TITRE II
-
TRAVAIL, EMPLOI ET FORMATION PROFESSIONNELLE

M. ALAIN GOURNAC, RAPPORTEUR

CHAPITRE PREMIER
-
Protection et développement de l'emploi

Section 1
-
Prévention des licenciements

Art. 29
(art. L. 933-2 du code du travail)
Extension du champ de la négociation de branche sur la formation professionnelle à la gestion prévisionnelle des emplois

Objet : Cet article vise à compléter le contenu de la négociation quinquennale de branche sur la formation professionnelle pour l'étendre au thème de la gestion prévisionnelle des emplois. Il prévoit également d'introduire une discussion sur les conditions dans lesquelles les salariés peuvent bénéficier d'un entretien individuel sur leur évolution professionnelle dans cette négociation.

I - Le dispositif proposé

L'article L. 933-2 du code du travail impose, au moins tous les cinq ans, une négociation de branche sur " les priorités, les objectifs et les moyens de la formation professionnelle des salariés ". Il précise également le contenu de cette négociation, en dressant une " liste " impérative mais non exhaustive des thèmes qui doivent être abordés lors de cette négociation.

Le présent article prévoit de compléter cette " liste " sur deux points.

D'une part, il étend le contenu de la négociation au thème de la gestion prévisionnelle des emplois. Il précise ainsi que la négociation doit porter sur les actions de formation mises en oeuvre pour " assurer l'adaptation des salariés à l'évolution de leurs emplois, le développement de leurs compétences ainsi que la gestion prévisionnelle des emplois ".

D'autre part, il prévoit que la négociation doit également porter sur les conditions dans lesquelles les salariés peuvent bénéficier d'un entretien individuel sur leur évolution professionnelle.

L'Assemblée nationale a adopté cet article sans modification.

II - La position de votre commission

Soucieuse de préserver l'autonomie du dialogue social, votre commission n'a jamais été très favorable à un encadrement strict par la loi du contenu de la négociation collective.

Dans le cas présent, une entorse à cette position peut néanmoins être envisagée.

Il importe en effet de favoriser le plus possible la gestion prévisionnelle des emplois et des compétence qui reste aujourd'hui le moyen le plus adapté de prévenir les licenciements et leurs conséquences tragiques. Or, en la matière, la négociation collective sur ce thème a longtemps été relativement atone. Le ministre de l'Emploi et de la Solidarité remarquait ainsi, lors de l'examen de cet article à l'Assemblée nationale, que " entre 1990 et 1998, moins de 15 % des 833 accords de branche signés concernaient de façon approfondie les objectifs et les priorités de la formation continue ". 66 ( * )

Il convient également de préciser que le projet de loi est, en la matière, strictement incitatif. Il oblige certes à négocier, mais il ne rend pas nécessaire un accord dans la branche ni sur la gestion prévisionnelle des emplois, ni sur l'accès du salarié à un entretien individuel. Il s'agit là d'une simple obligation de forme. L'autonomie des partenaires sociaux est donc préservée en pratique, sinon en principe.

Mais cet article a surtout l'intérêt de mettre en avant l'objectif de développement des compétences des salariés, objectifs à la portée pratique évidente, mais pourtant largement ignorée par le code du travail.

Votre commission vous propose néanmoins d'adopter deux amendements de précision. Le premier vise à mettre en cohérence l'appellation de la négociation de branche prévue par cet article avec l'appellation actuellement reconnue par l'article L. 933-2 du code du travail. Le second tend à préciser la notion de compétence ici visée, indiquant qu'il s'agit des seules compétences professionnelles des salariés 67 ( * ) .

Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi amendé.

Art. 30
(art. L. 322-7 du code du travail)
Appui à la conception d'un plan de gestion prévisionnelle des emplois

Objet : Cet article institue un dispositif d'appui, à la charge de l'Etat, pour les petites et moyennes entreprises souhaitant élaborer un plan de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences

I - Le dispositif proposé

Cet article, qui modifie l'article L. 322-7 du code du travail relatif au dispositif d'aide à l'adaptation des salariés aux évolutions de l'emploi dans le cadre d'accords collectifs sur l'emploi, prévoit la mise en place d'un nouveau dispositif d'appui à la conception de plans de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences par les entreprises. L'aide de l'Etat serait sans doute à la charge du Fonds national de l'emploi (FNE).

Il présente trois caractéristiques :

- il est réservé aux petites et moyennes entreprises (PME), l'article précisant qu'un décret fixera le seuil maximal d'effectif ouvrant droit à l'aide. Votre rapporteur n'a pas pu recueillir d'informations plus précises sur ce seuil.

- il est facultatif, l'Etat se réservant le droit d'attribuer ou non l'aide, sans pour autant que les critères devant fonder la décision soient précisés ;

- il est partiel, l'appui prenant la forme d'une simple prise en charge par l'Etat d'une partie des frais liés aux études préalables à la conception du plan.

L'objectif de cet article semble donc être avant tout d'aider les PME qui n'en ont pas les moyens à élaborer des plans de gestion prévisionnelle des emplois.

II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale

En première lecture, l'Assemblée nationale a modifié cet article à la demande du Gouvernement.

Dans sa rédaction initiale, le présent article prévoyait en effet de substituer cette nouvelle aide à l'aide forfaitaire actuellement prévue par l'article L. 322-7 du code du travail.

Il est désormais prévu que le nouveau dispositif d'appui complète des aides existantes au lieu de les remplacer.

III - La position de votre commission

Votre commission souscrit à la philosophie du nouveau dispositif d'appui. Elle regrette cependant le manque de lisibilité dans l'architecture générale du dispositif, qui est très largement renvoyée au décret.

Par cohérence avec la position adoptée à l'article précédent, votre commission vous propose d'adopter un amendement précisant la notion de compétences.

Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi amendé.

Art. 31
(art. L. 321-4-1 et L. 321-9 du code du travail)
Négociation sur la réduction du temps de travail
préalable à l'établissement d'un plan social

Objet : Cet article modifie la législation relative au licenciement pour motif économique. Il instaure une obligation pour l'employeur de négocier, préalablement à l'établissement d'un plan social, un accord de réduction du temps de travail à 35 heures hebdomadaires ou une durée équivalente sur l'année.

I - Le dispositif proposé

Le présent article propose une nouvelle rédaction d'une disposition adoptée par l'Assemblée nationale à l'initiative de la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales et des membres du groupe socialiste lors de l'examen du projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail et déclarée contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel 68 ( * ) .

L'Assemblée nationale avait prévu à travers cette disposition plus connue sous le nom d'" amendement Michelin " de compléter l'article premier du projet de loi abaissant la durée légale du travail à trente-cinq heures hebdomadaires par un nouveau paragraphe prévoyant que dans les entreprises employant au moins cinquante salariés, préalablement à l'établissement et à la communication aux représentants du personnel du plan social, l'employeur devait " avoir conclu un accord de réduction du temps de travail portant la durée collective du travail des salariés de l'entreprise à un niveau égal ou inférieur à trente-cinq heures hebdomadaires ou à 1.600 heures sur l'année, ou à défaut, avoir engagé sérieusement et loyalement des négociations tendant à la conclusion d'un tel accord " 69 ( * ) .

Le Conseil constitutionnel a déclaré cette disposition contraire à la Constitution en estimant " qu'en instituant une obligation préalable à l'établissement du plan social, sans préciser les effets de son inobservation et, en particulier, en laissant aux autorités administratives et juridictionnelles le soin de déterminer si cette obligation est une condition de validité du plan social, et si son inobservation rend nulles et de nul effet les procédures de licenciement subséquentes, le législateur (n'avait) pas pleinement exercé sa compétence ".

Le présent article reprend l'esprit du texte annulé et introduit trois nouveaux alinéas dans l'article L. 321-4-1 du code du travail relatif la définition du plan social.

On peut rappeler que l'article L. 321-4-1 du code du travail oblige en particulier l'employeur " lorsque le nombre de licenciements est au moins égal à dix dans une même période de trente jours " à " établir et mettre en oeuvre un plan social pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre et pour faciliter le reclassement du personnel dont le licenciement ne pourrait être évité ".

Le deuxième alinéa du paragraphe I de cet article, proposé pour devenir le deuxième alinéa de l'article L. 321-4-1 du code du travail, conditionne l'établissement d'un plan social et sa communication aux représentants du personnel dans les entreprises où la durée collective du travail des salariés est fixée à un niveau supérieur à trente-cinq heures hebdomadaires ou à une durée annuelle équivalente à la conclusion d'un accord de réduction du temps de travail.

Il prévoit également que la durée collective du travail devra avoir été ramenée à un niveau égal ou inférieur à trente-cinq heures hebdomadaires ou à 1.600 heures sur l'année.

Le troisième alinéa du premier paragraphe de cet article aménage le principe précédemment posé puisqu'il établit qu'à défaut d'avoir adopté un tel accord, l'employeur devra avoir engagé des négociations permettant d'aboutir à la conclusion d'un tel accord. Il détermine ensuite des critères matériels et formels permettant d'apprécier la réalité de l'engagement des négociations.

Les organisations syndicales représentatives devront avoir été convoquées à des réunions dont le lieu et le calendrier auront été déterminés. Elles devront avoir reçu communication des informations nécessaires à la négociation et avoir obtenu des réponses à leurs éventuelles propositions.

Ce troisième alinéa fixe donc une obligation de moyens -le recours à la négociation- mais pas une obligation de résultat. Cette rédaction tient compte du fait qu'il n'est pas possible de présumer de la volonté des syndicats de négocier.

Par ailleurs, l'absence de référence à une obligation de conclure un accord de réduction du temps de travail revient à exclure la reconnaissance d'un " droit de veto " aux syndicats sur la mise en place d'un plan social.

Afin de répondre aux objections formulées par le Conseil constitutionnel, le texte du Gouvernement définit, dans le quatrième alinéa du paragraphe I, les conséquences de la non-observation des dispositions prévues précédemment. Il reconnaît ainsi au comité d'entreprise, ou à défaut aux délégués du personnel, le droit de saisir, jusqu'à l'achèvement de la procédure de consultation prévue à l'article L. 321-2 du code du travail, c'est-à-dire jusqu'à la première réunion du comité d'entreprise ou des délégués du personnel, le juge statuant en la forme des référés en vue de faire prononcer la suspension de la procédure.

Lorsque le juge satisfait à la demande de suspension, il fixe un délai au vu des éléments qui lui sont présentés. Il lève la suspension dès que l'employeur s'est conformé aux dispositions prévues par les deuxième et troisième alinéas de ce paragraphe. A l'issue du délai, il prononce la nullité de la procédure de licenciement.

Le paragraphe III de cet article exclut, quant à lui, de cette procédure les entreprises en redressement judiciaire ou en faillite.

II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a adopté deux amendements rédactionnels d'inégale importance présentés par M. Gérard Terrier, rapporteur.

Le premier amendement avait pour objet de remplacer, dans les conditions permettant de déterminer les entreprises visées par le présent article, la référence à " une durée annuelle (du travail) équivalant " à trente-cinq heures hebdomadaires par une mention à un niveau " supérieur à 1.600 heures sur l'année " .

Le second amendement avait pour objet de rectifier une erreur matérielle consécutive à la suppression des dispositions déclarées contraires à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Il rétablit l'application aux entreprises en redressement judiciaire ou en faillite du cinquième alinéa de l'article L. 321-4-1 du code du travail relatif à la nullité de la procédure de licenciement.

III - La position de votre commission

Votre commission vous avait proposé de supprimer le paragraphe IV de l'article premier du projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail (" amendement Michelin ").

Cette suppression était cohérente avec sa préférence pour le recours à une réduction du temps de travail librement négociée par les partenaires sociaux en lieu et place de l'abaissement de la durée légale du travail proposée par le Gouvernement. Elle constituait également la manifestation de son désaccord vis-à-vis d'une disposition complexe et difficilement applicable. Elle saisit l'occasion qui lui est donnée pour observer que le Conseil constitutionnel n'a pas fait une analyse très différente si l'on en juge les motifs invoqués pour censurer cette disposition.

Le texte proposé par cet article pour prévenir les licenciements économiques pose par ailleurs une série de questions auxquelles le Gouvernement comme la majorité de l'Assemblée nationale n'ont pas apporté de réponse.

Le lien qu'il établit entre les difficultés rencontrées par l'entreprise qui envisage le recours à un plan social et la réduction du temps de travail au niveau de la durée légale ne repose sur aucune démonstration. Si nul ne conteste que la réduction du temps de travail librement négociée peut effectivement permettre des réorganisations d'entreprises respectueuses de l'emploi comme l'a démontré par exemple la loi " de Robien " du 11 juin 1996 relative au développement de l'emploi par l'aménagement et la réduction conventionnels du temps de travail , il n'est pas douteux que celle-ci peut ne pas convenir à l'ensemble des entreprises et a fortiori à celles dont l'existence même est menacée.

Compte tenu des conditions nécessaires au succès de la réduction du temps de travail, c'est-à-dire en particulier la mise en place d'une certaine flexibilité dans l'organisation du temps de travail, un accord sur l'évolution des salaires voire le recours à des aides publiques, il est fort possible qu'une négociation préalable et précipitée pourrait être de nature à aggraver la situation de l'entreprise et fragiliser davantage l'emploi.

Par ailleurs, la mise en place d'une obligation de conclure ou négocier un accord de réduction du temps de travail préalablement à l'établissement d'un plan social n'est pas sans poser des interrogations juridiques.

En effet, le paragraphe II de l'article 30 de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail a prévu que " lorsqu'un ou plusieurs salariés refusent une modification de leur contrat de travail en application d'un accord de réduction de la durée du travail, leur licenciement est un licenciement individuel ne reposant pas sur un motif économique et est soumis aux dispositions des articles L. 122-14 à L. 122-17 du code du travail ".

Compte tenu de cette disposition, on peut s'interroger sur la portée du présent article, s'agit-il de prévenir les licenciements économiques ou bien de prévenir les plans sociaux... en privilégiant le recours à des licenciements individuels ?

On le voit, ce texte n'est pas exempt de contradictions. Il comprend par ailleurs de nombreuses zones d'ombre.

La portée exacte de la nullité de la procédure de licenciement mentionnée par la dernière phrase du dernier alinéa du paragraphe I n'est pas, par exemple, explicite. On peut s'interroger sur le fait de savoir si cette nullité est susceptible d'entraîner la réintégration des salariés 70 ( * ) ou bien si les licenciements demeureront, la nullité de la procédure donnant lieu au versement de dommages et intérêts.

On peut rappeler également que la signature d'un accord préalable de réduction du temps de travail suppose la présence d'un délégué syndical alors même que 2/3 des entreprises de 50 à 100 salariés en sont dépourvues. Or, cet article ne prévoit pas la possibilité de recourir au mandatement syndical ou au référendum, deux dispositifs que les lois " Aubry " réservent aux accords donnant lieu à des aides financières. Qu'adviendra-t-il dans ces conditions des entreprises qui ne pourront pas signer d'accord ? Faut-il considérer qu'elles ne pourront plus recourir à un plan social ?

On évoquera également le manque de précision de la référence faite aux " propositions " des organisations syndicales. En ne prévoyant aucun délai pour la communication de ces propositions, le texte de cet article ouvre la voie à un contentieux incertain.

L'ensemble de ces remarques constitue autant de raisons qui ont amené votre commission à désapprouver la démarche suivie par le Gouvernement, une démarche à nouveau empreinte d'une grande méfiance envers les partenaires sociaux dont témoigne la préférence pour le recours " préalable " à l'arme législative.

Dans ces conditions, votre commission des Affaires sociales vous propose d'adopter un amendement de suppression de cet article.

* 66 JO - Débats Assemblée nationale - 2 e séance du 11 janvier 2001 - p. 263.

* 67 Et non des compétences professionnelles et personnelles comme, par exemple, dans le cas du bilan de compétences.

* 68 Voir décision n° 99-423 DC du 13 janvier 2000 sur le projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail.

* 69 Voir notamment à cet égard le rapport n° 30 du Sénat (1999-2000) fait au nom de la commission des Affaires sociales sur le projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail, M. Louis Souvet, rapporteur, p. 276 et suivantes.

* 70 Selon l'arrêt de la Cour de cassation du 13 février dit " Samaritaine ".

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page