Question de M. BRISSON Max (Pyrénées-Atlantiques - Les Républicains) publiée le 06/04/2023
M. Max Brisson appelle l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse à propos des conséquences des dispositions d'encadrement de la délivrance de l'autorisation d'instruction dans la famille (IEF).
Entrée en vigueur à la rentrée 2022 pour l'article 49 relatif à l'IEF, la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a placé le recours à l'IEF sous autorisation pour quatre motifs restrictifs.
Les trois premiers motifs (santé ou handicap, pratiques artistiques ou sportives intensives, itinérance ou éloignement d'un établissement public) ouvrent les droits au Centre national d'éducation à distance (CNED) réglementé, sur justificatifs. Le quatrième motif quant à lui est « une situation propre à l'enfant motivant un projet éducatif », sous réserve de la capacité des parents et dans le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant. Toutefois, ils soulèvent de nombreux paradoxes qui restreignent grandement la délivrance de l'autorisation.
Concernant le premier motif, la grande majorité des académies exige un certificat de médecin spécialiste ou une notification de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) prouvant que l'IEF est absolument indispensable à l'enfant. Pourtant, les rendez-vous avec un médecin spécialiste prennent souvent plusieurs mois (8 mois en moyenne pour un pédopsychiatre), alors que les MDPH ont souvent des délais de traitement pouvant aller jusqu'à 9 mois.
En outre, de nombreux enfants présentant un trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), autistes - non diagnostiqués, en cours de diagnostic, ou dont le handicap ou la maladie n'est pas reconnue s'en retrouvent exclus alors que d'autres, avec maladie ou handicap reconnu, sont confrontés au déficit d'aménagements à l'école mais essuient tout de même des refus d'autorisation, sous prétexte que la scolarisation en établissement est théoriquement possible.
Concernant le deuxième motif, de nombreuses associations artistiques ou sportives ne sont pas reconnues par le ministère, alors même que la pratique de l'enfant y est intensive. Le troisième motif quant à lui oblige les familles à déposer leur demande sur une fenêtre réduite, entre le 1er mars et le 31 mai, or l'itinérance n'est pas toujours anticipée aussi à l'avance. Enfin, le quatrième motif apparait comme un motif flou, dont l'interprétation est libre ; il est source de près de 500 contentieux administratifs cette année.
À peine la moitié des nouvelles demandes ont été acceptées cette année avec de très fortes disparités territoriales, reconnues par le ministère, et certaines académies, notamment Toulouse, présentent même un ratio de 100% de refus. Les jugements négatifs sont d'ailleurs souvent liés aux plaidoiries de la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) pour les rectorats devant les tribunaux, qui joue sur l'esprit de la loi en arguant le fait que l'autorisation d'instruire en famille doit résonner avec une impossibilité stricte de scolarisation.
Or cela ne correspond pas à l'esprit du législateur qui a introduit ce quatrième motif pour respecter la liberté d'instruction, conformément à la loi Ferry du 28 mars 1882 qui indique « l'instruction primaire (
) soit dans les familles ». Elle est d'ailleurs citée dans la décision n°77-87 DC du Conseil constitutionnel du 23 novembre 1977 qui considère la liberté de l'enseignement comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République, principe réaffirmé par le Préambule de la Constitution de 1946 auquel la Constitution de 1958 a conféré valeur constitutionnelle.
Aussi, face à la volonté persistante du Gouvernement de restreindre le recours à cette méthode d'instruction, il l'interroge sur les raisons de cet encadrement particulièrement restrictif, qui porte atteinte à un principe constitutionnel.
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Transmise au Ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse
Réponse du Secrétariat d'État auprès du ministre des armées et du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, chargé de la jeunesse et du service national universel publiée le 13/10/2023
Réponse apportée en séance publique le 12/10/2023
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, auteur de la question n° 563, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
M. Max Brisson. La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a fortement restreint la possibilité de recourir à l'instruction en famille (IEF) en instaurant un régime d'autorisation fondé sur quatre motifs : la santé ou le handicap, motif qui ne tient compte ni des délais des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) ni des enfants dont le handicap ou la maladie n'est pas reconnu ; une pratique artistique ou sportive intensive, motif qui ne tient pas compte du manque de reconnaissance par le ministère de nombreuses associations où la pratique est intensive ; l'itinérance ou l'éloignement, motif qui n'intègre pas le caractère imprévisible des mobilités, contraintes dans une fenêtre de dépôt entre le 1er mars et le 31 mai.
Si ces trois premiers motifs, par leurs restrictions, soulignent votre volonté de « scolarisation à tout prix », c'est bien le quatrième motif qui justifie ma question : « Une situation propre à l'enfant motivant un projet éducatif. »
Ce motif laisse la part belle à l'administration, comme en témoignent les cinq cents contentieux administratifs recensés. En outre, la moitié des nouvelles demandes de 2023 ont été rejetées, et un ratio de 100 % de refus dans l'académie de Toulouse a pu être observé.
Les plaidoiries de la direction générale de l'enseignement scolaire (Dgesco) lors des contentieux n'indiquent-elles pas que l'autorisation doit résonner avec une impossibilité stricte de scolarisation ? Or cela n'a jamais été l'esprit du législateur !
Aussi, madame la secrétaire d'État, j'aimerais savoir si le ministère de l'éducation nationale a fait passer des instructions pour restreindre à sa plus simple expression la capacité des familles à recourir à l'IEF. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Prisca Thevenot, secrétaire d'État auprès du ministre des armées et du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, chargée de la jeunesse et du service national universel. Monsieur le sénateur Brisson, depuis la rentrée scolaire 2022, il ne peut être dérogé à l'obligation de scolarisation dans un établissement scolaire public ou privé que sur autorisation préalable d'instruction en famille délivrée par les services académiques, pour des motifs tirés de la situation de l'enfant et limitativement définis par la loi.
Au titre de l'année scolaire 2023-2024, un peu plus de 50 000 demandes d'autorisation d'IEF ont été instruites. Elles ont donné lieu à une large majorité d'autorisations - 89 %, soit 43 907 autorisations -, essentiellement des autorisations de plein droit, pour 72 % d'entre elles, et 28 % au titre de l'un des quatre motifs prévus par la loi. Ces demandes ont donc donné lieu à une minorité de refus.
Je vous livre quelques éléments chiffrés sur le contentieux relatif à ces décisions : 39,4 % des refus ont fait l'objet d'un recours administratif préalable obligatoire (Rapo) devant une commission académique présidée par le recteur et composée d'une équipe pluridisciplinaire qui peut se prononcer sur des aspects aussi bien pédagogiques que médicaux dans l'intérêt de l'enfant ; 37 % des décisions ont été réformées, permettant ainsi une harmonisation à l'échelle académique ; 59 % des Rapo instruits concernent des décisions de refus au titre du quatrième motif.
Il est à noter que le Conseil d'État a clarifié dans plusieurs décisions du 13 décembre 2022 les conditions d'application de la loi.
Lorsqu'ils sont saisis d'une demande d'autorisation d'IEF fondée sur l'un des quatre motifs d'autorisation définis par la loi, les services académiques doivent rechercher, au vu de la situation de l'enfant, quels sont les avantages et les inconvénients pour lui de son instruction dans un établissement scolaire, d'une part, et de son instruction dans la famille selon les modalités exposées par la demande, d'autre part. À l'issue de cet examen, ils doivent retenir la forme d'instruction la plus conforme à son intérêt.
Ainsi, il ne s'agit pas d'interdire sans discernement tous les dispositifs d'instruction en famille et de porter atteinte aux pratiques positives. À cet égard, les services du ministère de l'éducation nationale accompagnent les services académiques dans la mise en oeuvre du nouveau régime d'autorisation d'instruction en famille.
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, pour la réplique.
M. Max Brisson. Madame la secrétaire d'État, une réponse à une question orale ne doit pas se résumer à la lecture d'une circulaire du ministère. Ou alors l'exercice n'a plus aucun intérêt !
En fait, il se passe ce que nous craignions : si l'on excepte les autorisations anciennes, l'administration a une attitude extrêmement draconienne. Soyons clairs, madame la secrétaire d'État, le « en même temps » ne trompe plus personne : soit vous assumez votre volonté de supprimer l'IEF, soit vous rétablissez un régime de déclaration, seul à même de garantir ce droit. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
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