Question de Mme JACQUEMET Annick (Doubs - UC) publiée le 21/09/2023
Mme Annick Jacquemet attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire au sujet de la révision de l'actuel plan national d'actions sur le loup et les activités d'élevage.
La souffrance des éleveurs confrontés à la prédation de leurs troupeaux est désormais largement reconnue. Les agriculteurs touchés, ainsi que leurs familles, endurent un stress croissant en raison de cette situation et passent de plus en plus de temps à protéger leurs troupeaux. En outre, pour faire face aux attaques répétées, certaines exploitations ont dû effectuer d'importants investissements financiers, au risque de fragiliser leur modèle économique.
Dans ce contexte, les professionnels craignent que, à terme, la pastoralisme soit sérieusement remis en cause dans notre pays. Pourtant, ces activités sont cruciales non seulement pour nourrir nos concitoyens et renforcer notre souveraineté alimentaire, mais aussi sur le plan écologique du fait de la capacité des prairies permanentes et des haies à stocker d'importantes quantités de carbone.
De plus, l'élevage joue un rôle essentiel dans la préservation de nombreux écosystèmes et contribue ainsi à l'entretien et au dynamisme de nos territoires. La biodiversité ne peut donc pas être mesurée uniquement à l'aune de la présence du loup.
Elle ajoute que le seuil de viabilité démographique du loup, fixé à 500 loups par le Muséum d'histoire naturelle et l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (désormais Office français de la biodiversité), est aujourd'hui largement dépassé : la population compterait plus d'un milliers d'animaux signalés dans 53 départements.
Au regard de ces éléments, et dans la perspective de la préparation d'un nouveau « plan loup » pour la période 2024-2029, les principales organisations professionnelles agricoles ont formulé plusieurs propositions visant à mieux garantir le fragile équilibre entre, d'une part, la protection de l'espèce et, d'autre part, la protection de l'élevage et du pastoralisme.
Elles jugent déterminant que les éleveurs aient la possibilité de prévenir les attaques des loups sur les troupeaux en écartant les individus qui menacent les troupeaux plutôt que de réagir après les attaques. Elles appellent également à simplifier les règles actuelles de gestion du loup, notamment en fusionnant les tirs de défense (simple et renforcée) en un seul. Celui-ci, mis en oeuvre par cinq tireurs, serait valable pour cinq ans, dans tous les territoires de présence du loup et durant toute la campagne ; sans restriction, ni priorisation, pour assurer la défense des troupeaux. Parallèlement, la suppression du plafond de prélèvement de 19 % et l'autorisation, pour les éleveurs et les chasseurs ayant suivi une formation, d'utiliser des armes dotées de lunettes à visée nocturne sans obligation préalable d'éclairage du loup, sont également réclamées.
Élue dans le département du Doubs, territoire particulièrement concerné par ces problématiques, elle souhaite savoir dans quelles mesures le gouvernement entend retenir ces propositions dans le futur « plan loup » pour la période 2024-2029. Elle insiste enfin sur la nécessité de tenir compte des spécificités de l'élevage dans le massif jurassien, essentiellement bovin et centré sur la pâturage.
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Réponse du Ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire publiée le 02/11/2023
La détresse des éleveurs est réelle et compréhensible. L'État est à leurs côtés, conscient de l'impact de la présence du loup sur leur activité, notamment en termes économique, psychologique et d'adaptation des pratiques. Si le loup est une espèce « strictement protégée » au titre de la convention de Berne et de la directive européenne « habitats, faune, flore », son expansion dans un contexte d'activités pastorales remet en question la vitalité de certains territoires. Ainsi, à l'occasion du renouvellement du plan national d'action (PNA) sur le loup et les activités d'élevage pour la période 2024-2029, le Gouvernement a tenu à ce que ce plan vise à concilier le double impératif de respect des obligations européenne et internationale de protection de l'espèce, d'une part, et de préservation de l'élevage extensif et pastoral nécessaire à la transition écologique, d'autre part. Ce PNA 2024-2029, après avoir fait l'objet de nombreuses discussions avec les organisations professionnelles agricoles et les associations de protection de l'environnement sous l'égide du préfet coordonnateur du plan loup, a été présenté le 18 septembre 2023. Ce plan s'articule autour de quatre axes détaillés ci-dessous. Le premier axe de ce plan vise à renforcer la connaissance de l'espèce et à étudier l'adaptation du statut juridique à l'échelle transnationale. Il apparaît important de renforcer les connaissances scientifiques de l'espèce en continuant notamment les efforts mis en oeuvre pour déterminer, de manière la plus précise, la population de loups en France. Aussi, la méthode d'estimation de cette population sera réévaluée de sorte à disposer chaque année, au plus tôt, d'un chiffre unique et fiable du nombre de loups. Il est essentiel de rétablir la confiance sur le dénombrement des loups, socle essentiel du dialogue autour de la préservation de l'espèce et de la gestion de ses dommages. Pour cette année 2023, l'office français de la biodiversité (OFB) a ainsi estimé le nombre de 1 104 individus, confirmant la dynamique de la population de ces dernières années. Étant donné cette dynamique à la hausse du nombre de loups, il est essentiel d'engager une réflexion prospective sur les conditions permettant de caractériser le bon état de conservation de l'espèce à l'échelle européenne. La déclaration de la Présidente de la Commission européenne du 4 septembre 2023 montre que la question de la révision du statut de protection du loup est désormais ouverte. L'adaptation possible du statut juridique du loup devra être pleinement anticipée dans le cadre de ce PNA 2024-2029. L'augmentation de la population lupine et son expansion géographique se traduit par un nombre élevé de dommages aux troupeaux (12 526 victimes en 2022). Attentif à cette situation, l'État souhaite un accompagnement fort auprès d'éleveurs autant pour prévenir que pour indemniser. Aussi, le deuxième axe du PNA 2024-2029 vise à prévenir et gérer les attaques. À cette fin, l'État continuera d'accompagner financièrement les éleveurs pour la mise en place de mesures de protection des troupeaux. Cette politique repose sur un triptyque de moyens de protection : gardiennage, mise en place de parcs électrifiés et recours aux chiens de protection des troupeaux. Ainsi, l'aide à la protection des troupeaux contre la prédation a été maintenue et renforcée dans la nouvelle programmation de la politique agricole commune (PAC). Cette aide permet le financement du gardiennage par les bergers, de l'achat de clôtures, de l'achat et de l'entretien de chiens de protection, ainsi que la réalisation d'étude de vulnérabilité et d'un accompagnement technique. Inscrite dans la continuité de l'aide relevant la précédente programmation PAC, elle intègre des améliorations comme une revalorisation des forfaits éleveur-berger et de certains plafonds. En complément du financement des chiens de protection de troupeaux, il apparaît primordial de poursuivre la structuration d'une filière de ces chiens afin de bénéficier d'une protection plus efficace des troupeaux. Le réseau d'expertise sur les chiens de protection piloté par l'institut de l'élevage (Idele) poursuivra donc son action de conseil et de formation auprès des éleveurs et de recensement et de caractérisation des chiens en activité dans le but de mettre en place une sélection des reproducteurs et un réseau d'éleveurs naisseurs. En parallèle, un meilleur suivi des incidents impliquant les chiens de protection a été mis en place depuis l'été 2021 et le Gouvernement a engagé un chantier d'évolution législative et réglementaire pour faciliter le recours à ses chiens, notamment au regard de la responsabilité des éleveurs et de la réglementation des installations classées de protection de l'environnement. Malgré les nombreux efforts des éleveurs pour protéger leur troupeau, des difficultés réelles de protection de certains troupeaux subsistent. Aussi, le PNA 2024-2029 s'attachera à consolider le processus de reconnaissance de non-protégeabilité de certains types d'élevages et de certaines zones et à indemniser au mieux les dommages. En matière d'indemnisation des dommages, près de 4,1 millions d'euros ont été versés en 2022 à la suite de 4 277 constats d'attaques. Les soutiens d'indemnisation du ministère chargé de l'écologie devront être maintenus et simplifiés dans le cadre du PNA 2024-2029 afin de rembourser le plus justement possible la valeur perdue par l'éleveur du fait de l'attaque. Les montants d'indemnisation, fixés en fonction de l'espèce domestique, de ses caractéristiques et selon sa valorisation, sont précisés par décret et arrêté ministériel et feront l'objet de réévaluation tous les trois ans pour adapter la valeur indemnisée au plus près des pertes directes. Une étude de l'Idele devra également permettre de revoir le système des indemnisations indirectes pour évaluer au plus juste les pertes en fonction de la typologie de l'élevage. Pour autant, les échanges avec les éleveurs montrent qu'on ne peut se satisfaire de la seule logique d'indemnisation. Il apparaît donc indispensable de prendre pleinement en compte les enjeux liés à la santé des éleveurs et des bergers du fait de la présence du loup. La présence et les attaques de loups modifient le travail des éleveurs et des bergers et des actions d'accompagnement aux situations de crise seront déployées, en lien avec la mutualité sociale agricole, pour préserver la santé physique et psychique des professionnels. Cet accompagnement passera également par le développement du recours aux bergers d'appui départementaux. Le PNA 2024-2029 maintient la possibilité de défense des troupeaux pour les éleveurs afin de réduire la pression de prédation sur les troupeaux. Il est donc mis en oeuvre une politique de tirs dérogatoires à l'interdiction de destruction de l'espèce prévue par le cadre européen. Depuis 2020, le plafond est fixé à 19 % de l'effectif estimé, en se fondant sur les données du suivi hivernal de la population de loups fournies par l'OFB. Ce cadre d'intervention prévoit la possibilité d'un plafond supplémentaire de 2 % si le seuil de 19 % venait à être atteint avant la fin de l'année, afin de permettre la poursuite des tirs de défense simple toute l'année. En 2022, 169 loups ont été prélevés dans ce cadre sur un plafond maximum de 174. Une gestion maitrisée de ce plafond permet de cibler les prélèvements vers les loups en situation d'attaque et les foyers de prédation. La récente réévaluation à la hausse de la population de loups entraine une hausse du plafond de tirs 2023 à 2029. Le PNA 2024-2029 vise également à simplifier les autorisations et les modalités de tirs. À cet effet, il est notamment prévu de recourir à deux tireurs voire trois sur dérogation du préfet pour les tirs de défense simple, de permettre l'utilisation de matériel de vision nocturne pour les éleveurs et chasseurs et de spécialiser des louvetiers sur le prélèvement du loup. Soucieux de la préservation et de la reconnaissance des apports de l'élevage et du pastoralisme, le troisième axe de ce PNA est l'occasion de rappeler les impacts positifs de ces activités sur les espaces ruraux. Il apparaît important, d'une part, d'identifier et quantifier les aménités positives de l'élevage et du pastoralisme sur les écosystèmes en matière de biodiversité et de paysages. D'autre part, afin d'affirmer et reconnaître l'importance du pastoralisme, il est prévu des actions permettant de faciliter l'installation-transmission de nouvelles générations d'éleveurs dans les espaces pastoraux et d'oeuvrer à l'amélioration des conditions du métier de berger, indispensable à la mise en oeuvre du dispositif de protection des troupeaux contre la prédation des troupeaux. Cela s'appuiera sur une amélioration des conditions de logement et du développement des formations. Enfin, depuis le retour naturel du loup en France métropolitaine dans les années 1990, le nombre de départements concernés par la prédation lupine sur les troupeaux domestiques augmente régulièrement. Aussi, la mise en place d'une gouvernance à l'échelle territoriale départementale ainsi que le déploiement d'une communication la plus adaptée possible pour permettre d'anticiper l'avancée de la colonisation du loup sont d'une importance réelle. Ces deux volets (gouvernance et communication) constituent donc le quatrième axe du PNA 2024-2029. Il s'agit donc d'agir dans le sens des éleveurs et de la sauvegarde du pastoralisme, dont le maintien est déterminant pour le bon développement économique, social et écologique des territoires.
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