pour mesurer l'ampleur de l'incendie.

Comme vous l'avez souligné, cet incendie très spectaculaire et grave a été maîtrisé en douze heures, sans victime ni blessé, grâce à l'exceptionnelle qualité de l'intervention des pompiers.

Je répondrai à votre question en tout point, mais permettez-moi d'abord de saluer devant le Sénat l'action remarquable des services de l'État et la coordination non moins remarquable entre les forces de l'ordre et de secours et les salariés du site. Grâce à eux, l'effet domino a été évité, alors que l'expansion du feu d'une zone de stockage vers des zones de production aurait eu des conséquences bien plus graves. Toutes vos questions sont légitimes, mais gardons à l'esprit l'exceptionnelle qualité de cette première réponse.

Madame la sénatrice, je comprends parfaitement l'émotion et l'inquiétude, voire la colère des Rouennais, et, au-delà, des habitants de la métropole et des communes qui ont vu passer le nuage et qui s'interrogent sur les conséquences de ce nuage sur leur santé.

Je redis le plus clairement et le plus fermement possible l'engagement absolu du Gouvernement à la transparence totale, complète. Toutes les informations, toutes les données scientifiques qui seront rendues disponibles par les analyses mises en œuvre seront communiquées au public.

Le principe de précaution a été appliqué avec vigilance dès le premier jour. Des recommandations claires ont été formulées. J'entends toutefois, madame la sénatrice, vos propos sur la diffusion de l'information. Le préfet, que je veux assurer de mon soutien, car son action était délicate, a reconnu lui-même, lors d'une rencontre avec les maires de la métropole rouennaise, que la qualité de l'information diffusée aux premières heures de l'événement à destination d'un certain nombre de maires n'avait peut-être pas été à la hauteur des aspirations légitimes formulées par les premiers magistrats des communes considérées.

Les retours d'expérience que nous réaliserons pour apprendre de cet événement nous permettront sans doute d'identifier les améliorations que nous pouvons apporter sur ce point.

Les consignes de vigilance ont été immédiatement données. Nous avons fait procéder au nettoyage de toutes les écoles avant leur réouverture lundi. Une campagne de surveillance approfondie de l'ensemble des impacts environnementaux sur l'eau, sur l'air, sur les sols avec des prélèvements a commencé dès vendredi.

Les résultats sont et seront rendus publics au fur et à mesure de leur délivrance, en fonction des produits qui sont testés et de la difficulté technique de ces analyses, certaines pouvant prendre plus de temps. Mais l'ensemble des résultats, je le répète, sera rendu public.

J'ai demandé au préfet de Normandie de rendre compte au public chaque jour en fin d'après-midi de l'avancée des travaux à l'occasion d'une conférence de presse. Il sera appuyé par une cellule nationale scientifique, car il faut apporter des réponses précises aux nombreuses questions techniques, environnementales ou médicales qui sont posées. Le directeur général de l'Ineris, l'Institut national de l'environnement industriel et des risques, un expert de Santé publique France et le chef du service de pneumologie du CHU de Rouen seront associés à ses prises de parole, afin de donner les réponses les plus précises possible aux questions qui ne manqueront pas d'être posées.

Hier, en fin d'après-midi, le préfet a rendu publique la liste complète des produits présents dans l'entrepôt qui a brûlé avec les caractéristiques de ces produits et les risques associés. Je veux sur ce point être clair, mesdames, messieurs les sénateurs : depuis la fin de l'année 2017, pour des raisons de sécurité qui n'échapperont à personne, la liste complète des substances autorisées sur les sites classés Seveso n'était plus rendue publique, mais, dans tous les cas, cette liste ne dit rien des produits et des quantités qui sont réellement présents sur un site à un moment donné.

La liste que nous avons rendue publique hier est précise ; elle mentionne les produits qui étaient effectivement présents dans l'entrepôt qui a brûlé, ainsi que leur quantité. L'État a reçu cette liste hier matin, et nous l'avons publiée dans la journée.

Sur la base de cette liste, l'Ineris et l'Anses, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, seront saisis dès ce jour pour faire des recommandations sur des produits supplémentaires à rechercher dans l'air ou dans les suies.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne savons pas tout aujourd'hui, parce que les analyses sont en cours et qu'il va falloir les poursuivre, et pendant longtemps. Ce que nous savons d'ores et déjà, concernant la qualité de l'air, c'est que tous les prélèvements d'air dont nous disposons à cette heure, dont les analyses ont été rendues publiques, font apparaître un état habituel de la qualité de l'air sur le plan sanitaire à l'extérieur du site.

Des analyses complémentaires ont été engagées pour vérifier si des fibres d'amiante sont présentes dans l'air, parce que la toiture des bâtiments qui ont brûlé en contenait. Les premiers résultats, pour les mesures effectuées dans un rayon de 300 mètres autour du site, ont été rendus publics hier : ils montrent qu'aucune fibre n'a été détectée dans les prélèvements de surface, et que les prélèvements d'air ne révèlent pas d'anomalie. D'autres résultats sur des zones plus éloignées vont suivre dans les prochains jours ; ils seront bien sûr rendus publics.

Je n'ignore pas les odeurs incommodantes qui perduraient encore hier. J'ai parfaitement conscience qu'elles gênent et qu'elles inquiètent la population. Mais les résultats connus des mesures d'air permettent aux autorités sanitaires d'affirmer que ces odeurs ne présentent pas de risque pour la santé. Ce n'est pas moi qui le dis, ce sont les autorités sanitaires. Les services de l'État travaillent d'ailleurs avec l'entreprise pour résorber les sources d'odeurs. Comme l'a indiqué le préfet hier, les opérations de nettoyage du site sont en cours ; une protection sera installée sur la zone contenant des fûts endommagés pour capter les flux d'air.

Monsieur le président, je vous prie de m'excuser de cette réponse trop longue…

M. le président. Il est important qu'au travers du Sénat l'ensemble de la population soit informé, monsieur le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je vous remercie de me permettre de préciser les choses de la façon la plus claire possible.

Madame la sénatrice, vous avez évoqué la possibilité de faire reconnaître l'état de catastrophe technologique. Un certain nombre d'élus rouennais m'ont également saisi de cette question. La loi Bachelot de 2003, qui a créé cette possibilité, a mis en place un régime d'indemnisation des victimes de catastrophes technologiques. Ce régime, je le dis au Sénat, vise à faciliter le traitement des accidents qui ont eu un très fort impact sur les biens immobiliers et mobiliers en s'appuyant sur le précédent d'AZF à Toulouse en 2001 : des milliers de logements avaient alors été affectés, voire rendus inutilisables.

Dans le cas présent, les critères qui ont été définis dans la loi ne semblent pas en première analyse adaptés. En effet, il n'y a pas eu de dommages importants sur les logements dans l'environnement du site. Par ailleurs, le dispositif tel qu'il a été conçu ne concerne pas l'indemnisation des producteurs agricoles.

Cela étant, il y a un acteur que nous n'avons pas encore mentionné. Dans tous les cas, je veillerai à ce que des mesures soient prises pour l'indemnisation immédiate des agriculteurs qui, en vertu du principe de précaution, voient leur production non commercialisée, mais aussi des riverains et de l'ensemble de ceux qui subissent un préjudice ou un dommage. Je veillerai à ce que rien ne vienne exonérer la responsabilité de l'industriel, car en matière d'installations classées, le régime juridique qui a été établi puis complété par la loi prévoit qu'il y a bien un responsable : il s'agit de l'entreprise, de l'acteur industriel qui est responsable des dommages causés au voisinage du fait des activités qu'il mène à l'intérieur d'un site.

Enfin, s'agissant de la demande de mise en place d'un suivi médical de long terme et d'une étude épidémiologique, évidemment, comme pour ce qui concerne la transparence, le Gouvernement mettra tout en œuvre pour dire, pour mesurer et pour faire connaître l'ensemble des causes et des conséquences de cette catastrophe industrielle dont nous souhaitons – nous allons y veiller – qu'elle ne devienne pas une catastrophe sanitaire ou une catastrophe environnementale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir m'excuser pour le temps que j'ai pris pour répondre à cette question, mais il me semblait important d'aller jusqu'au bout. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour la réplique.

Mme Catherine Morin-Desailly. Je vous remercie de vos réponses, monsieur le Premier ministre. Vous l'avez reconnu, la crise est grave : elle est sanitaire, écologique, économique. Elle nous conduit à nous interroger sur la sécurité des sites Seveso en général. Sommes-nous bien préparés à gérer ces crises industrielles, même si, vous l'avez dit, nos pompiers ont été absolument extraordinaires ? Toutes les leçons ont-elles été tirées de la catastrophe d'AZF ? La question se pose.

Nous allons prendre nos responsabilités au Sénat, mes chers collègues, et créer une commission d'enquête ou une mission d'information commune qui nous permettra d'effectuer un suivi très strict de cette situation et des analyses qui nous sera utile pour progresser et faire en sorte qu'un tel drame ne se reproduise pas. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

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