Question de Mme COHEN Laurence (Val-de-Marne - CRCE) publiée le 08/06/2023

Mme Laurence Cohen attire l'attention de M. le ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports sur la privatisation de la ligne de fret du train des primeurs Perpignan-Rungis.

Le 23 mai 2023, il a détaillé les pistes des « gages » négociés avec la Commission européenne. Elles prévoient la suppression de 500 emplois et la cession de 20 % de l'activité du fret SNCF à la concurrence. La ligne de fret du train des primeurs Perpignan-Rungis serait concernée par cette privatisation. Après deux suspensions, cette ligne a été rétablie le 2 mai 2023 grâce à la mobilisation collective des syndicats, des élus et des usagers. Sa privatisation va à l'encontre des enjeux auxquels elle répond.

En effet, ce train représente un atout écologique majeur. L'autoroute A86 est saturée par un trafic important de poids lourds : « environ un camion toutes les six secondes » comme l'avait rappelé le président honoraire du conseil départemental du Val-de-Marne. Or le fret ferroviaire est 20 fois moins polluant que les poids lourds et 29 fois moins mortel que la route. Enfin, en soulageant les axes routiers des 25 000 camions par an, ce train améliore les flux de circulation et la qualité de l'air.

La ligne de fret Rungis-Perpignan revêt donc une importance majeure pour l'un des objectifs de l'Union européenne. En effet, la stratégie Europe 2020 adoptée par le Conseil européen vise une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 20 %, voire de 30 %, par rapport au niveau de 1990, la couverture de 20 % des besoins énergétiques par des énergies renouvelables, et une augmentation de 20 % de l'efficacité énergétique de l'Union européenne.

Par ailleurs, cette ligne est cruciale pour la sécurité alimentaire de la population d'Ile-de-France qui consomme 895 500 tonnes de fruits et légumes frais par an. En effet, le train achemine chaque année 400 000 tonnes de fruits et légumes entre Perpignan et Rungis en provenance du sud de l'Europe, du bassin méditerranéen et de la région Occitanie. Le ravitaillement du marché d'intérêt national (MIN) de Rungis se fait en flux tendu, assuré et renforcé, sa stabilité est donc cruciale.

Ces aspects justifient à eux seuls les nombreux investissements publics et locaux dont la ligne bénéficie. Ainsi, en additionnant les divers plans de financements de l'État, les cofinancements attendus de l'Union européenne, des collectivités territoriales et de différents acteurs, le programme global d'investissement pour le fret ferroviaire atteint 1,35 milliard d'euros. Comment justifier que des investissements publics si massifs servent les profits d'entreprises privées dont les volontés à respecter le cahier des charges sont souvent légères, voire inexistantes ?

Aussi, elle lui demande s'il entend, au vu de ces arguments, renoncer à sa privatisation et, plus largement, contester, au regard des dispositions dérogatoires à l'interdiction des aides publiques des articles 106 et 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, la décision de la Commission européenne d'engager une procédure pour contester la légalité des aides financières dont aurait bénéficié « Fret SNCF » de 2007-2019 et ses éventuelles conséquences.

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Réponse du Ministère auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des collectivités territoriales et de la ruralité publiée le 05/07/2023

Réponse apportée en séance publique le 04/07/2023

Mme le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, auteure de la question n° 734, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports.

Mme Laurence Cohen. Madame la ministre, le 23 mai 2023, vous avez annoncé la suppression de 500 emplois et la cession de 20 % de l'activité du fret de la SNCF à la concurrence dont, semble-t-il, la ligne du train des primeurs Perpignan-Rungis.

Comme vous le savez, cette ligne est unique en France. Sa suppression en 2019 avait été vécue comme une provocation. Grâce à la mobilisation des élus, des usagers et des syndicalistes, notamment dans le Val-de-Marne, elle a été relancée en octobre 2021. Or je viens d'apprendre qu'elle était de nouveau arrêtée du fait de problèmes liés aux wagons réfrigérés. Le sursis aura été de courte durée.

Maintenir la ligne Perpignan-Rungis dans le giron de Fret SNCF est pourtant une nécessité économique, sociale et écologique : on parle tout de même de 25 000 camions en moins sur les routes.

Cette ligne est cruciale, non seulement pour réduire les émissions de CO2, mais aussi pour assurer la sécurité alimentaire de la population d'Île-de-France : elle peut transporter l'équivalent de presque la moitié de sa consommation de fruits et de légumes frais par an.

Par ailleurs, si elle était prolongée, cette ligne pourrait relier Barcelone à Anvers et l'on en tirerait encore plus d'avantages, y compris pécuniaires.

Nous avions été nombreux à dénoncer les dangers de l'arrêt de cette ligne. L'histoire nous a donné raison et elle a été rétablie. Alors qu'elle est de nouveau suspendue, que comptez-vous faire pour la relancer de manière pérenne ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice Cohen, le Gouvernement agit en faveur du fret ferroviaire : permettez-moi, pour vous en convaincre, de vous rappeler quelques éléments de contexte.

Comme l'a annoncé mon collègue chargé des transports, les aides à l'exploitation augmenteront de 30 millions d'euros à partir de 2025 - elles concerneront directement l'activité de fret ferroviaire -, de sorte que leur montant atteindra un niveau sans précédent de 330 millions d'euros. Elles seront pérennisées jusqu'en 2030 pour donner de la visibilité aux entreprises.

Par ailleurs, 4 milliards d'euros seront investis dans les infrastructures de fret ferroviaire sur la période allant de 2023 à 2032, ce qui correspond, me semble-t-il, aux attentes du secteur.

Pour ce qui concerne Fret SNCF, l'État fait tout pour éviter le pire scénario, à savoir l'obligation pour l'opérateur de rembourser près de 5 milliards d'euros. Une telle décision conduirait sa liquidation immédiate, supprimerait de nombreux emplois et jetterait plus d'un million de camions supplémentaires sur les routes chaque année.

Plutôt que de prendre le risque de voir disparaître Fret SNCF, la solution privilégiée est de mener une transformation de l'entreprise, qui, à terme, permettra d'écarter tout risque de remboursement de ces 5 milliards d'euros.

Cette solution garantit le respect des trois lignes rouges que le Gouvernement s'était fixées, à savoir l'absence de tout licenciement, l'absence de privatisation, puisque le groupe SNCF conservera la majorité du capital, et l'absence de report modal sur la route.

Quant au cas spécifique du service Perpignan-Rungis, qui fait partie des contrats que Fret SNCF ne pourrait plus opérer, l'État lancera très prochainement un nouvel appel à manifestation d'intérêt pour identifier un repreneur. Le train des primeurs, qui a été sauvé par l'État en 2021, continuera de rouler quelle que soit la nouvelle étiquette de l'opérateur.

Mme le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la réplique.

Mme Laurence Cohen. Madame la ministre, il faut déclarer la ligne Perpignan-Rungis d'intérêt général : c'est une urgence.

Si vous souhaitez relancer le fret ferroviaire, écoutez le Sénat : selon notre rapport d'information de 2021, il faudrait investir 1 milliard d'euros par an dans le réseau.

Écoutez aussi nos collègues députés, qui ont approuvé le principe d'une commission d'enquête relative à la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l'avenir, à la demande du groupe communiste de l'Assemblée nationale : cette libéralisation serait une catastrophe.

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