Question de M. CORBISEZ Jean-Pierre (Pas-de-Calais - RDSE) publiée le 03/02/2022
M. Jean-Pierre Corbisez attire l'attention de M. le ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics, sur la réforme de la responsabilité des gestionnaires publics actuellement en préparation.
L'article 168 de la loi de finances pour 2022 autorise en effet le Gouvernement à recourir aux ordonnances pour réformer notre régime de responsabilité des comptables publics. Il s'agit de créer une responsabilité unifiée des gestionnaires publics, intégrant comptables et ordonnateurs.
Le principe de séparation des ordonnateurs et des comptables, ainsi que celui de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables, sont des fondements de l'organisation financière de notre système local. Il est particulièrement dommageable qu'une réforme d'une telle ampleur échappe au débat parlementaire, en particulier aux sénateurs dont l'une des missions est précisément de défendre les intérêts des élus locaux et de porter leur parole.
En outre, le projet porté par le Gouvernement ne prévoit plus de sanction qu'en cas de faute grave et non plus dans le cadre du contrôle de régularité que le comptable doit réaliser sur chacune des opérations qu'on lui demande d'exécuter. N'est-il pas à craindre que le contrôle soit amoindri, en termes de qualité comme d'intensité, dès lors que le risque d'une sanction n'est encouru qu'en cas de manquement grave ?
Les directeurs généraux de service seront désormais soumis également à cette potentielle sanction, sans que leur rôle ne soit véritablement défini dans le contrôle qu'ils auront eux-mêmes à effectuer pour se prémunir de l'engagement de leur responsabilité
Cette nouvelle charge ne risque-t-elle pas qui plus est de les placer dans une situation délicate à l'égard des élus ordonnateurs ?
Enfin, cette réforme ne traduit-elle pas un glissement de l'organisation comptable de nos collectivités vers le modèle de l'entreprise, avec des comptables dont les missions consisteront uniquement à exécuter sans réellement contrôler ? Notre système basculera d'une logique juridictionnelle à une logique managériale, dès lors que les fautes formelles ou procédurales relèveront d'un traitement hiérarchique et du régime disciplinaire là où elles relevaient pleinement de la responsabilité personnelle des comptables.
Il souhaite donc d'une part connaître les motifs qui ont présidé à cette réforme et d'autre part, obtenir des précisions quant au rôle qui sera assigné aux directeurs généraux de service et quant aux garanties que le Gouvernement apportera pour le maintien d'un contrôle de qualité sur les opérations comptables réalisées par nos collectivités.
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Réponse du Ministère auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance - Comptes publics publiée le 19/05/2022
La réforme du régime de responsabilité des gestionnaires publics instaure, à compter du 1er janvier 2023, un régime unifié de responsabilité dont seront justiciables tous les acteurs de la chaine financière qu'ils exercent des fonctions d'ordonnateur ou de comptable. Elle est l'aboutissement de réflexions engagées dans le cadre du comité interministériel de la transformation publique (CITP) d'octobre 2018, ayant fait le constat que « le cadre actuel de gestion publique responsabilise peu les acteurs et limite leur prise d'initiative ». Des travaux menés en concertation avec la Cour des comptes et le Conseil d'État ont permis de définir, dès l'été 2021, les contours d'un nouveau régime répressif de responsabilité financière s'inspirant de l'actuelle Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF). Ainsi, l'objectif de la réforme est de réserver l'intervention d'un juge financier uniquement aux infractions les plus graves ayant causé un préjudice financier significatif à l'organisme public concerné ou celles qui, compte tenu de leur nature, sont considérées comme importantes eu égard à l'ordre public financier (octroi d'avantage injustifié, non production de comptes pour un comptable). Les erreurs ou fautes les moins graves doivent se voir apporter une réponse managériale sans l'intervention d'un juge. En outre, le nouveau régime ne remet pas en cause la séparation des ordonnateurs et des comptables qui demeure le principe cardinal de l'organisation de la chaîne financière et sort renforcé de la réforme. Ainsi, l'ordonnance porte-t-elle au niveau législatif la procédure de réquisition actuellement prévue par le décret relatif à la gestion budgétaire et comptable publique. Elle institue également une procédure de signalement permettant au comptable d'attirer l'attention de son ordonnateur sur des pratiques susceptibles de relever de la Cour, ce qui renforce son rôle de conseil. Enfin, les situations de gestion de fait, dès lors qu'une personne non habilitée vient agir dans le champ propre du comptable, constitueront une infraction du nouveau régime qui sera sanctionnée en tant que telle. La réforme met fin au régime de responsabilité personnelle et pécuniaire auquel sont soumis les comptables publics, mais elle ne modifie pas l'organisation comptable et ne signifie pas la disparition des missions des comptables qui conservent pleinement leur rôle en matière de contrôle des fonds publics. A cet égard, les comptables publics continueront de veiller à la régularité des opérations de dépenses et de recettes, conformément aux dispositions du décret GBCP (articles 19 et 20 du GBCP). L'objectif n'est pas d'amoindrir les contrôles des comptables mais de les centrer sur les enjeux les plus importants et sur les opérations les plus risquées dans le cadre d'une approche hiérarchisée. Dans la sphère locale, les élus locaux sont exclus du périmètre des justiciables, comme ils le sont actuellement pour la CDBF. En revanche, tout fonctionnaire ou représentant d'une collectivité locale, y compris les directeurs généraux des services (DGS), sont dans le champ des justiciables et pourront voir leur responsabilité engagée en cas de faute, comme c'est le cas aujourd'hui avec le régime de la CDBF. Ils pourront néanmoins être exonérés de toute responsabilité s'ils bénéficient d'un ordre écrit pouvant être une lettre de couverture émise par un élu ou une délibération d'un organe délibérant dûment informé présentant un lien direct avec l'affaire.
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