Question de M. LEFÈVRE Antoine (Aisne - Les Républicains) publiée le 11/12/2025

M. Antoine Lefèvre appelle l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice sur les risques emportés par le projet de décret visant à rationaliser les instances en voie d'appel pour en garantir l'efficience, dit décret « RIVAGE », sur le bon exercice de la garantie fondamentale d'interjeter appel par les justiciables.

Actuellement en cours d'élaboration au sein de la direction des affaires civiles et du sceau (DACS), le projet de décret s'inscrit dans un contexte d'engorgement des juridictions civiles. Le délai moyen de jugement d'une affaire civile est passé de 15 mois en 2020 à 17 mois en 2024.

L'accroissement du contentieux civil a donné lieu depuis quelques années à plusieurs initiatives du ministère pour simplifier les procédures de traitement des affaires et leur jugement. Le décret n° 2024-673 du 3 juillet 2024 portant diverses mesures de simplification de la procédure civile et relatif aux professions réglementées a étendu les mesures de règlement à l'amiable ainsi que le pouvoir du juge de prononcer des fins de non-recevoir. Récemment, la circulaire de politique civile du 27 juin 2025 adressée à l'ensemble des chefs de juridiction a opéré une rupture avec la traditionnelle neutralité du garde des sceaux en matière civile, déjà désignée par Portalis dans son discours préliminaire sur le projet de code civil de 1801 comme le fruit d'un « débat entre deux ou plusieurs citoyens », et a préconisé entre autres un renforcement de la culture du règlement à l'amiable.

Au moyen de trois grandes mesures, le décret « RIVAGE » cherche à rationaliser les instances en voie d'appel. Il limite la possibilité de faire appel pour un contentieux civil inférieur à 10 000 euros là où le montant est actuellement fixé à 5 000 euros, ce qui exclura définitivement certains dossiers d'affaires familiales ou de procédures d'exécution de la possibilité d'être rejugés en appel. Dans un deuxième temps, il revalorise le taux d'amiable prévu à l'article 750-1 du code de procédure civile aux contentieux inférieurs à 10 000 euros. Enfin, il confie au juge une possibilité nouvelle d'ordonner le rejet d'une requête qu'il estimerait « manifestement irrecevable ».

Malgré l'objectif affiché d'une réduction des délais de jugement des affaires portées devant le juge civil, le décret comprend un risque grave pour certains principes procéduraux élémentaires de l'état de droit. En limitant la garantie de faire appel d'une décision pour des contentieux d'une valeur inférieure à 10 000 euros, le décret risque de restreindre la possibilité pour les justiciables, notamment les moins fortunés, de voir réexaminée une décision de fond qui leur serait défavorable.

Par ailleurs, la notion de requête « manifestement irrecevable » souffre d'une rédaction insuffisamment précise. Au-delà des risques de conflit de compétences entre les différents juges de la recevabilité, cette procédure de rejet rapide serait susceptible de renforcer le poids des vices de forme ou de procédure dans la recevabilité des requêtes en appel, à rebours des efforts consentis par la Cour de cassation dans sa lutte contre le « formalisme excessif » sanctionné par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH, 5 novembre 2015, Henrioud c. France). La Cour avait notamment rappelé que le formalisme excessif des requêtes constituait une atteinte au droit à un procès équitable garanti par l'article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l'Homme.

À la lumière de ces éléments, il souhaiterait obtenir des précisions sur les intentions précises du décret mentionné, au regard notamment de ses conséquences pour la garantie fondamentale du droit de faire appel.

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En attente de réponse du Ministère de la justice .

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