N° 213
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2006-2007
Annexe au procès-verbal de la séance du 7 février 2007 |
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, APRÈS DÉCLARATION D'URGENCE, portant réforme de la protection juridique des majeurs ,
Par Mme Bernadette DUPONT,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Nicolas About, président ; MM. Alain Gournac, Louis Souvet, Gérard Dériot, Jean-Pierre Godefroy, Mmes Claire-Lise Campion, Valérie Létard, MM. Roland Muzeau, Bernard Seillier, vice-présidents ; MM. François Autain, Paul Blanc, Jean-Marc Juilhard, Mmes Anne-Marie Payet, Gisèle Printz, secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, MM. Jean-Paul Amoudry, Gilbert Barbier, Pierre Bernard-Reymond, Daniel Bernardet, Mme Brigitte Bout, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Mmes Isabelle Debré, Christiane Demontès, Sylvie Desmarescaux, M. Claude Domeizel, Mme Bernadette Dupont, MM. Michel Esneu, Jean-Claude Etienne, Guy Fischer, Jacques Gillot, Francis Giraud, Mmes Françoise Henneron, Marie-Thérèse Hermange, Gélita Hoarau, Annie Jarraud-Vergnolle, Christiane Kammermann, MM. Serge Larcher, André Lardeux, Dominique Leclerc, Mme Raymonde Le Texier, MM. Roger Madec, Jean-Pierre Michel, Alain Milon, Georges Mouly, Mme Catherine Procaccia, M. Thierry Repentin, Mmes Janine Rozier, Michèle San Vicente-Baudrin, Patricia Schillinger, Esther Sittler, MM. Jean-Marie Vanlerenberghe, Alain Vasselle, François Vendasi.
Voir les numéros :
Assemblée nationale ( 12 ème législ.) : 3462 , 3557 , 3556 et T.A. 653
Sénat : 172 et 212 (2006-2007)
Justice. |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
La réforme de la protection juridique des majeurs est une réforme attendue de longue date, importante et indispensable pour assurer la dignité d'un grand nombre de nos concitoyens : personnes nées ou devenues handicapées avec une altération irréversible de leurs facultés mentales, personnes victimes de troubles mentaux graves, personnes âgées dont les facultés mentales déclinent. Toutes personnes ayant besoin, par voie de conséquence, que leurs biens et que leur personne soit protégés par la loi.
A celles-ci sont venues s'ajouter ces dernières années des personnes en grande difficulté sociale, en raison de leur prodigalité, d'addictions diverses - au premier rang desquelles l'abus de boisson -, du fait enfin de leur oisiveté, pour reprendre les termes déjà employés par la loi fondatrice du 3 janvier 1968, et pour lesquelles il est souhaitable aujourd'hui de mettre en place un accompagnement social pour les aider à recouvrer, autant que possible, leur autonomie.
On compte aujourd'hui plus de 700 000 personnes sous protection juridique, ce nombre menaçant d'atteindre, voire de dépasser, le million dans les années à venir. Or, placer une personne sous protection juridique n'est pas un acte anodin : même si la vocation d'une telle mesure est naturellement d'assurer la protection de la personne et de ses intérêts, sa mise en oeuvre passe par des restrictions très importantes apportées à sa liberté individuelle. Comment le législateur pourrait-il se satisfaire de constater que près d'un Français sur cent est soumis à une telle restriction de sa capacité juridique ?
Il convenait donc de mieux encadrer l'ouverture des mesures de protection juridique, en réaffirmant un triple principe de nécessité, de subsidiarité et de proportionnalité de celles-ci, tout en mettant en place, avec les conseils généraux, un accompagnement social renforcé pour ceux qui, à l'évidence, doivent être soutenus dans leur gestion du quotidien et protégés de leur inconséquence sans qu'une restriction excessive soit apportée à leur capacité juridique.
Mais s'il convient de désengorger les tribunaux des demandes relevant manifestement de l'accompagnement social, il ne faut pas entretenir l'espoir d'une décroissance spectaculaire du nombre des majeurs protégés. Parmi les multiples conséquences de l'allongement de l'espérance de vie, on compte en effet l'augmentation parallèle du nombre de personnes souffrant de la maladie d'Alzheimer ou de syndromes équivalents, mettant gravement en cause leurs facultés mentales.
C'est la raison pour laquelle il est également indispensable de renforcer les moyens consacrés aux tribunaux d'instance qui gèrent ces mesures de protection : aujourd'hui, le nombre de juges des tutelles équivaut à quatre-vingts équivalents temps plein, celui des greffiers en chef à quatre-vingt-dix équivalents temps plein et celui des simples greffiers environ quatre cent soixante-dix. La faiblesse de ces effectifs conduit les juges à ne pouvoir consacrer qu'à peine une demi-heure par an et par dossier au contrôle des comptes de tutelle.
*
L'Assemblée nationale a voté en première lecture un texte de qualité, auquel le Sénat souhaite à son tour apporter sa contribution. La commission des lois, par la voix de son rapporteur, Henri de Richemont, sera la cheville ouvrière de cette réflexion. Saisie pour avis, la commission des affaires sociales a souhaité y apporter un regard complémentaire, en se penchant plus particulièrement sur sa dimension humaine et sociale.
La protection des plus faibles est un devoir des familles et un devoir de la société. C'est l'honneur du législateur de l'encadrer dans le respect le plus profond des personnes, de leur humanité et de leur dignité.
I. ADAPTER LA PROTECTION JURIDIQUE DES MAJEURS AUX RÉALITÉS SOCIALES ACTUELLES
A. UN DISPOSITIF DE PROTECTION QUI S'EST PEU À PEU ÉLOIGNÉ DES PRINCIPES FONDATEURS DE LA LOI DE 1968
1. La population des majeurs protégés a changé
Le nombre de personnes placées sous un régime de protection juridique s'élève, en 2005, à plus de 630 000 personnes, auxquelles s'ajoutent les 67 000 personnes relevant d'une mesure de tutelle aux prestations sociales. Au total, la protection des majeurs concerne 1,3 % de la population française majeure.
Selon les projections réalisées par la chancellerie avec l'appui de l'institut national d'études démographiques, en 2010, ce sont plus de 1,1 million de personnes qui pourraient être concernées par des mesures de protection, si celles-ci continuent d'augmenter au rythme actuel.
Évolution du nombre de personnes protégées |
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1975 |
85 000 |
1990 |
348 000 |
1995 |
445 000 |
2000 |
562 000 |
2005 |
697 000 |
2010 * |
1 126 000 |
* prévisions |
Source : Ined |
Ce rythme de croissance est très soutenu : il s'établit à environ 8 % par an. Il est tiré à la fois par l'augmentation du nombre de saisines du juge des tutelles et par celle du nombre de réponses favorables que celui-ci apporte.
Les demandes de protection adressées au juge ont en effet connu une explosion au cours des dernières années : elles ont augmenté en moyenne de 80 % depuis 1990. La croissance des demandes de tutelles aux prestations sociales connaît une dynamique particulièrement forte puisque leur nombre a été multiplié par quarante depuis 1990.
Quant aux décisions favorables des juges, elles ont augmenté de 48 % en quinze ans : leur nombre est passé d'un peu moins de 10 000 en 1970 à un peu plus de 40 000 en 1990, pour enfin atteindre environ 65 000 en 2004.
Cette évolution s'explique naturellement en partie par des facteurs indépendants du dispositif de protection lui-même : le vieillissement de la population, l'augmentation de la pauvreté et de l'exclusion sociale ou encore le choix d'une politique de suivi des malades psychiques en régime ambulatoire pèsent sur les demandes de protection adressées aux juges.
Mais si l'on garde à l'esprit que ces mesures, dont la vocation protectrice est indéniable, sont également privatives de libertés et restrictives de droits, on ne peut que s'interroger sur les raisons de leur augmentation statistique au regard du respect des principes de nécessité, de subsidiarité et de proportionnalité présidant à leur ouverture.