Question de Mme ROSSIGNOL Laurence (Val-de-Marne - SER) publiée le 07/12/2023

Mme Laurence Rossignol attire l'attention de M. le ministre de la santé et de la prévention concernant la pratique des interruptions volontaires de grossesse (IVG) instrumentales par les sages-femmes. Alors que l'expérimentation permettant la réalisation des IVG instrumentales par les sages-femmes se termine le 14 décembre 2023, des inquiétudes subsistent quant à la généralisation de ce dispositif voté par le Parlement dans le cadre de la loi n° 2022-295 du 2 mars 2022 visant à renforcer le droit à l'avortement.

Alors que l'accès effectif à l'avortement et le choix de la méthode abortive demeurent complexes dans de nombreux territoires, le Parlement a décidé de permettre aux sages-femmes d'effectuer les IVG instrumentales afin d'augmenter le nombre de praticiens réalisant ces actes. Cependant, dans le cadre de la concertation du projet de décret fixant les conditions dans lesquelles ces actes seront réalisés, le ministère de la santé propose de limiter cette pratique à 14 semaines d'aménorrhées, soit deux semaines de moins que le délai légal. Pourtant, lors du vote de la loi, le législateur avait voulu aligner le délai d'intervention des sages-femmes, profession médicale, sur celui des médecins.

En ce sens, les données internationales ne montrent aucune augmentation du risque en fonction du professionnel réalisant ces IVG instrumentales. De plus, une très grande partie des interruptions volontaires de grossesses entre 12 et 14 semaines de grossesse sont aujourd'hui pratiquées par des médecins généralistes et notamment dans des centres de santé. La formation demandée aux sages-femmes ainsi que les protocoles requis pour la réalisation de ces actes sont par ailleurs sans commune mesure avec ceux des autres professionnels. Enfin, cette asymétrie est d'autant plus incompréhensible qu'une telle limitation pourrait désorganiser les services d'orthogénie.

Devant l'inquiétude des instances représentatives de la profession de sages-femmes et des associations engagées pour l'accès à ce droit, elle lui demande ce qu'il entend faire pour garantir la volonté du Parlement d'augmenter le nombre de praticiens pour garantir l'accès des femmes à ce droit fondamental.

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Transmise au Ministère du travail, de la santé et des solidarités


Réponse du Ministère auprès du Premier ministre, chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement publiée le 19/01/2024

Réponse apportée en séance publique le 18/01/2024

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, auteure de la question n° 959, adressée à Mme la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Mme Laurence Rossignol. Madame la ministre, le Parlement a voté il y a quelque temps une loi autorisant les sages-femmes à réaliser des interruptions volontaires de grossesse (IVG) instrumentales. Originellement, je souhaitais vous interroger sur la date de publication du décret d'application de cette disposition, mais, celui-ci ayant depuis lors été pris, ma question portera sur le caractère extrêmement restrictif de sa portée.

D'une part, il prévoit un délai pendant lequel les sages-femmes peuvent pratiquer des IVG instrumentales qui diffère du délai légal.

D'autre part, ce décret exige la présence de trois médecins, dont, « sur site ou par convention avec un autre établissement de santé », celle d'un médecin à même de pratiquer des embolisations artérielles.

En réalité, cela signifie que les sages-femmes ne pourront que très rarement pratiquer des IVG instrumentales, tant les conditions exigées sont drastiques - bien plus que celles qui s'appliquent aux médecins.

Ainsi, la présence de ce fameux médecin capable de pratiquer des embolisations artérielles n'est jamais exigée auprès d'un médecin pratiquant une IVG instrumentale, pas plus que lors d'un accouchement, alors même que les risques hémorragiques sont plus importants.

Aussi, madame la ministre, je vous demande de revoir la rédaction de ce décret de façon que la volonté du Parlement soit respectée pleinement et non pas de manière partielle.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement. Madame la sénatrice, je vous prie de bien vouloir excuser ma collègue ministre du travail, de la santé et des solidarités, qui, ne pouvant être présente ce matin, m'a chargée de vous répondre en son nom.

Le Gouvernement est engagé dans l'amélioration et la protection de l'accès à l'interruption volontaire de grossesse. Il partage pleinement l'objectif de diversifier les professionnels susceptibles de réaliser des IVG par voie instrumentale, afin d'assurer l'accès des femmes aux différentes techniques d'IVG, médicamenteuses comme instrumentales.

La rédaction du décret du 16 décembre 2023 relatif à la pratique des interruptions volontaires de grossesse instrumentales par des sages-femmes en établissement de santé, pris par le ministre de la santé de la prévention, et faisant suite à une expérimentation porteuse de nombreux enseignements, a donné lieu à une large concertation avec les principaux acteurs impliqués, évoquant notamment la question du terme possible de réalisation des IVG dans le cadre de cette pratique.

Le décret dispose finalement que les sages-femmes pourront pratiquer ces IVG jusqu'au terme de seize semaines d'aménorrhée, soit jusqu'à la fin de la quatorzième semaine de grossesse, limite fixée par la loi pour la réalisation d'une IVG.

Par ailleurs, l'enjeu de sécurité et de qualité qui s'attache à ces actes - point qui mobilise toute l'attention du Gouvernement, et ce quel que soit le professionnel qui les réalise - a conduit à fixer des conditions d'expérience et de formation des sages-femmes pour autoriser celles-ci à les pratiquer. Ces conditions préexistaient dans le cadre expérimental et elles ont montré toute leur utilité.

Cette extension des compétences des sages-femmes est une avancée importante pour l'accès à l'IVG de toutes les femmes, en particulier dans des territoires où les contraintes liées à la démographie des professionnels de santé fragilisent celui-ci. Le Gouvernement sera particulièrement attentif à sa mise en place concrète dans le plus grand nombre possible d'établissements de santé sur le territoire.

C'est également une mesure importante en faveur de la diversification des compétences des sages-femmes et de l'attractivité de leur métier dans le cadre hospitalier.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour la réplique.

Mme Laurence Rossignol. Madame la ministre, vous répondez, certes, à ma question, mais en partie seulement.

Je ferai plusieurs remarques.

Vous dites qu'une concertation a eu lieu avec les principaux acteurs impliqués. En tout cas, probablement pas avec les sages-femmes, ou du moins celle-ci n'a pas abouti positivement. J'imagine qu'ont été particulièrement écoutés - et entendus - les médecins qui s'opposaient à ce transfert d'activité aux sages-femmes. Celles-ci sont très mécontentes de ce décret, car elles s'estiment parfaitement à même de réaliser les IVG instrumentales.

De même, chacun convient sans aucun problème que des conditions d'expérience et de formation sont nécessaires pour réaliser de tels actes, comme c'était le cas pendant la phase expérimentale. Reste que vous ne répondez pas à ma question sur le point suivant : pourquoi exiger la présence, aux côtés des sages-femmes, de médecins spécialistes, alors que celle-ci n'est pas requise quand l'acte est effectué par un médecin ?

En réalité, le Gouvernement a beau dire qu'il veut faciliter l'accès à l'IVG, ce décret va à l'encontre de la volonté exprimée par le Parlement.

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