Question de M. KANNER Patrick (Nord - SER) publiée le 02/02/2023

Question posée en séance publique le 01/02/2023

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Patrick Kanner. Madame la Première ministre, pour la quatrième semaine consécutive, nous vous interrogeons sur la réforme des retraites. Et je crains que, pour la quatrième fois consécutive, vous ne persistiez…

Il y a dix jours, le ministre Dussopt déclarait que cette réforme était destinée à « rétablir un maximum d'égalité ». Hier, il nous a dit que, sans ce texte, nous assisterions à une baisse de 20 % du niveau moyen des pensions des retraités.

Vous-même, madame la Première ministre, défendez cette réforme en l'inscrivant dans une démarche de défense du modèle social français. Mme Brigitte Macron, pour sa part, a affirmé qu'elle était nécessaire pour assurer une retraite aux jeunes. Pendant ce temps, le Président de la République la juge « indispensable quand on se compare à l'Europe ».

Bref, mes chers collègues : une réforme idéale, la mère de toutes les réformes ! Alors, que demande le peuple ?

Eh bien, le peuple vous a donné hier dans la rue, toutes générations et tous territoires confondus, une éclatante réponse. Il ne veut pas de votre réforme, de ce nouvel impôt sur la vie que vous défendez avec obstination, quoi qu'il en coûte.

Ce que nous savons, c'est que le « rendement financier » – pour reprendre votre expression, madame la Première ministre – de votre réforme sert à faire des économies sur le dos des ouvriers et des employés, qu'ils soient issus des classes populaires ou des classes moyennes.

Mais ne pouvez-vous pas faire ces économies ailleurs et éviter de prendre aux Français les plus modestes ?

Ce que nous savons, c'est que vous voulez offrir au Président de la République « sa » grande réforme. J'en suis désolé, mais nous n'avons cure de l'ambition personnelle d'Emmanuel Macron. Il y a d'autres priorités quand la fracture sociale s'aggrave, quand l'inflation rogne le pouvoir d'achat des petits salaires, quand des étudiants, des salariés pauvres et des personnes âgées font la queue devant les soupes populaires.

Écoutez les Français et répondez à ma question : quand retirerez-vous votre réforme des retraites ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

M. Jean-Marc Todeschini. Très bien !


Réponse du Première ministre publiée le 02/02/2023

Réponse apportée en séance publique le 01/02/2023

M. le président. La parole est à Mme la Première ministre.

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Monsieur le président Kanner, il y a selon moi des principes essentiels en politique : dire la réalité aux Français sans tordre les chiffres, sans vendre d'illusions et sans relayer des contrevérités. (Protestations sur les travées du groupe SER.)

M. François Patriat. Très bien !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Aussi, parlons de faits.

M. Rachid Temal. Comme ceux que relaie Franck Riester ?

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Aujourd'hui, le nombre d'actifs qui cotisent diminue par rapport au nombre de retraités : c'est un fait. Dans les années 1950, il y avait quatre actifs pour un retraité. Ils n'étaient plus que deux au début des années 2000. Aujourd'hui, il n'y a plus que 1,7 actif pour un pensionné, et l'on sait que ce chiffre continue de diminuer.

M. Jean-Marc Todeschini. Faites payer les entreprises !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Cela, ce n'est pas une opinion politique, monsieur le président Kanner. C'est une réalité démographique, qui menace notre système de retraite par répartition. (Marques de scepticisme sur les travées des groupes SER et CRCE.)

De ce fait, notre système de retraite sera en déficit dans les prochaines années, et ce déficit va s'aggraver. Là encore, ce n'est pas moi qui le dis ou mon gouvernement qui le décrète : c'est un fait partagé par le Conseil d'orientation des retraites (COR) ! (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

M. David Assouline. Il dit au contraire qu'il n'y avait pas d'urgence à réformer !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Je vous le rappelle : aucun scénario du COR ne prévoit l'équilibre de notre système en 2030. D'ici à dix ans, ce sont près de 150 milliards d'euros de déficit que nous cumulerons et que nous laisserons à notre jeunesse si nous ne faisons rien. (Mêmes mouvements.)

M. Rachid Temal. Et vous supprimez la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) !

M. Jean-Marc Todeschini. Vous prenez sur les pauvres !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. C'est la raison pour laquelle le Premier président de la Cour des comptes a déclaré la semaine dernière que notre système de retraite n'était pas soutenable en l'état et qu'une réforme était indispensable.

Voilà pour les faits, monsieur le président Kanner. Passons maintenant aux conséquences.

Ce dont nous avons discuté avec les organisations patronales, les organisations syndicales et les différents groupes parlementaires, c'est de l'avenir de notre système de retraite par répartition, en travaillant progressivement plus longtemps.

M. Jean-Marc Todeschini. Les syndicats ne sont pas d'accord !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. C'est ce qu'ont fait tous nos voisins européens. (Nouvelles marques de scepticisme sur les travées des groupes SER et CRCE.)

Mme Michelle Gréaume. Pas tous !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. C'est aussi le choix que des majorités de droite et de gauche ont fait avant nous.

Je vous rappelle, monsieur le président Kanner, que vous avez vous-même, avec le parti socialiste, soutenu la réforme de Mme Touraine, qui allait exactement dans le même sens ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)

Vous avez changé d'avis, monsieur Kanner… (Vives protestations sur les travées du groupe SER.)

M. Hussein Bourgi. C'est vous qui avez changé d'avis et qui avez retourné votre veste !

M. le président. Mes chers collègues, si vous ne laissez pas Mme la Première ministre s'exprimer jusqu'au bout, je doute que M. Kanner puisse ensuite répliquer !

M. Philippe Pemezec. La gauche parle à la gauche…

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Vous avez changé d'avis, disais-je, et c'est votre droit. Mais que proposez-vous ?

Pour financer notre modèle social et pour combler ce déficit, il n'y a que deux autres options. Soit vous voulez baisser les pensions et vous pénaliserez ainsi les petites retraites et les classes moyennes, en les privant du fruit du travail d'une vie (Protestations sur les travées du groupe SER.),…

M. Hussein Bourgi. Mensonge !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. … soit vous voulez augmenter drastiquement les cotisations et les impôts pesant sur les salaires ou pénalisant les artisans, les TPE, les PME et tous ceux qui font notre vie économique, brisant ainsi la dynamique de l'emploi.

Monsieur le président Kanner, puisque nous partageons une volonté commune de vérité, exposez-nous la solution de rechange que vous proposez aux Français : la baisse du pouvoir d'achat ou la hausse du chômage ?

M. Jean-Marc Todeschini. Démagogie !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, notre projet est animé par une seule volonté : assurer l'avenir de notre système de retraite par répartition.

Nous portons un projet qui permet le retour à l'équilibre en 2030, en travaillant progressivement plus longtemps. Je mesure ce que cela représente pour de nombreux Français, et je sais que nous ne sommes pas tous égaux devant le travail.

C'est pourquoi nous avons veillé à répartir l'effort le plus équitablement possible, notamment en tenant compte de la situation de ceux qui ont commencé à travailler tôt ou qui ont un métier difficile.

Je veux aussi le souligner : les femmes partiront en moyenne plus tôt à la retraite que les hommes, alors que c'est le contraire aujourd'hui.

M. David Assouline. Ce n'est pas ce que dit Franck Riester !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Enfin, cette réforme permettra d'augmenter les plus petites pensions des futurs retraités comme des retraités actuels. Nous pourrions peut-être au moins nous retrouver sur ce point, puisqu'il était défendu par votre candidate à l'élection présidentielle…

Bien sûr, nous entendons les inquiétudes et les doutes. Nous sommes prêts à enrichir le texte,…

M. Vincent Éblé. Il faut le retirer, pas l'enrichir !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. … et je ne doute pas que le Parlement y contribuera. Nous travaillerons avec tous ceux qui partagent notre volonté de préserver notre modèle social. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour la réplique.

M. Patrick Kanner. Madame la Première ministre, votre réponse est inéquitable, puisque vous ne demandez aucun effort aux plus aisés de nos concitoyens. C'est votre choix : vous êtes manifestement la Première ministre des plus riches ! (Exclamations sur les travées des groupes RDPI et Les Républicains.)

M. François Patriat. C'est honteux !

M. Patrick Kanner. Je tiens à vous faire part de ces propos que j'ai entendus dans une manifestation hier : « Nous ne sommes pas des feignants ; nous voulons juste profiter un peu du fruit de notre travail avant de mourir. » (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Bonhomme. N'importe quoi…

M. Patrick Kanner. Madame la Première ministre, écoutez ce message et sortez de votre équation comptable. Ayez un peu de bienveillance vis-à-vis des Français : de grâce, retirez votre réforme ! (Vifs applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

M. Rachid Temal. Très juste !

- page 602

Page mise à jour le