Question de Mme PAOLI-GAGIN Vanina (Aube - Les Indépendants-R) publiée le 11/05/2023

Mme Vanina Paoli-Gagin attire l'attention de Mme la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche sur l'impossibilité, pour les chercheurs de la fonction publique, d'assurer la présidence d'une holding.

Depuis la loi n° 99-587 du 12 juillet 1999 sur l'innovation et la recherche, les pouvoirs publics n'ont eu de cesse d'encourager l'entrepreneuriat chez les chercheurs. Les chercheurs se situent en effet à la pointe des connaissances dans leur domaine d'expertise et peuvent y développer des innovations par la création d'entreprise.

Depuis lors, plusieurs avancées ont été réalisées qui vont dans ce sens. C'est notamment le cas avec, d'une part, la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (dite loi PACTE), qui a élargi les possibilités ouvertes aux fonctionnaires et aux contractuels de la recherche publique de participer, à titre personnel, à une entreprise existante ou à la création d'une entreprise, en qualité d'associé ou de dirigeant et, d'autre part, la loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur, qui a assoupli les conditions de participation des chercheurs à des entreprises privées, que ce soit pour en devenir associé ou dirigeant ou bien dans le cadre d'une collaboration scientifique.

Cependant, malgré ces assouplissements, un problème subsiste qui freine le développement de l'entrepreneuriat auprès des chercheurs qui souhaitent détenir des parts de capital au sein d'une startup. En effet, lorsque des fonctionnaires et contractuels de la recherche publique détiennent des actions, ils ne peuvent pas les loger dans une holding dont ils assureraient la présidence ou le contrôle, à cause d'une incompatibilité statutaire. Or la holding est bien souvent la structure la mieux adaptée pour permettre à un entrepreneur de détenir des parts dans plusieurs entreprises.

Cette incompatibilité est d'autant moins compréhensible que la faculté de détenir des actions est permise pour la détention d'une société civile immobilière (SCI). Il semble pourtant que la contribution des chercheurs est plus précieuse pour l'économie et la création de valeur lorsqu'elle concerne l'investissement dans des startups plutôt que dans des SCI.

Aussi, elle souhaite savoir si elle compte lever ce blocage. Elle souhaiterait également disposer d'éclairages supplémentaires de la part du Gouvernement afin de comprendre la logique justifiant un tel blocage législatif.

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Transmise au Ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche


Réponse du Ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche publiée le 22/02/2024

En vertu du droit commun de la fonction publique, un chercheur est autorisé à détenir des parts sociales dans une entreprise mais ne peut diriger une entreprise (article L. 123-1 du code général de la fonction publique). Cependant, depuis la loi n° 99-587 du 12 juillet 1999 sur l'innovation et la recherche, un cadre juridique dérogatoire a été instauré permettant aux fonctionnaires civils du service public de la recherche de prendre légalement des intérêts dans une entreprise privée tout en continuant à exercer des missions de service public, selon différentes formes et dans des situations très circonscrites. Ces dispositifs s'inscrivent dans une volonté d'augmenter les collaborations de recherche public-privé et de favoriser le transfert des résultats de la recherche publique vers le monde économique. C'est pourquoi chacun des dispositifs est soumis à la condition que l'entreprise en création ou existante valorise, en vertu d'un contrat conclu entre elle et la personne publique, des travaux de la recherche publique. En particulier l'article L. 531-1 du code de la recherche dispose que les chercheurs « peuvent être autorisés à participer à titre personnel, en qualité d'associé ou de dirigeant, à la création d'une entreprise dont l'objet est d'assurer, en exécution d'un contrat conclu avec une personne publique, une entreprise publique ou une personne morale mandatée par ces dernières, la valorisation de travaux de recherche et d'enseignement, que ces travaux aient été réalisés ou non par ces fonctionnaires dans l'exercice de leurs fonctions ». Ce dispositif dérogatoire a été confirmé et renforcé aussi bien par l'article 119 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « loi Pacte », que par l'article 24 de la loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 (LPR). Cette dernière a notamment créé au code la recherche un article L. 531-6 qui étend la possibilité de participer à titre personnel, en qualité d'associé ou de dirigeant, à une entreprise déjà créée. La possibilité ainsi ouverte aux chercheurs de diriger une entreprise existante ou à la création de laquelle ils ont participé est strictement limitée quant à l'objet de l'entreprise, qui doit viser à valoriser des travaux de recherche et d'enseignement dans le cadre d'une nécessaire collaboration entre recherche publique et entreprises. C'est ainsi « l'intérêt général qui s'attache à la mission de service public de « valorisation des résultats de la recherche au service de la société, qui s'appuie sur l'innovation et le transfert de technologie« (article L. 112-1 du code de la recherche) » qui justifie le caractère dérogatoire du régime prévu aux articles L. 531-1 à L. 531-17 du code de la recherche par rapport au droit commun de la fonction publique. Or, la direction d'une holding n'entre pas dans le champ de ces dispositifs dérogatoires. En effet, une holding, qui n'a pas de statut propre, est une société qui a pour vocation de détenir des parts ou actions d'autres sociétés afin d'en assurer une unité de direction et de contrôle. Elle peut donc être assimilée à une société mère, qui détient la majorité du capital d'une ou plusieurs autres sociétés (filiale) et qui exerce un contrôle unique sur ses filiales, en tire des bénéfices et éventuellement, cède une partie de ses titres afin de réaliser des plus-values. Par son objet et l'intérêt financier qu'elle poursuit, elle ne peut donc être comparée à la direction d'une entreprise qui répond à un intérêt général bien identifié de valorisation de la recherche, au sens des dispositions du code de la recherche. Au bilan, s'il est constant que les chercheurs peuvent détenir des parts sociales dans des entreprises et assurer la direction d'entreprises ayant pour objet la valorisation de la recherche dans des conditions précises prévues par le code de la recherche, la direction d'une holding, qui ne répond pas au même objet, est, en l'état du droit, interdite aux chercheurs comme à tous les autres fonctionnaires en vertu de l'article L. 123-1 du code général de la fonction publique. Prendre une disposition législative spéciale dérogeant à celles générales du code général de la fonction publique pour permettre aux chercheurs de diriger une holding ne pourrait être envisagée que sous réserve, d'une part, d'une définition précise de la notion de holding et, d'autre part, de l'existence d'un intérêt général solide susceptible de justifier une dérogation au droit commun de la fonction publique. Or, un tel intérêt général justifiant que soit réservé aux chercheurs un traitement différent de celui appliqué autres agents publics apparait difficile à identifier et sécuriser.

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