Question de M. BRISSON Max (Pyrénées-Atlantiques - Les Républicains) publiée le 03/10/2024
M. Max Brisson appelle l'attention de Mme la ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt à propos des tentatives de contournement des organisations de producteurs et l'affaiblissement qui en découlerait de la portée des lois n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (dite loi ÉGAlim) et n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs (dite loi ÉGAlim 2).
Dans le contexte d'un contentieux initié par l'association d'organisations de producteurs (AOP) SUNLAIT, concernant la valeur juridique d'un protocole d'accord relatif à la détermination du prix du lait et sa dénonciation par le groupe SAVENCIA, celui-ci, via sa filiale SAVENCIA Ressources Laitières, a pris la décision en mars 2022 de dénoncer l'ensemble des contrats-cadres des six organisations de producteurs (OP) membres de SUNLAIT, représentant plus d'un millier d'exploitations et 600 millions de litres de lait en France. Pour quatre de ces OP, l'échéance des contrats-cadres est fixée à mars 2024.
Or, à ce jour, la filiale demeure l'unique acheteur de SUNLAIT et l'absence d'accord sur les termes d'un nouveau contrat-cadre laisse craindre la possibilité d'une absence de collecte pour les producteurs adhérents à compter du mois de mars 2024. Cela représenterait un véritable drame pour les producteurs, qui s'en trouveraient profondément affectés financièrement.
Pour autant, le groupe n'entend pas se priver de cet approvisionnement et leur propose comme alternative d'adhérer à une autre AOP ou de procéder à la signature d'un contrat individuel. En résultent donc des velléités de contournement de l'organisation économique de la production par un groupe industriel, préférant mettre la pression pour renouer des relations individuelles que négocier avec les OP.
Toutefois, l'éventuel recours aux systèmes de contrats individuels marquerait un retour en arrière ainsi qu'un précédent hautement préjudiciable à l'avenir des OP et de la production laitière en France. En effet, agissant dans le cadre du mandat de négociation confié par les producteurs adhérents, les OP garantissent une relation de partenariat équilibré, tenant compte des contraintes inhérentes à la production et d'une nécessaire viabilité des exploitations, et s'inscrivent pleinement dans le sillage des lois ÉGAlim.
Un tel recours menacerait donc la pérennité des OP et remettrait en cause l'ensemble du champ de la contractualisation mise en place en France depuis 2010 pour pallier la fin des quotas laitiers. Surtout, il risquerait d'affecter lourdement les producteurs, qui, s'ils venaient à être privés d'OP, subiraient de plein fouet un alignement concurrentiel moins disant au seul profit des industriels.
Des effets loin de l'esprit du législateur lors de la rédaction des lois ÉGAlim et de celui des évolutions de la politique agricole commune allant dans le sens d'un renforcement du pouvoir de négociation des producteurs en vue d'un meilleur fonctionnement de la chaîne alimentaire, au bénéfice des agriculteurs et des consommateurs.
Aussi, conscient qu'un producteur seul face à un industriel mondial ne sera jamais en capacité de négocier un partenariat équilibré et respectueux des objectifs assignés aux lois ÉGAlim, il interroge le Gouvernement sur les mesures que celui-ci envisage pour répondre aux tentatives de contournement de l'organisation économique de production par les groupes industriels et au risque d'affaiblissement du pouvoir de négociation des producteurs qui en découlerait.
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Réponse du Ministère de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt publiée le 12/12/2024
La loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs, dite « EGALIM 2 », est venue renforcer les dispositions portées par la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 dite « EGALIM », notamment en ce qui concerne l'amont agricole. Ainsi, la loi EGALIM 2 rend obligatoire la conclusion d'un contrat sous forme écrite d'une durée de trois ans minimum (cinq ans dans le secteur laitier) pour la vente d'un produit agricole entre un producteur et son premier acheteur. Lorsque le producteur a donné mandat à une organisation de producteurs (OP) reconnue dont il est membre pour négocier la commercialisation de ses produits, la conclusion d'un contrat écrit avec un acheteur est subordonnée au respect des stipulations de l'accord-cadre écrit avec cet acheteur par l'OP ou l'association d'organisations de producteurs (AOP). Dans le conflit qui oppose l'AOP Sunlait et le groupe Savencia depuis la dénonciation il y a deux ans de l'accord cadre par Savencia, plusieurs centaines d'éleveurs risquaient de ne plus être collectés à partir de début mars 2024. Cette situation de contentieux est ancienne et a fait l'objet d'une décision de la Cour d'appel de Caen le 5 décembre 2023, actant de la rupture des relations commerciales entre les parties. Le comité de règlement des différends commerciaux agricoles (CRDCA) a été saisi et a rendu le 19 février 2024 une décision qui a prolongé les contrats-cadre jusqu'au 31 octobre 2024 afin que les collectes de lait ne s'interrompent pas à la date du terme des contrats. Cette décision a permis de donner de la visibilité aux éleveurs et à leurs organisations pour poursuivre les discussions. À l'échéance de ce contrat-cadre, le 31 octobre, la médiation commerciale agricole (MRCA) est venue rendre un avis pour permettre à Savencia de continuer à collecter certains éleveurs qui avaient conclu des contrats dits « d'application » subordonnés au contrat-cadre, mais avec une échéance plus lointaine. Enfin, pour les éleveurs ayant des contrats d'application arrivant à échéance, Savencia a rédigé des avenants permettant à la collecte de continuer. Ces situations provisoires, pensées pour éviter que le lait ne soit plus collecté, ne sauraient se substituer à la conclusion d'un contrat-cadre. C'est pourquoi sous l'égide du ministère chargé de l'agriculture, Sunlait et Savencia ont toutes deux accepté le principe d'une médiation qui devrait aboutir sous deux mois. Ainsi, bien que le cadre législatif existant offre des solutions aux producteurs et à leurs organisations afin de rééquilibrer les relations commerciales, des améliorations semblent nécessaires et le Gouvernement est pleinement mobilisé pour répondre aux attentes fortes exprimées par les agriculteurs d'une plus grande protection de leur rémunération. Une mission gouvernementale a été confiée en ce sens le 22 février 2024 aux députés Anne-Laure Babault et Alexis Izard en vue de renforcer le cadre issu des lois EGALIM. Le rapport a été remis à la ministre chargée de l'agriculture et au secrétaire d'État de la consommation début octobre 2024. Les propositions de ce rapport servent de base de réflexion pour une éventuelle évolution du cadre législatif d'EGALIM. Des échanges réguliers sont organisés avec les différents acteurs (amont, industries agroalimentaires, distribution et organisations interprofessionnelles) par le ministère de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt et le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie afin de compléter les éléments en discussion.
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