Question de M. LEFÈVRE Antoine (Aisne - Les Républicains) publiée le 28/07/2022
M. Antoine Lefèvre attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice sur les quatre arrêts rendus le 12 juillet 2022 par la Cour de cassation, portant sur la conservation des données de connexion téléphoniques et sur leur incidence sur le bon déroulement des enquêtes pénales.
Destinés à faire entrer le droit interne en conformité avec une série de décisions rendues par la Cour de justice de l'Union européenne, ces arrêts entérinent l'interdiction pour le juge de conserver les données de trafic et de localisation téléphoniques de façon généralisée et indifférenciée, dans un objectif de renforcement du droit au respect de la vie privée et de la protection des données à caractère personnel.
Ce nouvel impératif prive ainsi les magistrats du Parquet ainsi que les forces de police judiciaire d'un outil précieux dans l'identification des auteurs de crimes ou d'infractions graves, et pose un obstacle majeur à la conduite des enquêtes pénales.
La Cour de cassation conditionne par ailleurs à deux critères nouvellement créés la possibilité de déroger au principe de non-conservation des données téléphoniques : le premier étant la qualification, inexistante en droit français, de « criminalité grave » de l'infraction concernée, le second étant le contrôle systématique par une juridiction ou une entité administrative indépendante du bon respect des droits fondamentaux. Ce dernier pose plusieurs problèmes juridiques et constitutionnels en ce qu'ils requerraient soit l'intervention d'une autorité administrative extérieure dans une procédure judiciaire, allant à l'encontre de l'article 66 de la Constitution, soit le recours systématique à un contrôle du juge des libertés et de la détention, ce qui serait susceptible d'alourdir encore davantage le volume de contentieux dans un contexte de moyens constants des effectifs.
Sans remettre en cause l'objectif de convergence et d'intégration des systèmes juridiques au sein de l'Union européenne, ni le principe de primauté du droit de l'Union, il apparaîtrait toutefois qu'une incompatibilité de fond soit apparue en l'espèce entre lutte contre la criminalité et protection du droit à la vie privée.
Aussi, il lui demande quels ajustements il sera en mesure de procéder aux fins de donner au ministère public l'entièreté de ses moyens d'action et de ne pas obérer les chances de résolution des enquêtes criminelles.
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Réponse du Ministère de la justice publiée le 09/03/2023
Les éléments de preuves résultant de l'exploitation des données obtenues grâce aux réquisitions délivrées aux opérateurs de téléphonie mobile revêtent une importance majeure pour la manifestation de la vérité dans le cadre des investigations pénales. La question de la conservation et de l'accès de ces données pour les besoins des enquêtes pénales fait l'objet d'une jurisprudence restrictive de la Cour de justice de l'Union européenne depuis 2016, en raison des exigences inhérentes au droit de chacun au respect de sa vie privée. Les arrêts rendus par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 12 juillet 2022 tirent les conséquences des décisions rendues par la Cour de justice de l'Union européenne. D'une part, la Cour de cassation énonce que les données de connexion ne peuvent être obtenues que dans le cadre d'enquête pénales relatives à des infractions d'une certaine gravité. Sur ce point, la loi n° 2022-299 du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire avait déjà limité une telle possibilité aux enquêtes relatives à une infraction punie d'au moins trois ans d'emprisonnement en application notamment du nouvel article 60-1-2 du code de procédure pénale. L'appréciation du caractère grave de la criminalité par les juridictions est également effectuée au regard de la nature des agissements de la personne mise en cause, de l'importance du dommage qui en résulte, des circonstances de la commission des faits et de la durée de la peine encourue. D'autre part, la Cour de cassation précise que la délivrance de réquisitions relatives aux données de connexion doit faire l'objet d'un contrôle préalable par une juridiction ou une autorité administrative indépendante au sens où l'entend la Cour de justice de l'Union européenne. Or, un tel contrôle, portant notamment sur la nécessité et la proportionnalité des réquisitions, est réalisé par les services du parquet selon les dispositions actuelles du code de procédure pénale relatives à l'enquête préliminaire et de flagrance. La Cour de cassation a toutefois jugé que les éléments de preuve ainsi obtenus ne peuvent être annulés que si une telle irrégularité portait concrètement atteinte aux droits de la personne poursuivie. Cette interprétation permet de limiter les cas dans lesquels la nullité des actes serait encourue et de sauvegarder la plupart des procédures pénales en cours. Dès le mois de juillet 2022, des guides à destination des juridictions pénales ont été diffusés afin d'exposer la portée des décisions de la Cour de cassation et de les accompagner dans la mise en uvre de leurs conséquences. Par ailleurs, une réflexion approfondie est actuellement menée par les services du ministère afin d'apporter une solution juridiquement robuste et acceptable en pratique permettant de garantir l'efficacité de l'action des magistrats et des services enquêteurs en matière de lutte contre la criminalité.
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