Question de Mme BLATRIX CONTAT Florence (Ain - SER) publiée le 13/03/2025

Mme Florence Blatrix Contat attire l'attention de M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur sur la position adoptée par son ministère concernant le projet de directive européenne sur les associations transfrontalières européennes (ATE).

Il est essentiel que les organisations à but non lucratif bénéficient d'un cadre favorable à leur développement dans l'ensemble de l'Union européenne, compte tenu de leur rôle fondamental dans l'économie. En France, une personne sur dix travaillant dans le secteur privé est employée par l'une des 150 000 associations employeuses que compte le pays. À l'échelle de l'UE, 3,8 millions d'associations sont enregistrées. Ces structures constituent des espaces de participation citoyenne, renforcent la transparence et favorisent le pluralisme.
La directive ATE proposerait un cadre juridique sécurisé pour le secteur non lucratif, qui souffre actuellement d'une insécurité juridique, notamment en matière de règles de concurrence, ce qui freine son développement.

Par ailleurs, comme l'a rappelé le Haut Conseil à la vie associative (HCVA) dans son avis de décembre 2023, « cette proposition de directive ne fait pas obstacle au droit français ». Ce texte intégrerait les associations dans le cadre juridique européen et leur permettrait, si elles le souhaitent, de se développer sur le marché intérieur tout en évitant les multiples contraintes qui limitent aujourd'hui leur liberté de prestation.

En outre, la directive établirait pour la première fois une définition européenne du concept de non-lucrativité, essentielle à la reconnaissance des modèles de l'économie sociale et solidaire (ESS) et de leur importance dans l'économie européenne.

Or, il semblerait que la France ne soutienne pas officiellement cette directive, malgré un large consensus en sa faveur au niveau européen. En particulier, la position du ministère de l'intérieur empêcherait toute avancée sur ce texte.

Dans ce contexte, elle lui demande de préciser la position de son ministère sur cette directive et s'il envisage de la soutenir afin de ne pas entraver le développement européen de l'ESS.

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Réponse du Ministère de l'intérieur publiée le 29/05/2025

Vous interroger le ministère de l'intérieur sur la proposition de directive relative aux « associations transfrontalières européennes » (ATE), publiée par la Commission européenne en 2023, et qui vise à soutenir le tissu associatif européen. Le ministère de l'intérieur soutien le développement de l'économie sociale et solidaire à l'échelle européenne, sur la base des possibilités offertes par les traités européens. Des échanges interministériels ont lieu depuis l'automne 2023, sous l'égide du secrétariat général pour les affaires européennes, où le ministère de l'intérieur a alerté sur deux effets particulièrement néfastes que comporte le projet de directive : la remise en cause des principes socles de la loi de 1901 sur la liberté associative ; et le risque fort d'ingérences étrangères, en contradiction avec la loi confortant le respect des principes de la République. Le projet de directive remet en cause plusieurs grands principes de la loi de 1901 relative au contrat d'association, et, ce faisant, le principe constitutionnel de liberté d'association profondément ancré dans notre ordre juridique interne. Cette liberté d'association a en effet puissamment contribué à façonner la société française depuis plus d'un siècle, avec aujourd'hui plus d'un million et demi d'associations actives représentant un budget cumulé de 113,3 milliards d'euros, soit environ 3,3 % du PIB français. Le projet de texte remet en question : - L'obligation pour les associations de se déclarer en préfecture et de disposer d'un siège social en France pour bénéficier de la personnalité et de la capacité juridiques. Ainsi, toute ATE créée dans un autre Etat membre pourrait agir en France sans qu'aucun enregistrement préalable auprès des autorités administratives françaises ne soit réalisé. - La limitation de la capacité des associations à recevoir des libéralités (dons ou legs), que la loi 1901 réserve aux associations ayant plus de trois ans d'ancienneté et dont les activités sont d'intérêt général au sens de la doctrine fiscale. - La limitation de la capacité des associations à posséder et administrer des biens immeubles, que la loi 1901 limite à ceux strictement nécessaires au fonctionnement de l'association. Ainsi, une ATE pourrait disposer de tout bien immeuble quel que soit sa finalité et son mode d'acquisition. Le projet de directive comporte de forts risques en matière d'ingérence étrangère, en contradiction avec la loi confortant le respect des principes de la République, et donc à rebours de la logique de renforcement du contrôle des organismes philanthropiques ayant guidé les récentes mesures législatives adoptées en France au cours des dernières années. En effet, les conditions pour devenir ATE sont des plus relâchées, puisqu'il suffirait à l'association d'exercer ou d'« envisager » d'exercer des activités dans au moins deux États membres et/ou de compter des membres fondateurs ayant des liens avec au moins deux États membres (sur la base de leur nationalité ou de leur résidence légale). Autrement dit, un citoyen turc ayant sa résidence en Allemagne, un ressortissant colombien ayant sa résidence en France et un ressortissant de pays tiers pourraient créer leur association en Belgique et exercer leurs activités en France. Par ailleurs, le projet de texte ne permet pas en l'état à l'autorité administrative française de refuser l'enregistrement d'une ATE dans un autre Etat membre alors qu'elle estimerait que son objet est illégal en France, ni de dissoudre cette ATE en cas d'activité illicite ou d'atteinte à l'ordre public. En effet, une ATE créée dans un autre Etat membre mais agissant en France ne pourra être dissoute que par ce même Etat membre. Plus encore, le texte permettrait à une association dissoute administrativement en France de reprendre ses activités sur notre territoire, depuis un autre Etat membre. En effet, seule l'autorité du pays d'origine sera en capacité de restreindre les activités de l'association. Ainsi, à titre d'exemple, le « comité contre l'islamophobie en Europe », créé en Belgique en 2020 à la suite de la dissolution du CCIF, pourrait rapidement s'enregistrer en Belgique comme ATE et ainsi mener ses activités en France. Enfin, la question peut se poser de la compatibilité de plusieurs autres dispositifs prévus au niveau national avec ce projet de directive, comme par exemple le contrat d'engagement républicain (CER) introduit par la loi confortant le respect des principes de la République. Le projet de texte limite en effet fortement la capacité des Etats membres à imposer des restrictions à la capacité des ATE à recevoir des financements publics notamment, sauf à ce que cela soit prévu par la loi, pour des raisons impérieuses d'intérêt général, et «propres à garantir la réalisation de l'objectif poursuivi sans aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre». Une notification préalable à la commission européenne serait donc nécessaire, sans garantie de l'acceptation de ces mesures nationales par cette dernière. Dans sa version actuelle, le texte proposé par la Commission européenne ne permet pas aux États membres de l'Union européenne d'adopter des mesures de sauvegarde afin de préserver la cohésion sociale et éviter des risques de contournement des dissolutions d'associations au niveau national, des risques de blanchiment et de financement du terrorisme, des risques en matière d'ingérences étrangères et en matière de lutte contre le séparatisme et, enfin, des risques sur le plan fiscal. Par ailleurs, dans les instances du Conseil de l'Union européenne, le service juridique du Conseil a souligné, par écrit, le 7 janvier 2025, l'inadéquation de la base juridique utilisée dans la proposition de la Commission européenne. Au regard de l'ensemble de ces réserves, les autorités françaises ont échangé avec leurs homologues européens et soulignent l'absolue nécessité de ne pas travailler en silo sur cette question, qui concerne de nombreux secteurs et peut avoir des impacts transverses particulièrement importants. La France n'est pas isolée et un très grand nombre de pays européens partage nos inquiétudes et nos réserves : l'Italie, l'Espagne, l'Autriche, la Slovaquie, la République tchèque, les Pays-Bas, l'Allemagne, l'Estonie, la Finlande, la Roumanie et la Grèce. Au-delà du seul ministère de l'intérieur, les autorités françaises estiment que la Commission européenne doit entendre nos préoccupations et tenir compte de l'avis juridique du Conseil, et produire une nouvelle proposition législative respectueuse des traités.

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