Question de M. BLANC Étienne (Rhône - Les Républicains) publiée le 03/10/2024
M. Étienne Blanc appelle l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice sur l'interprétation des dispositions de l'article 432-15 du code pénal appliqué aux parlementaires.
Il apparaît en effet que, contrairement au dispositif de l'article 432-12 du même code, les personnes susceptibles d'être visées par l'incrimination de l'article 432-15 ne comprennent pas celles titulaires d'un mandat électif public : seules les personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public sont expressément visées.
Or, il est incontestable que les sénateurs ou les députés ne sont ni dépositaires de l'autorité publique ni chargés d'une mission de service public. Ainsi, s'agissant de l'intention clairement exprimée par le législateur et en considérant les articles relatifs à la prise illégale d'intérêt (432-12) et au détournement de biens publics (432-14), il apparait que les parlementaires ne sont pas éligibles aux infractions prévues et exprimées à l'article 432-15 au motif qu'ils ne sont ni chargés d'une mission de service public, ni dépositaires de l'autorité publique.
Aussi, il lui demande les mesures qu'il entend prendre pour revenir à une lecture juridiquement plus orthodoxe du texte au niveau des autorités de poursuite, dans le respect de l'intention exprimée par le législateur et conforme au principe d'interprétation stricte de la loi pénale.
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Transmise au Ministère de la justice
Réponse du Ministère de la justice publiée le 10/04/2025
A titre liminaire, il convient de rappeler que les principes constitutionnels de séparation des pouvoirs et d'indépendance de l'autorité judiciaire interdisent au ministre de la Justice de commenter ou d'interférer dans les décisions de l'autorité judiciaire. De même, en application de l'article 1er de la loi du 25 juillet 2013, il n'appartient pas non plus au ministre de la Justice de donner quelque instruction que ce soit aux parquets dans le cadre de dossiers individuels. L'article 432-15 du code pénal dispose en son premier alinéa que « le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, un comptable public, un dépositaire public ou l'un de ses subordonnés, de détruire, détourner ou soustraire un acte ou un titre, ou des fonds publics ou privés, ou effets, pièces ou titres en tenant lieu, ou tout autre objet qui lui a été remis en raison de ses fonctions ou de sa mission, est puni de dix ans d'emprisonnement et d'une amende de 1 000 000 euros, dont le montant peut être porté au double du produit de l'infraction. » Interprétant l'article précité, la cour de Cassation retient qu'est chargée d'une mission de service public, la personne qui accomplit, directement ou indirectement, des actes ayant pour but de satisfaire à l'intérêt général (Cass. Crim 27 juin 2018, n° 18-80.069). En ce sens, elle énonce que si les membres élus d'une assemblée à compétence territoriale locale, tels que ceux d'une municipalité, d'un département ou d'une région ne sont pas tous nécessairement des personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public, le niveau supérieur et normatif de service public auquel le Parlement se situe dans l'organisation de l'Etat conduit à considérer que le sénateur est une personne dépositaire de l'autorité publique ou une personne chargée d'une mission de service public. A cet égard, la Constitution confie au parlementaire, dans l'exercice de son mandat, une mission de service public d'agir dans l'intérêt de la Nation et la sauvegarde des intérêts des citoyens. Il est par ailleurs rendu dépositaire de l'autorité publique lorsqu'il décide de convoquer devant une commission parlementaire une personne, qui encourt une amende si elle ne défère pas à la convocation, ou de visiter un lieu de privation de liberté (Cass. Crim 11 juillet 2018, n° 18-80.264). Ainsi, il ressort de la jurisprudence précitée que les députés et sénateurs doivent être considérés comme des personnes dépositaires de l'autorité publique et chargées d'une mission de service public au sens de l'article 432-15 du code pénal. Toutefois, le ministre de la Justice n'ignore pas les débats entourant la réforme du régime de responsabilité pénale des décideurs et élus publics. La loi n° 2022-217 du 21 février 2022 dite « 3DS », dont le ministère de la Justice a assuré la mise en oeuvre au travers d'un groupe de travail et de la diffusion d'une foire aux questions, a permis d'y répondre pour partie en étendant les exceptions à l'application du délit de prise illégale d'intérêts à l'ensemble des personnes de droit public ou de droit privé au sein desquelles l'élu local siège en application d'une disposition législative et en mentionnant explicitement dans la loi (article L.1111-6 du code général des collectivités territoriales) que la seule participation d'un représentant d'une collectivité territoriale ou d'un groupement de collectivités territoriales à une délibération concernant ces personnes morales ne constituait pas une prise illégale d'intérêt. Le ministère de la Justice suit également les travaux parlementaires actuels ayant trait à la proposition de loi n° 263 portant création d'un statut d'élu local, présentée par Madame Gatel et adoptée au Sénat le 7 mars 2024.
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