Question de M. GAY Fabien (Seine-Saint-Denis - CRCE-K) publiée le 10/10/2024

M. Fabien Gay demande à Mme la ministre du travail et de l'emploi si la création d'un observatoire des personnes mortes au travail est envisagée par le Gouvernement.

Pour l'année 2022, le rapport annuel de l'assurance maladie indique près de 738 morts au travail, soit 93 de plus qu'en 2021.

Ce chiffre alarmant reste en deçà de la réalité : il ne prend pas en compte les décès intervenant lors des trajets entre le domicile et le travail ou causés par des maladies liées au travail, et seuls les salariés du privé cotisant au régime général sont comptabilisés, excluant de fait les fonctionnaires, indépendants ou les agriculteurs.

Si l'on adopte une méthode de calcul plus exhaustive, on recenserait au moins 1 227 personnes mortes au travail en 2022 (286 décès liés à un accident de trajet, et 203 suite à une maladie professionnelle reconnue).

Malgré cette sous-estimation, Eurostat classait la France à l'avant-dernière place des pays européens pour l'insécurité au travail avec 3,53 morts, pour 100 000 travailleurs et travailleuses, tous secteurs confondus.

Il faut également relever une hausse des accidents mortels chez les jeunes, qui ont bondi de 29 % entre 2019 et 2022 d'après les données de l'assurance maladie ; ces chiffres doivent inquiéter, alors que les politiques publiques encouragent le recours au contrat d'apprentissage.

Depuis quatre ans, un observateur recense méthodiquement tous les accidents mortels du travail en France. Son constat est clair : « la sécurité passe après la rentabilité », et cette problématique n'est pas une priorité des politiques publiques puisqu'entre 2017 et 2019, les accidents du travail ont augmenté de 33 %.

Cette affirmation est encore renforcée lorsque l'on se penche sur les effectifs de l'inspection du travail, en diminution de 16 % entre 2015 et 2021. En 2021, il y avait un inspecteur du travail pour 10 000 salariés, quasiment un pour 12 000 en Île-de-France : ces ratios ne leur permettent pas de travailler dans de bonnes conditions, d'autant que seul un tiers des procès-verbaux dressés sont soumis à la justice.

De même, la médecine du travail souffre également d'un manque d'effectifs chronique.

Au sein des entreprises, la situation s'est encore aggravée avec la suppression des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, qui avaient pour mission de veiller à la santé et à la sécurité des travailleurs et travailleuses, et la possibilité d'intervenir directement sur les chaînes de production.

Enfin, sont également à relever les difficultés de l'institut national de recherche et de sécurité, financé par une partie des cotisations des employeurs, qui produit des études scientifiques sur les causes des accidents : en quinze ans, l'organisme a perdu 100 salariés, et fonctionne désormais sans convention d'objectifs, alors qu'un accord national interprofessionnel signé par tous les partenaires sociaux prévoyait de lui allouer des moyens supplémentaires.

Rejoignant tous ces constats, le journal l'Humanité a décidé de participer à renforcer la visibilité de cette « hécatombe silencieuse ». Depuis le 28 avril 2024, journée mondiale de la sécurité et de la santé au travail, le quotidien publie donc sur ses réseaux le décompte des morts au travail.

Cependant, cette situation systémique ne pourra être traitée efficacement que par des politiques publiques ambitieuse ; la première étape serait d'avoir des données précises et circonstanciées sur ces décès dans le cadre du travail.

Aussi, il souhaiterait savoir si le Gouvernement compte créer un observatoire des personnes mortes au travail en France.

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Transmise au Ministère du travail et des solidarités


Réponse du Ministère du travail et des solidarités publiée le 11/12/2025

Après une baisse drastique pendant plusieurs décennies, notamment grâce aux politiques de prévention, le nombre d'accidents du travail mortels a atteint un plancher depuis une quinzaine d'années. En 2023, 810 salariés des régimes général et agricole sont décédés au travail, dont 38 avaient moins de 25 ans. Ces accidents mortels concernent principalement des secteurs exposés, tels que le travail temporaire, les transports et le BTP. Parallèlement, les accidents non mortels ont diminué de 13 % pour le régime agricole et de 15 % pour le régime général entre 2019 et 2023, malgré une hausse du nombre de salariés, marquant ainsi une rupture statistique dont les causes sous-jacentes sont en cours d'analyse par les organismes de sécurité sociale. La France est souvent citée comme le second pays européen avec le plus d'accidents du travail mortels. Toutefois, les comparaisons sont difficiles en raison des différences de systèmes d'assurance et de reconnaissance des accidents, notamment sur la prise en compte des malaises mortels au travail, que d'autres pays européens ne comptabilisent pas. Conscient de cet enjeu, le ministère chargé du travail a engagé des travaux pour que le décompte statistique des accidents du travail soit harmonisé à l'échelle européenne. Grâce aux données de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) et de la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA), la France dispose de données fiables et complètes sur les accidents du travail, notamment graves et mortels, des salariés des régimes général et agricole. Les enquêtes menées par l'inspection du travail permettent par ailleurs d'obtenir une analyse précise des circonstances de chaque accident mortel. En outre, des travaux de recherche sont réalisés par les organismes de prévention pour mieux comprendre les facteurs de sinistralité grave et mortelle et ainsi préconiser des mesures de prévention adaptées à l'attention des acteurs de l'entreprise et appuyer la décision publique. Lors du conseil national d'orientation des conditions de travail du 3 février 2025, la ministre chargée du travail et de l'emploi a réaffirmé sa volonté de renforcer la lutte contre les accidents du travail graves et mortels. À cette occasion, elle a annoncé la création de l'Equipe d'analyse des accidents du travail (EAAT), composée de préventeurs et d'agents de contrôle et rattachée à la direction générale du travail. Cette équipe a pour mission d'analyser les accidents graves et mortels récurrents, d'en identifier les causes, de proposer des évolutions réglementaires et de diffuser les mesures de prévention. Dès lors, la plus-value d'un observatoire dédié à la sinistralité mortelle n'apparaît pas évidente. Le 4e Plan santé au travail (PST4) et le Plan pour la prévention des accidents du travail graves et mortels (PATGM) visent à prévenir efficacement les accidents du travail graves et mortels en mobilisant l'ensemble des acteurs de la santé au travail et en sensibilisant le grand public. Ces dispositifs ciblent prioritairement les populations les plus exposées, notamment les jeunes, les travailleurs indépendants, détachés et saisonniers. Des mesures ambitieuses sont en cours de mise en oeuvre. Des actions de sensibilisation à destination des jeunes et des entreprises ont été déployées, en partenariat avec des organismes spécialisés tels que l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS) et l'Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP), qui accompagnent les établissements d'enseignement secondaire et supérieur. Par ailleurs, le modèle de convention de stage pour les élèves de lycées professionnels a été révisé afin d'intégrer davantage les enjeux de santé et sécurité au travail et les actions de sensibilisation des agents de contrôle de l'inspection du travail en lycée professionnel seront prochainement renforcées. Des actions spécifiques ont également été conduites en faveur des publics les plus vulnérables, avec notamment une campagne multilingue destinée aux travailleurs allophones, détachés et saisonniers. Des partenariats sectoriels ont été engagés dans des secteurs prioritaires tels que l'intérim, les travaux en hauteur ou le transport routier, incluant la signature d'une convention DGT/CNAM/DSR relative à la prévention du risque routier. Par ailleurs, un décret publié en mai 2025 et entré en vigueur au 1er juillet 2025 renforce les dispositions de prévention dans le code du travail et le code rural afin d'assurer la protection des travailleurs durant les épisodes de vigilance canicule. Enfin, une campagne de communication grand public d'ampleur a été lancée en 2023 et renouvelée en 2024. Elle vise à sensibiliser aux enjeux liés aux accidents du travail graves et mortels, à informer sur les principaux risques et mesures de prévention, ainsi qu'à responsabiliser les entreprises. Afin de lutter efficacement contre les accidents graves et mortels, de nouvelles mesures ont été annoncées récemment, dont la mise en oeuvre a d'ores et déjà commencé. Le 10 juillet 2025, une instruction conjointe a été signée par les ministères chargés du travail et de la justice afin de renforcer la coopération entre les services judiciaires et l'inspection du travail, notamment en matière de sanctions à la suite d'accidents du travail graves et mortels. L'inspection du travail joue un rôle essentiel dans la prévention des accidents du travail graves en contrôlant le respect des conditions de sécurité au travail et en procédant à des enquêtes à la suite d'accidents du travail graves et mortels. A ce titre, le plan national d'action 2023-2025 fixe la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles comme l'un des sujets incontournables sur lesquels le système d'inspection du travail doit se mobiliser. De fait, en 2024, 60 % des 223 500 suites à intervention réalisées par les inspecteurs du travail portait sur la prévention des risques professionnels. En outre, deux campagnes nationales, en 2023 et 2024, ont porté respectivement sur l'utilisation des équipements de travail mobiles et de levage et la prévention de la récurrence des accidents du travail. Une attention particulière est portée, à l'occasion de ces campagnes mais de manière plus large lors des contrôles aux travailleurs vulnérables, sur les jeunes et les salariés en contrat précaire. Enfin, le 11 juillet 2025, de nouvelles orientations ont été présentées aux membres du comité national de prévention et de santé au travail. Ces orientations, qui seront discutées dans le cadre de l'élaboration du PST5 déclinent plusieurs pistes d'action concrètes. Concernant les difficultés démographiques des professionnels de santé au travail, des mesures spécifiques sont portées conjointement par les ministères chargés de la santé et du travail. Plusieurs dispositifs issus de la loi du 2 août 2021 et de ses décrets d'application répondent à la diminution du nombre de médecins du travail, notamment par l'ouverture des possibilités de délégations de visites aux infirmiers de santé au travail, la création du médecin praticien correspondant, la modernisation des services de santé au travail, la numérisation accrue via la télémédecine et l'accès au dossier médical partagé, tout cela visant à libérer du temps médical pour les visites les plus complexes et la prévention en entreprise. Par ailleurs, des actions sont menées pour renforcer l'attractivité de la profession et le renforcement des liens avec la santé publique par l'extension des missions aux actions de promotion de la santé. S'agissant de la suppression des Comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), de façon générale, la fusion des instances représentatives du personnel en un Comité social et économique (CSE) a replacé la santé au travail au coeur du dialogue social, en articulant veille de proximité (représentants de proximité), expertise (commission santé, sécurité et conditions de travail) et vision stratégique (CSE). Cette organisation favorise une approche transversale adaptée aux besoins des entreprises et encourage l'implication des employeurs et des représentants du personnel dans la prévention, tout en laissant aux partenaires sociaux une large marge de négociation dans la mise en place, l'organisation et le fonctionnement du comité. Les prérogatives des élus, telles que les consultations récurrentes et ponctuelles, le droit d'alerte en cas de danger grave et imminent, les pouvoirs d'inspection et d'enquête en matière d'accidents du travail ou de maladie professionnelle ou à caractère professionnel ainsi que le droit d'expertise, sont pleinement préservées. La loi du 2 août 2021 a renforcé leur formation et leur rôle dans l'évaluation des risques professionnels. Parallèlement, les recrutements d'inspecteurs du travail ont été significativement accrus, notamment par concours (200 postes offerts aux concours 2022, 2023 et 2024) et détachement (23 recrutements en 2021, 58 en 2022, 101 en 2023 et 12 en 2024). L'ensemble de ces mesures contribue de manière significative à l'amélioration de la prévention des risques professionnels et à la promotion de la santé au travail. Dans le cadre de l'élaboration du PST5, la lutte contre les accidents graves et mortels demeure une priorité majeure pour le Gouvernement.

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