Question de M. OUZOULIAS Pierre (Hauts-de-Seine - CRCE) publiée le 07/07/2022
M. Pierre Ouzoulias demande à M. le ministre de l'intérieur et des outre-mer de l'informer des conditions de mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 213-2 du code du patrimoine, dans leur rédaction issue de l'article 25 de la loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021, relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement.
Revenant sur le principe de la libre communication des archives publiques, immédiatement ou après un délai précisément fixé par la loi, ces dispositions organisent un régime dérogatoire pour les archives produites par les services de renseignement et relatives à leurs procédures opérationnelles ou leurs capacités techniques, auxquels l'accès peut être refusé sans limite de temps (c et d du 3° du I de l'article L. 213-2 du code du patrimoine).
Le décret n° 2022-406 du 21 mars 2022 pris en application de cet article précise, qu'au-delà des services dits « spécialisés » visés à l'article R. 811-2 du code de la sécurité intérieure, ces dispositions sont étendues à la direction du renseignement, placée sous l'autorité du préfet de police, et aux services du renseignement territorial de la direction centrale de la sécurité publique, placés sous l'autorité du directeur général de la police nationale. Pratiquement, ces nouvelles dispositions concernent donc un nombre considérable d'entités administratives, en particulier les 255 services dont les implantations se trouvent dans les départements, à l'échelon infra-départemental, dans les antennes locales en zone de gendarmerie et dans les installations aéroportuaires.
Contrairement aux déclarations gouvernementales qui présentaient la loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 comme une « avancée majeure en faveur de l'ouverture des archives publiques », l'article L. 213-2 du code du patrimoine qui en est issu, par l'interprétation très extensive apportée par le décret n° 2022-406 du 21 mars 2022, donne donc aux archives de ces 255 services un statut dérogatoire et la possibilité pour le ministère de l'intérieur de refuser leur communication sans limitation de temps. La capacité de ce refus est discrétionnaire parce que, d'une part, confrontée à des archives de ce type, la commission d'accès aux documents administratifs se contente de « prendre acte » des décisions des services et parce que, d'autre part, pour les documents classifiés, la levée de la classification est si complexe et aléatoire, y compris pour les juges, qu'elle décourage par avance tous les travaux d'historiens en ces domaines. Ce sont donc des documents essentiels pour l'histoire politique de notre pays qui sont ainsi retirés du champ de la recherche historique.
Par ailleurs, les archives des anciens services des renseignements généraux étaient versées, selon l'usage, dans les fonds gérés par les archives départementales. Il lui demande si les documents produits par les services du renseignement territorial de la direction centrale de la sécurité publique continueront d'être versés dans les mêmes conditions aux archives départementales et si des instructions en ce sens sont prévues.
Enfin, il souhaite savoir comment ces derniers services vont satisfaire l'obligation légale d'information des usagers sur la communicabilité de ces documents, conformément aux dispositions de l'article L. 213-3-1 du code du patrimoine, et comment les lecteurs pourront exercer leur droit à un recours effectif, reconnu par l'article 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, quand les services d'archives dépositaires de ces actes les informeront de leur incommunicabilité.
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Transmise au Ministère de l'intérieur et des outre-mer
Réponse du Ministère de l'intérieur et des outre-mer publiée le 18/07/2024
En premier lieu, les dispositions de l'article L. 213-2 du Code du patrimoine ne permettent pas à l'administration de refuser indéfiniment l'accès à l'intégralité des archives des services de renseignement désignés par le décret n° 2022-406 du 21 mars 2022 pris en application de la loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement. D'une part, en application du paragraphe I de l'article L. 213-2 du Code du patrimoine, les archives publiques sont communicables de plein droit, à l'expiration d'un délai de cinquante ans à compter de la date du document, pour les documents dont la communication porte atteinte au secret de la défense nationale, aux intérêts fondamentaux de l'État dans la conduite de la politique extérieure, à la sûreté de l'État, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la protection de la vie privée. Dans sa rédaction issue de l'article 25 de la loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021, l'article L. 213 2 du code précité prolonge ce délai pour certaines catégories de ces documents, notamment ceux révélant des procédures opérationnelles ou des capacités techniques de services spécialisés de renseignement ou de certains autres services de renseignement. Pour cette catégorie spécifique de documents, elles reportent le terme de leur période de communication jusqu'à la survenue d'un événement déterminé, à savoir la perte de la valeur opérationnelle des procédures ou des capacités techniques des services de renseignement qui sont en cause et ont justifié la prolongation du délai. Cette perte traduit le renoncement, spontané ou contraint, des services de renseignement à faire usage desdites procédures ou capacités. Ce renoncement peut avoir trois origines : la divulgation subie, la caducité due à une évolution du contexte, et la caducité due à l'émergence de nouvelles procédures ou capacités jugées supérieures. Il convient par ailleurs de noter que les dispositions contestées s'appliquent sans préjudice de l'article L. 213-3 du Code du patrimoine, qui autorise l'accès aux documents d'archives publiques avant l'expiration des délais mentionnés à l'article L. 213-2, dans la mesure où l'intérêt qui s'attache à la consultation de ces documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. Le législateur a donc bien fixé une limite de temps, même si la loi ne l'exprime pas sous la forme d'un délai fixe. Le Conseil constitutionnel a d'ailleurs validé le dispositif législatif dans sa décision n° 2021-822 DC du 30 juillet 2021. D'autre part, ces dispositions ne visent en aucun cas les informations issues du renseignement et de son exploitation. Elles ne visent à protéger que les documents qui révèlent des procédures opérationnelles et des capacités techniques. Or, l'ensemble des documents des services de renseignement ne révèlent pas, par nature, les procédures opérationnelles et les capacités techniques de ces services, qui correspondent aux méthodes et savoir-faire propres à l'exercice de leur mission, notamment dans le domaine du renseignement humain, et qui ont été acquis au fil du temps. En effet, un principe de cloisonnement est appliqué de telle sorte qu'un document relatif à un renseignement recueilli évite de préciser les procédures opérationnelles au moyen desquelles ce renseignement a été recueilli. À titre d'exemple, le compte rendu d'un entretien avec une source n'indique pas les techniques de renseignement humain mises en oeuvre pour communiquer et échanger avec cette source. Ainsi, les dispositions de l'article L. 213-2 modifiées du Code du patrimoine ne visent pas à protéger tout ce que les services de renseignement ont fait de secret, mais uniquement ce qui doit demeurer secret, pour préserver leur capacité d'action. En outre, l'utilisation dans la loi du verbe « révéler » marque la nécessité de protéger une information encore inconnue du public. À l'inverse, si les procédures ou capacités en cause sont déjà connues du public, alors les documents qui en font état sont librement communicables à quiconque en fait la demande. Seule une partie des archives des services de renseignement mentionnés à l'article L. 811-4 du Code de la sécurité intérieure entre donc dans le champ des dispositions du d) du 3° du paragraphe I de l'article L. 213-2 du Code du patrimoine. En deuxième lieu, la formulation du décret n° 2022-406 du 21 mars 2022 pris en application de la loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement et codifié pour partie par l'article R. 213-10-1 du Code du patrimoine ne résulte pas d'une interprétation extensive de la loi. En effet, ce décret a pour seul objet de désigner, conformément au d) du 3° du I de l'article L. 213-2 du Code du patrimoine, les services de renseignement mentionnés à l'article L. 811-4 du Code de la sécurité intérieure pour lesquels le délai de communication de plein droit des archives publiques est prolongé pour les documents dont la communication porte atteinte aux intérêts mentionnés au premier alinéa du 3° de cet article L. 213-2 du Code du patrimoine et révèlent des procédures opérationnelles ou des capacités techniques desdits services. Les services désignés par ce décret sont les services du renseignement territorial relevant de l'autorité du directeur général de la police nationale à la direction nationale du renseignement territorial, et la direction du renseignement relevant de l'autorité du préfet de police. En troisième et dernier lieu, ces nouvelles dispositions ne remettent pas en cause le droit des usagers de demander la consultation et l'accès à l'ensemble des archives des services de renseignement mentionnés à l'article L. 811-4 du Code de la sécurité intérieure. D'une part, les services du renseignement territorial continueront de verser les documents qu'ils auront produits aux services départementaux d'archives en application de l'article L. 212-8 du Code du patrimoine. Les règles encadrant le versement et la conservation de ces documents ont été fixées par les circulaires AD-2001 du 3 juillet 2001 et DGP/SIAF/2010/008 du 2 mars 2010, accessibles en ligne sur le portail FranceArchives. L'accès à ces documents pourra être sollicité par les usagers auprès d'eux comme aujourd'hui. D'autre part, le législateur a introduit dans la loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 une disposition créant dans le Code du patrimoine un article L. 213-3-1 prévoyant que « les services publics d'archives informent les usagers, par tout moyen approprié, des délais de communicabilité des archives qu'ils conservent et de la faculté de demander un accès anticipé à ces archives conformément à la procédure prévue à l'article L. 213-3 ». Ces derniers disposent en effet de systèmes d'information archivistique qui permettent une gestion automatisée de la collecte et de la communication des documents qu'ils conservent. Ces services ont entrepris, dès la promulgation de la loi et en concertation étroite avec l'administration des archives, des repérages permettant d'identifier, notamment par le biais de leur description ou de l'identité de leur producteur, les dossiers dont les critères de communicabilité étaient susceptibles d'être modifiés. Ils ont pu, dès lors, mettre à jour les informations qui leur étaient attribuées dans les systèmes d'information archivistique pour signaler que ces dossiers étaient soit devenus librement communicables, soit, dans des cas extrêmement rares, entraient dans les nouvelles catégories introduites par la loi. Ces mêmes systèmes d'information archivistique se prolongent généralement d'un module permettant aux usagers de procéder à la commande des documents d'archives qu'ils souhaitent consulter. S'ils ne sont pas librement communicables, il leur est automatiquement proposé de déposer une demande d'accès anticipé, dit « par dérogation », qui sera traitée conformément au I de l'article L. 213-3 du Code du patrimoine, dont la rédaction n'a pas été modifiée par la loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021. Enfin, les décisions expresses ou implicites de refus de consultation ou de communication de documents d'archives publiques fondées sur les dispositions de l'article L. 213-2 du Code du patrimoine issues de l'article 25 de la loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 peuvent faire l'objet d'un recours juridictionnel effectif. Ainsi que le prévoit l'article L. 342-1 du Code des relations entre le public et l'administration (CRPA), il appartient au demandeur, préalablement à l'exercice d'un recours contentieux, de saisir la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) dans le délai de deux mois à compter de la notification d'une décision expresse ou de la naissance de la décision implicite de rejet. Elle dispose d'un délai d'un mois pour se prononcer et notifier son avis à l'administration mise en cause et au demandeur. Le silence gardé pendant deux mois par l'administration après réception de l'avis de la CADA vaut décision de refus, que le demandeur peut alors contester devant le juge, dans le délai de recours de droit commun de deux mois, dans le cadre d'un recours en annulation. Il appartient alors au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de contrôler tant la régularité que le bien-fondé d'une décision de refus de consultation ou de refus de consultation anticipée, en exerçant un contrôle entier, qui n'est donc pas limité à l'erreur manifeste d'appréciation (CE, Assemblée, 12 juin 2020, n° 422327, 431026, au recueil). Par ailleurs, le juge de l'excès de pouvoir dispose des prérogatives lui permettant de contrôler les décisions opposant un refus à la demande de consultation anticipée des archives publiques couvertes par le secret de la défense nationale, celui-ci pouvant prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction sur les points en litige sans porter atteinte au secret de la défense nationale. Le juge dispose notamment du pouvoir de se faire communiquer, si elles ne sont pas classifiées au titre du secret de la défense nationale, les archives demandées, sans les soumettre au contradictoire, afin de fonder son appréciation des conséquences de leur communication (CE 29 juin 2011 n° 335072, au recueil Lebon). Il peut également, s'il l'estime utile, demander à l'autorité administrative de saisir la commission consultative du secret de la défense nationale d'une demande tendant à la déclassification de documents dont la consultation anticipée est demandée (CE, 1er octobre 2015, n° 373019, mentionné aux tables).
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