II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : L'IRRECEVABILTÉ DE LA RÉSOLUTION N° 66 (2006-2007) DANS SA RÉDACTION ACTUELLE
L'article unique de la présente proposition de résolution tend à créer une commission d'enquête de vingt-et-un membres sur le groupe EADS et sur les raisons des retards de production et de livraison du groupe Airbus .
Selon l'exposé des motifs, la volonté de constituer une telle commission d'enquête résulte d'interrogations « sur l'attitude de la direction du groupe EADS et de sa filiale Airbus, sur l'organisation de la production, sur les relations fonctionnelles entre EADS et Airbus, sur la circulation des informations et les prises de décision entre les deux groupes, sur le comportement des différents actionnaires et sur la stratégie de l'État (actionnaire de référence d'EADS par le biais de la SOGEAD) et, d'une façon générale, sur l'opacité de la gestion du Groupe EADS-Airbus . »
Il y est en effet relevé que « les choix des actionnaires industriels de référence, et notamment du Groupe Lagardère, qui a préféré céder il y a quelques mois une part important de ses titres pour se recentrer sur son activité médias, ont fragilisé la structure actionnariale du groupe EADS. Il semble donc que l'État actionnaire n'a finalement pas exercé de véritable vigilance sur le plan industriel dans la période récente, et que l'agence des participations de l'État n'a pas joué son rôle, alors que c'est l'une de ses missions . »
Or, selon les auteurs du texte proposé, « l'État se doit d'intervenir, parce qu'il est actionnaire, mais aussi parce qu'il s'agit de l'avenir d'un grand groupe industriel européen, et de milliers d'emplois directs et indirects dans de nombreuses régions de notre pays. L'aide de l'État doit passer par un soutien financier notamment en matière d'innovation et de recherche. Toute passivité serait coupable . »
Soulignant que le Bundestag avait également manifesté sa volonté d'enquêter sur la situation du groupe EADS, M. Bertrand Auban et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés estiment donc que « le Sénat, dans le cadre de sa mission de contrôle financier des entreprises nationales, doit enquêter sur les raisons des retards de production et de livraison de l'Airbus A 380, sur l'opacité du système de prise de décision, sur la chaîne des prises de décisions, et sur le système d'organisation du Groupe EADS, afin que les erreurs de la période passée soient corrigées, et que l'outil industriel que ce groupe constitue puisse être utilisé dans le but pour lequel il a été créé. »
Des faits survenus dans la gestion d'une entreprise dans laquelle l'Etat dispose d'une participation financière évaluée à 15 % du capital social 1 ( * ) , seraient donc l'objet de la commission d'enquête dont la constitution est aujourd'hui sollicitée.
La part réduite du capital social d'EADS détenue par l'Etat ne semble pas permettre de qualifier cette société de droit néerlandais de service public ou d'entreprise nationale.
Aussi M. Jean-Jacques Hyest, en sa qualité de président de la commission des Lois, a-t-il sollicité le président du Sénat, M. Christian Poncelet, afin qu'il veuille bien interroger le Garde des Sceaux sur l'existence éventuelle de poursuites concernant des faits susceptibles de faire l'objet de la commission d'enquête sollicitée.
Par un courrier en date du 4 décembre 2006, M. Pascal Clément, Garde des sceaux, ministre de la justice, a fait connaître à M. le président du Sénat qu' une information judiciaire , ouverte le 20 novembre 2006, était en cours au tribunal de grande instance de Paris, visant les faits :
- de délit d'initié 2 ( * ) ;
- de recel 3 ( * ) de délit d'initié ;
- de diffusion de fausses informations 4 ( * ) .
Cette information judiciaire porte sur la cession, antérieurement à l'annonce des retards de livraison de l'Airbus A 380 en mai 2006, de titres de la société EADS.
Votre commission constate donc que des faits sur lesquels portent des poursuites judiciaires en cours sont susceptibles de concerner directement et au moins partiellement la gestion récente du groupe EADS sur laquelle la commission d'enquête pourrait se pencher.
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Dans ces conditions, votre commission estime que les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance précitée du 17 novembre 1958 feraient obstacles à la recevabilité de la proposition de résolution n° 66 (2006-2007), si le libellé de l'objet de la commission d'enquête n'était pas modifié afin d'exclure les faits faisant l'objet des poursuites susvisées.
* 1 Rapport sur l'Etat actionnaire 2006.
* 2 Ce délit est constitué, selon le premier alinéa de l'article L. 465-1 du code monétaire et financier, par le « fait, pour les dirigeants d'une société mentionnée à l'article L. 225-109 du code de commerce, et pour les personnes disposant, à l'occasion de l'exercice de leur profession ou de leurs fonctions, d'informations privilégiées sur les perspectives ou la situation d'un émetteur dont les titres sont négociés sur un marché réglementé ou sur les perspectives d'évolution d'un instrument financier admis sur un marché réglementé, de réaliser ou de permettre de réaliser, soit directement, soit par personne interposée, une ou plusieurs opérations avant que le public ait connaissance de ces informations ».
* 3 Le recel est constitué, aux termes de l'article 321-1 du code pénal, par « le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office d'intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d'un crime ou d'un délit » ou « le fait, en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen, du produit d'un crime ou d'un délit. »
* 4 Ce délit est, aux termes du second alinéa de l'article L. 465-2 du code monétaire et financier, constitué par le « fait, pour toute personne, de répandre dans le public par des voies et moyens quelconques des informations fausses ou trompeuses sur les perspectives ou la situation d'un émetteur dont les titres sont négociés sur un marché réglementé ou sur les perspectives d'évolution d'un instrument financier admis sur un marché réglementé, de nature à agir sur les cours ».