Question de Mme LE HOUEROU Annie (Côtes-d'Armor - SER) publiée le 24/11/2022
Mme Annie Le Houerou attire l'attention de M. le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion sur les effets possibles du système de location-gérance mis en place par le groupe Carrefour et les risques que cette externalisation fait peser sur les salariés et leurs droits.
En effet, Carrefour envisage de confier la gestion de son hypermarché de Langueux, près de Saint-Brieuc, à une entreprise tierce dans le cadre d'une location-gérance : 230 salariés seraient impactés. La location-gérance permet à Carrefour d'externaliser les salariés de certains de ses magasins, et donc de ne pas payer les salaires et les cotisations sociales induites, tout en gardant la main mise sur l'activité et les profits.
Il s'agit d'un système idéal pour les dirigeants de Carrefour et ses actionnaires, mais beaucoup moins pour les salariés, qui ne peuvent alors pas bénéficier du modèle social de l'entreprise mère. Cela entraînerait donc une précarisation des salariés qui ne seraient plus protégés par la convention collective.
De son côté, Carrefour affirme qu'aucune décision n'a encore été prise et rappelle que la stratégie engagée depuis quelques années consiste à « passer en location-gérance des magasins déficitaires afin d'éviter, le cas échéant, des conséquences dommageables pour l'emploi, comme devoir fermer des magasins ». Pour le groupe, la location-gérance est « aujourd'hui le seul modèle de gestion qui permette de redresser la performance de ces magasins en grande difficulté ».
Elle souhaite donc savoir si le Gouvernement envisage de légiférer sur le système de location-gérance pour l'encadrer et ainsi éviter que des entreprises telles que Carrefour en abusent au détriment des salariés et de leurs droits.
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Transmise au Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique
Réponse du Ministère auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de la transition numérique et des télécommunications publiée le 14/12/2022
Réponse apportée en séance publique le 13/12/2022
M. le président. La parole est à Mme Annie Le Houerou, auteure de la question n° 275, transmise à M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Mme Annie Le Houerou. Monsieur le ministre, ma question porte sur les effets possibles et redoutés du système de location-gérance mis en place par le groupe Carrefour et les risques que cette externalisation fait peser sur les salariés et sur leurs droits.
Dans le département des Côtes-d'Armor, Carrefour envisage de confier la gestion de son hypermarché de Langueux, près de Saint-Brieuc, à une entreprise tierce dans le cadre d'une location-gérance. Ce serait également le cas du site de Guingamp, le site de Paimpol étant déjà passé sous ce statut. À Trégueux, 230 salariés sont concernés et inquiets.
Les exemples se multiplient : en 2023, la direction de Carrefour prévoit de faire passer 41 magasins, dont 16 hypermarchés, en location-gérance.
La location-gérance permet au groupe Carrefour d'externaliser les salariés de ses magasins et donc de ne pas payer les salaires dans les mêmes conditions, tout en gardant la maîtrise sur l'enseigne, l'activité et les profits.
Il s'agit d'un système intéressant pour les dirigeants de Carrefour et ses actionnaires, mais beaucoup moins pour les salariés. Ces derniers ne pourront plus bénéficier des avantages sociaux de l'entreprise mère, ce qui entraînera leur précarisation, car ils ne seront plus protégés par la convention collective.
Alors que le groupe a présenté au mois de novembre son plan stratégique « Carrefour 2026 », qui doit notamment permettre de réaliser 4 milliards d'euros d'économies d'ici à quatre ans, Carrefour se veut rassurant en indiquant qu'aucune décision n'a encore été prise. Il rappelle que cette stratégie engagée depuis quelques années, qui consiste à passer en location-gérance des magasins déficitaires, permet d'éviter leur fermeture et donc des conséquences dommageables pour l'emploi.
De notre côté, nous sommes inquiets face au risque de casse sociale et de perte d'acquis sociaux pour ces salariés, et ce alors que la situation de Carrefour est positive, si l'on en juge par ses résultats et la rétribution des actionnaires.
Monsieur le ministre, comment le Gouvernement envisage-t-il d'encadrer le système de location-gérance afin d'éviter que des entreprises comme Carrefour n'en abusent, au détriment des salariés et de leurs droits ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de la transition numérique et des télécommunications. Madame la sénatrice Annie Le Houerou, pour le droit du travail, la location-gérance constitue une forme de modification de la situation juridique de l'employeur.
Cette modification est encadrée et présente des garanties pour les salariés. En cas de location-gérance, tous les contrats de travail en cours subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise. Ce contrat est utilisé par près de 2 000 entrepreneurs chaque année.
À jurisprudence constante, il ressort de l'analyse de la Cour de cassation que la mise en location-gérance de magasins du groupe Carrefour n'entraînera aucune modification des éléments essentiels du contrat de travail des salariés concernés par le transfert, notamment en matière de rémunération et de conditions de travail.
S'agissant du statut collectif, la location-gérance emporte la mise en cause des accords collectifs. En effet, les conventions et accords collectifs restent applicables à l'ensemble des salariés jusqu'à l'entrée en vigueur de conventions ou accords de substitution.
À défaut d'accord, les dispositions conventionnelles continuent à s'appliquer pendant un an à compter de l'expiration du préavis de trois mois, soit quinze mois au total. Si, au terme de ce délai, il n'a pas été conclu d'accord d'adaptation ou de substitution, les salariés bénéficient d'une garantie de rémunération dont le montant annuel ne peut être inférieur à la rémunération versée, en application de la convention ou de l'accord mis en cause, lors des douze derniers mois.
S'agissant de la convention collective de branche applicable, deux situations sont possibles. Si l'entreprise qui reprend l'activité est soumise à la même convention collective, il n'y a pas de changement pour le salarié, qui continue à en bénéficier. Si elle relève d'une convention collective différente, l'application de l'ancienne convention collective de branche des salariés transférés sera automatiquement remise en cause et cessera après un délai maximum de quinze mois.
Concernant la mise en location-gérance de magasins du groupe Carrefour, il est probable que l'activité reste la même. La convention collective du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire devra alors continuer de s'appliquer.
Il ressort ainsi que le cadre législatif existant de la location-gérance protège le droit des salariés tout en constituant une opportunité pour tous les entrepreneurs. Il n'apparaît donc pas nécessaire de modifier la législation en vigueur.
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