Question de Mme BOYER Valérie (Bouches-du-Rhône - Les Républicains) publiée le 23/11/2023

Mme Valérie Boyer attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur l'impartialité de la cour nationale du droit d'asile (CNDA).

Elle a appris par plusieurs médias qu'un juge de la CNDA a été écarté de ses fonctions, mardi 24 octobre 2023, en raison de son activité sur les réseaux sociaux.

En effet, bien qu'antérieures à ses prises de fonction, ses publications sur son compte Facebook ont été dénoncées par plusieurs avocats spécialisés dans la défense des demandeurs d'asile, qui ont mis en doute son impartialité.

Bien que ses propos ne portent pas sur les questions de politique migratoire ou d'asile, ils ont obtenu sa récusation.
La CNDA a précisé que « les prises de position publiques de ce juge sur les réseaux sociaux sont de nature à créer un doute sur son impartialité en tant que juge de l'asile ».

En conséquence, ce magistrat de l'ordre administratif a été écarté de sa fonction de président de formation de jugement à la CNDA.

Or, dans un article de l'Express paru sur ce sujet le lundi 13 novembre 2023, il apparaît que plusieurs assesseurs de la CNDA tiennent des propos militants sur la question de l'asile, sans être sanctionnés.

Dans l'article, sont rapportés des propos d'un avocat au barreau de Paris auteur d'un ouvrage intitulé La Vérité sur le droit d'asile (éditions de l'Observatoire).

Celui-ci, selon l'article : « relève de son côté que d'autres "profils militants" exercent ou ont exercé au sein de la CNDA. Il évoque notamment l'actuel président de l'association France fraternités et ancien directeur général de l'association France terre d'asile [...] - assesseur au sein de la cour depuis 2021 -, [une] doctorante en droit public et actuelle déléguée régionale de la fédération des acteurs de la solidarité des Pays de la Loire depuis 2020 - assesseure à la CNDA de février 2018 à août 2020 -, ou encore [la] tête de liste EELV dans le VIIe arrondissement de Paris lors des élections municipales de 2020 et ancien président de la fondation de médecins sans frontières ».

Effectivement, dans l'ouvrage sont détaillés (pages 159 à 164) les propos relevés dans l'Express, notamment les tweets cités dans l'article mentionné, comme celui du 2 décembre 2022 : « quand les autorités françaises ne participent pas au refoulement des exilés en Libye et en Turquie, elles jettent à la rue les exilés mineurs ». Il expose aussi comment le comité de sélection des assesseurs est composé d'universitaires militants et cite aussi un magistrat permanent à la CNDA, président de section, qui anime des conférences pourfendant le principe de souveraineté nationale.

Enfin, tout récemment, dans le journal Le Monde (édition du 14 novembre 2023) sont cités dans un article des propos du président de l'association France fraternités consacré au vote du projet de loi « contrôler l'immigration, améliorer l'intégration » par la Haute assemblée. « Ce texte porte la marque des droites extrêmes et a intégré tous les clichés possibles sur l'immigration ».

Or, cet ancien directeur général de France terre d'asile (FTDA) est toujours assesseur à la CNDA.

Ces exemples, précis et documentés, de positions publiques critiques envers la politique gouvernementale menée en matière d'asile et d'immigration, démontrent que l'impartialité de la CNDA n'est plus assurée.
Dès lors, elle souhaite interroger le Gouvernement sur le traitement différencié de l'impartialité des juges à la CNDA.

Elle demande également au Gouvernement d'engager une mission d'inspection de la CNDA, de nature à remédier à cette impartialité, nécessaire à toute forme de justice, rendue au nom du peuple français.

- page 6532

Transmise au Ministère de la justice


Réponse du Ministère de la justice publiée le 22/02/2024

La Cour nationale du droit d'asile, qui a succédé à la commission des recours des réfugiés depuis la loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007, est une juridiction administrative spécialisée dont la gestion est rattachée au Conseil d'État. Au regard de la nature de ses missions, du volume de son activité, et de son organisation, cette juridiction est dans notre paysage juridictionnel sans équivalent. Il s'agit d'une juridiction pour partie échevinale, qui statue en premier et en dernier ressort sur les décisions de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides. La composition des formations de jugement de la Cour nationale du droit d'asile a été réformée par la récente loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, dans des conditions jugées conformes par la décision du Conseil constitutionnel n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024. Ainsi, les décisions de la Cour sont rendues, selon les cas, par le président de la formation de jugement statuant seul ou par une formation collégiale de trois membres qui comprend, outre son président, des personnalités qualifiées nommées par le vice président du Conseil d'Etat. Tous les membres de la formation de jugement sont nommés au regard de leurs compétences dans les domaines juridiques ou géopolitiques. Néanmoins, les recours dont la Cour nationale du droit d'asile est appelée à connaître sont d'une grande spécificité. Les questions soumises aux formations de jugement sont à la fois juridiques et géopolitiques, et visent souvent, et avant tout, à vérifier la véracité des récits. Elles portent donc en très grande partie sur des questions de fait, sur lesquelles la formation de l'intime conviction joue un rôle prépondérant. La participation d'un membre proposé par le Haut-commissariat pour les réfugiés est à cet égard un atout précieux pour interroger la plausibilité des craintes que le demandeur allègue subir. Pour être jugées établies, ces craintes doivent en effet être étayées par un récit complet et cohérent qui exige en retour une connaissance très fine de la situation du pays d'origine, des différences culturelles, et des mécaniques de l'asile. Dans l'exercice de cette mission, les membres de la formation de jugement sont soumis au principe d'impartialité, principe général du droit « applicable à toutes les juridictions administratives » selon la jurisprudence constante du Conseil d'Etat (par exemple : CE Assemblée, 6 avril 2001, n° 206764, 206767). Ce principe exige que, quelles que soient leurs convictions personnelles, ceux-ci se saisissent de chaque affaire sans parti-pris ni a priori en faveur ou en défaveur du cas qui se présente à juger. C'est ainsi que les propos tenus par un président de formation de jugement ont pu être jugés incompatibles avec cette exigence qui s'impose à tous les membres de la formation de jugement. Si d'autres propos, notamment relevés dans la presse, peuvent par ailleurs susciter des interrogations du même ordre, il n'appartient pas au garde des Sceaux, ministre de la Justice, de se prononcer sur ces situations individuelles, qui relèvent des attributions du seul président de la Cour nationale du droit d'asile. En revanche, le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit les conditions dans lesquelles certains membres de la formation de jugement peuvent être amenés à s'abstenir de siéger. Ainsi, l'article R. 532-2 de ce code prévoit qu'un membre de la formation de jugement peut s'abstenir volontairement de siéger lorsqu'il « suppose en sa personne une cause de récusation ou estime en conscience devoir s'abstenir ». Par ailleurs, les parties peuvent demander elles-mêmes la récusation d'un membre, en application des articles R. 532-34 et suivants du même code. Si le membre récusé n'acquiesce pas à la demande, une autre formation de jugement sera chargée d'examiner la demande et les motifs qui la fondent, garantissant en toute hypothèse le principe d'impartialité devant la juridiction.

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