N° 277
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001
Annexe au procès-verbal de la séance du 19 avril 2001 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur la proposition de loi de MM. Claude HURIET, Xavier DARCOS, Louis ALTHAPÉ, Pierre ANDRÉ, Denis BADRÉ, Michel BÉCOT, Jean BERNARD, Daniel BERNARDET, Roger BESSE, Jacques BIMBENET, Mme Annick BOCANDÉ, MM. Jean BOYER, Louis BOYER, Louis de BROISSIA, Robert CALMEJANE, Jean-Claude CARLE, Auguste CAZALET, Charles CECCALDI-RAYNAUD, Jacques CHAUMONT, Gérard CORNU, Philippe DARNICHE, Jean DELANEAU, Fernand DEMILLY, Marcel DENEUX, Gérard DERIOT, Charles DESCOURS, André DILIGENT, Jacques DONNAY, Jean-Léonce DUPONT, Daniel ECKENSPIELLER, Michel ESNEU, André FERRAND, Alfred FOY, Serge FRANCHIS, Alain GÉRARD, François GERBAUD, Charles GINESY, Francis GIRAUD, Paul GIROD, Daniel GOULET, Alain GOURNAC, Adrien GOUTEYRON, Francis GRIGNON, Georges GRUILLOT, Pierre HÉRISSON, Rémy HERMENT, André JOURDAIN, Pierre LAFFITTE, Lucien LANIER, Gérard LARCHER, Robert LAUFOAULU, René-Georges LAURIN, Dominique LECLERC, Jacques LEGENDRE, Marcel LESBROS, Roland du LUART, Jacques MACHET, Kléber MALÉCOT, René MARQUÈS, Serge MATHIEU, Michel MERCIER, René MONORY, Georges MOULY, Bernard MURAT, Paul NATALI, Lucien NEUWIRTH, Mme Nelly OLIN, MM. Jacques OUDIN, Michel PELCHAT, Jacques PELLETIER, Jean-Pierre RAFFARIN, Jean-Marie RAUSCH, Victor REUX, Philippe RICHERT, Jean-Pierre SCHOSTECK, Bernard SEILLIER, Michel SOUPLET, Louis SOUVET, Martial TAUGOURDEAU, René TREGOUËT, Alain VASSELLE et Xavier de VILLEPIN , relative à l' indemnisation de l'aléa médical et à la responsabilité médicale ,
Par M. Claude HURIET,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Jean Delaneau, président ; Jacques Bimbenet, Louis Boyer, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Guy Fischer, Jean-Louis Lorrain, Louis Souvet, vice-présidents ; Mme Annick Bocandé, MM. Charles Descours, Alain Gournac, Roland Huguet, secrétaires ; Henri d'Attilio, François Autain, Jean-Yves Autexier, Paul Blanc, Mme Claire-Lise Campion, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Gilbert Chabroux, Jean Chérioux, Philippe Darniche, Claude Domeizel, Jacques Dominati, Michel Esneu, Alfred Foy, Serge Franchis, Francis Giraud, Alain Hethener, Claude Huriet, André Jourdain, Roger Lagorsse, Dominique Larifla, Henri Le Breton, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Jacques Machet, Max Marest, Georges Mouly, Roland Muzeau, Lucien Neuwirth, Philippe Nogrix, Mme Nelly Olin, MM. Lylian Payet, André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de Raincourt, Bernard Seillier, Martial Taugourdeau, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vezinhet, Guy Vissac.
Voir le numéro :
Sénat : 221 (2000-2001)
Santé publique. |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
L'acte médical, qu'il soit à finalité diagnostique ou thérapeutique 1 ( * ) , n'échappe pas à l'imprévisible, à l'aléa : même parfaitement réalisé, il peut échouer, blesser, voire même entraîner la mort.
L'aléa médical peut être défini comme un événement dommageable au patient sans qu'une maladresse ou une faute quelconque puisse être imputée au praticien, et sans que ce dommage se relie à l'état initial du patient ou à son évolution prévisible.
Cette définition implique que l'accident ait été imprévisible au moment de l'acte, ou qu'il ait été prévisible mais connu comme tout à fait exceptionnel, de sorte que le risque était justifié au regard du bénéfice attendu de la thérapie.
Un cas typique est celui du patient qui subit des examens médicaux justifiés par son état, réalisés conformément aux données acquises de la science et après que son consentement éclairé ait été recueilli. Cet examen entraîne chez lui un dommage majeur, telle une paralysie 2 ( * ) .
La question de l'aléa médical et de sa réparation revêt aujourd'hui une particulière acuité.
En effet, les victimes des accidents médicaux sont confrontées à une fatalité doublée d'une incohérence puisque, frappées dans leurs chairs, elles -ou leurs ayants droit- se voient parfois opposer un refus d'indemnisation du fait de l'actuelle inadaptation du droit positif français. Ainsi, selon que l'aléa se sera produit dans le cadre du service public hospitalier ou dans un établissement privé, il sera indemnisé dans des conditions très différentes.
Cette hétérogénéité du droit positif, source d'une inégalité difficilement supportable pour les victimes, est inadmissible.
La question de l'indemnisation des victimes d'accidents médicaux, très largement débattue, a fait l'objet de nombreux projets et propositions de loi dont aucun n'a abouti, faute d'accord sur une solution satisfaisante pour l'ensemble des partenaires concernés et compte tenu, depuis l'apparition des contaminations par le virus de l'hépatite C, de l'importance des masses financières en jeu.
Maintes fois promise, la réponse législative à l'insatisfaction des patients qui s'estiment mal indemnisés lorsque survient un accident médical, comme à celle des professionnels de santé qui craignent une dérive " à l'américaine ", est toujours différée.
Du fait de l'absence d'initiative des pouvoirs publics, le juge, disposé à améliorer de manière significative le sort de la victime, adopte des constructions jurisprudentielles qui bousculent les règles traditionnelles de la responsabilité civile.
Seule une initiative parlementaire est aujourd'hui à même d'offrir enfin aux uns et aux autres cette réponse dans de brefs délais.
Tel est l'objet de la présente proposition de loi qui vise à améliorer l'indemnisation des victimes, tout en maintenant la faute comme fondement de la responsabilité médicale.
Elle prévoit tout d'abord la réparation intégrale, par l'assurance maladie, des dommages non fautifs lorsqu'ils sont graves et anormaux.
Dans un second volet, elle entend faciliter le règlement des litiges survenant à l'occasion d'un dommage fautif.
Des dommages fautifs au règlement facilité, une indemnisation de l'aléa médical organisée : l'adoption de la présente proposition de loi apportera, sans nul doute, des solutions plus justes aux difficultés rencontrées par les patients, et sera de nature à préserver durablement la qualité de la relation entre le médecin et le malade.
I. L'INDEMNISATION DE L'ALÉA MÉDICAL : LES INSUFFISANCES DU DROIT POSITIF
Le droit positif français, en matière d'indemnisation de l'aléa médical, se présente sous deux aspects.
Il admet le principe de l'indemnisation, sous certaines conditions, lorsque le juge administratif est compétent et il s'y refuse quand c'est le juge judiciaire qui est saisi.
A. UNE POSSIBILITÉ D'INDEMNISATION TRÈS STRICTEMENT ENCADRÉE PAR LE JUGE ADMINISTRATIF
1. L'indemnisation de l'aléa médical : un principe admis par le Conseil d'Etat depuis 1993
En droit français, une distinction essentielle, qui est quelquefois considérée comme une étrangeté hors de nos frontières, domine la responsabilité médicale. Il s'agit de la distinction entre la responsabilité médicale qui relève du droit public et celle qui relève du droit privé 3 ( * ) .
On en connaît les raisons. La médecine hospitalière s'exerce dans le cadre du service public de la santé auquel participent les hôpitaux publics qui sont des personnes morales de droit public.
Les médecins hospitaliers, qui sont des agents publics, engagent donc la responsabilité de la puissance publique ; il en résulte que, sauf faute personnelle détachable des fonctions, ils ne sont pas personnellement responsables des dommages qu'ils causent dans l'exercice de leur activité médicale.
La jurisprudence du Conseil d'Etat a connu une évolution remarquable ces dix dernières années en matière de responsabilité médicale. En la synthétisant, il est possible de distinguer trois temps forts dans cette évolution 4 ( * ) .
Dans un premier temps, le Conseil d'Etat a présumé la faute du service public en cas d'infections nosocomiales (C.E. 9 déc. 1988, Cohen).
Puis, le principe même du recours à la faute lourde a été abandonné. Depuis 1992, le Conseil d'Etat a ainsi accepté de reconnaître la responsabilité de l'hôpital pour des actes médicaux sur la base de la faute simple.
Enfin, en 1993, dans l'arrêt Bianchi le Conseil d'Etat a accepté, sous certaines conditions, le principe de l'indemnisation de l'aléa médical. Plus précisément, ce principe est admis depuis 1991, mais le Conseil d'Etat n'a eu à se prononcer sur ce point qu'en 1993.
Si le principe de l'indemnisation de l'aléa médical, en lui-même, est admis, les conditions posées par le juge administratif comme préalable à celle-ci restreignent de façon significative les circonstances ouvrant droit à indemnisation. Ainsi, l'arrêt Bianchi a précisé :
" Lorsqu'un acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement du malade présente un risque dont l'existence est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient y soit particulièrement exposé, la responsabilité du service hospitalier est engagée si l'exécution de cet acte est la cause directe de dommages sans rapport avec l'état initial du patient comme avec l'évolution prévisible, de cet état, et présentant un caractère d'extrême gravité . "
2. Une application de portée limitée
Du fait de ses conditions très restrictives, l'application de cette jurisprudence reste cependant limitée.
Cette rigueur explique que, depuis l'arrêt Bianchi, le nombre de victimes ayant pu bénéficier d'une réparation des conséquences de l'aléa médical reste insignifiant.
Une étude récente 5 ( * ) analyse avec précision la jurisprudence dérivée de l'arrêt " Bianchi ". Il constate que la porte ouverte par cet arrêt est en fait bien étroite.
Selon cette étude, sur la période du 1 er janvier 1994 au 6 avril 2000, et en se limitant aux arrêts des cours administratives d'appel et du Conseil d'Etat, on recense trente applications de la jurisprudence " Bianchi " dont sept décisions positives et vingt-trois négatives.
L'analyse de ces décisions apporte d'utiles indications quant à la condition d'extrême gravité des dommages. Sur les sept décisions positives, quatre sont des accidents d'anesthésie suivis de décès. Dans les trois autres cas, l'invalidité est égale ou supérieure à 70 % 6 ( * ) . Dans l'affaire " Bianchi ", l'invalidité était presque totale (95 %).
Corrélativement, onze décisions de rejet sur vingt-trois sont fondées sur l'insuffisante gravité du dommage aux yeux du juge : une invalidité partielle permanente (IPP) de 45 % a ainsi été jugée non indemnisable.
Il apparaît ainsi que ne sont indemnisables sans faute que les dommages résultant, soit du décès de la victime, soit d'une atteinte à son intégrité corporelle conduisant à un taux d'IPP d'au moins 50 %.
La jurisprudence " Bianchi " exige ensuite que le risque soit connu, mais exceptionnel. D'une façon générale, et depuis l'arrêt " Hôpital Joseph Imbert d'Arles " du 20 septembre 1993, confirmé par le Conseil d'Etat le 3 novembre 1997, les anesthésies générales répondent à cette condition. Il en va de même pour les artériographies.
Pour les autres actes, le juge administratif ne craint pas de se référer aux données statistiques. Ainsi, s'agissant de réactions allergiques après une chimionucléolyse, la Cour administrative d'appel de Lyon, pour admettre la demande, prend soin de relever que la réaction allergique se produit " dans 1 à 2 % des cas ", mais que " cette réaction est le plus souvent bénigne et que le risque de lésion cérébrale majeure, tel qu'en l'espèce, est beaucoup plus exceptionnel, avec une fréquence de l'ordre de 6 à 23 cas pour 10.000 selon les diverses études réalisées sur ce sujet ".
En sens inverse, et pour écarter une demande, la Cour administrative d'appel de Nancy relève que " la survenue d'un hématome après une intervention sur un canal lombaire étroit... est une complication rare, mais non exceptionnelle ".
De même, la Cour administrative d'appel de Bordeaux estime que le risque de perforation de la veine cave à la suite de la pose d'un filtre de Greenfields " ne présente pas un caractère exceptionnel ".
Il faut encore, selon la jurisprudence " Bianchi ", que le dommage causé soit " sans rapport avec l'état initial du patient, comme avec l'évolution prévisible de cet état " .
Comme l'expliquait Serge Daël, Commissaire du Gouvernement, dans ses conclusions sur cet arrêt : " dans la plupart des cas, les conséquences néfastes d'un acte ou d'un traitement médical sont la contrepartie inévitable d'un risque accepté en vue d'une guérison espérée et l'accident trouve sa cause directe dans la personne même de la victime, c'est-à-dire dans sa maladie ".
Pour admettre la responsabilité sans faute, il faudra au contraire que les conséquences de l'acte médical se détachent de celles de l'état initial du patient : " la disproportion doit éclater entre cet état et les conséquences du remède ; l'accident doit avoir créé une situation entièrement nouvelle, dont la thérapeutique est la véritable cause " .
Ce sont ces considérations qui ont justifié neuf arrêts de rejet sur les 23 décisions négatives analysées.
On le voit, les obstacles sont nombreux sur la route des victimes d'accidents médicaux à l'hôpital et le bilan de sept années de jurisprudence " Bianchi " est sinon insignifiant, du moins maigre : une décision favorable en moyenne par an au niveau des cours administratives d'appel.
Il n'y a d'ailleurs pas lieu de s'en étonner. Dès 1993, le Conseil d'Etat avait lui-même conçu cette jurisprudence comme devant jouer exceptionnellement . M. Daël parlait même d'une " dose très exceptionnelle de responsabilité sans faute " dans le secteur hospitalier.
Toutefois, cette jurisprudence aura eu au moins le mérite d'être un véritable signal d'alarme à l'intention des pouvoirs publics.
* 1 Ce qui amène à préférer la formulation " aléa médical " à la formulation " aléa thérapeutique " plus restrictive.
* 2 Cf. Pierre Sargos, " L'aléa thérapeutique devant le juge judiciaire ", in JCP La Semaine juridique Edition générale , n° 5, 2 février 2000, pp. 189-193.
* 3 Cf. Christian Larroumet, " L'indemnisation de l'aléa thérapeutique ", in Recueil Dalloz , 1999, Cahier chronique, pp. 33-37.
* 4 Cf. Etienne Gouesse, " Réflexions sur l'aléa thérapeutique et son indemnisation ", in Petites affiches , 25 janvier 2000, n° 17, pp. 10-21.
* 5 Frédéric Thiriez, " La jurisprudence " Bianchi " : symbole ou réalité ", in Droit administratif , Editions du Juris-Classeur, janvier 2001 ; pp. 9-10.
* 6 Il s'agit de :
- d'une artériographie (comme dans l'affaire Bianchi) ayant entraîné une hémiplégie droite sévère avec aphasie sérieuse (IPP 70 %) ;
- d'une chimionucléolyse ayant provoqué une réaction allergique entraînant d'importantes séquelles neurologiques (IPP 80 %) ;
- d'une intervention chirurgicale sur une scoliose dorsale ayant provoqué une paraplégie (IPP 85 %).