Lutte contre les discriminations

SOUVET (Louis)

RAPPORT 11 (2001-2002) - Commission mixte paritaire

Rapport au format Acrobat ( 26 Ko )

Document mis en distribution le
12 octobre 2001


N° 3309

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

 

N° 11

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale
le 10 octobre 2001

 

Annexe au procès-verbal de la séance
du 10 octobre 2001

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION MIXTE PARITAIRE (1) CHARGÉE DE PROPOSER UN TEXTE SUR LES DISPOSITIONS RESTANT EN DISCUSSION DE LA PROPOSITION DE LOI relative à la lutte contre les discriminations,

PAR M. PHILIPPE VUILQUE, PAR M. LOUIS SOUVET,

Député. Sénateur.

( 1) Cette commission est composée de : M. Jean Le Garrec, député, président, M. Nicolas About, vice-président ; M. Philippe Vuilque, député, M. Louis Souvet, sénateur, rapporteurs.

Membres titulaires :
Mme Cécile Helle, MM. Thierry Mariani, Rudy Salles, Maxime Gremetz, Jean-Pierre Michel, députés, MM. Bernard Seillier, Alain Gournac, Serge Franchis, Mme Gisèle Printz, M. Guy Fischer ;sénateurs.

Membres suppléants : M. Philippe Nauche, Mme Catherine Génisson, MM. Alfred Recours, Anicet Turinay, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, MM. Jean-Pierre Foucher, Pierre Cardo, députés ; Mme Annick Bocandé, MM. Gilbert Chabroux, Jean Chérioux, Francis Giraud, Mme Valérie Létard, MM Jean-Louis Lorrain, Roland Muzeau, sénateurs.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 11 ème législ.) : Première lecture : 2566, 2609 et T.A. 565

Deuxième lecture : 2853 , 2965 et T.A. 646

Troisième lecture : 3174

Sénat : Première lecture : 26 , 155 et T.A. 55 (2000-2001)

Deuxième lecture : 256 , 391 et T.A. 124 (2000-2001)


Droits de l'homme et libertés publiques

Mesdames, Messieurs,

Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande de M. le Premier ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la lutte contre les discriminations à l'embauche et dans l'emploi s'est réunie le mercredi 10 octobre 2001 à l'Assemblée nationale.

La commission a d'abord procédé à la désignation de son bureau qui a ainsi été constitué :

- M. Jean Le Garrec, député, président ;

- M. Nicolas About, sénateur, vice-président.

La commission a ensuite désigné :

- M. Philippe Vuilque, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale ;

- M. Louis Souvet, sénateur, rapporteur pour le Sénat.

*

* *

La commission mixte paritaire a ensuite procédé à l'examen du texte.

M. Louis Souvet, rapporteur pour le Sénat, a rappelé que la présente proposition de loi aurait dû être discutée dans le cadre du projet de loi de modernisation sociale. Compte tenu du travail enrichissant auquel a abouti la poursuite de la navette, chacun s'accordera à considérer que cela aurait été dommage.

Concernant l'historique de ce texte, il n'est toutefois pas inutile de rappeler que les quatre premiers articles de la proposition de loi constituent une reprise des articles 46 à 49 du projet de loi de modernisation sociale déposé à l'Assemblée nationale le 24 mai 2000. Ils ont été disjoints à un moment où l'examen de ce texte semblait incertain. Depuis lors, celui-ci a finalement été inscrit à l'ordre du jour, ce qui a eu pour conséquence un examen en parallèle de cette proposition de loi et du projet de loi de modernisation sociale (adopté hier en deuxième lecture par le Sénat).

Des liens subsistent néanmoins entre les deux textes puisque si l'objet premier de cette proposition de loi consiste à aménager le régime de la charge de la preuve dans le cas de conflits portant sur une discrimination -liée à la race, au sexe, à la nationalité...-, il doit être rappelé que le projet de loi de modernisation comprend des dispositions similaires concernant la lutte contre les discriminations dans l'accès au logement (article 50) et la lutte contre le harcèlement moral au travail (article 50 ter).

Outre les quatre articles d'origine, la proposition de loi s'est enrichie au cours de la navette de plusieurs articles concernant l'égalité de rémunération (article 5), l'irrecevabilité des listes présentées aux élections prud'homales par une organisation politique prônant des discriminations (article 6), la nullité d'un licenciement d'un salarié ayant témoigné de mauvais traitements (article 7), la création d'un service d'accueil téléphonique gratuit (article 8), l'extension de la compétence du fonds d'action sociale pour les travailleurs immigrés et leurs familles (article 9) et la lutte contre les discriminations dans la fonction publique (article 10).

La poursuite de la navette au cours de la deuxième lecture a permis d'enrichir sensiblement le texte. On peut noter, par exemple, qu'à l'initiative du Sénat a été intégré l'âge parmi les motifs de discrimination (articles 1 er et 2). Plusieurs autres articles ont également vu leur rédaction améliorée du fait de l'une ou de l'autre des Assemblées.

A la veille de la réunion de la CMP, les désaccords ne concernent plus que trois articles de la proposition de loi (articles 1 er , 2 et 4). Force est cependant de constater que ces divergences ne sont pas négligeables puisqu'elles concernent la principale disposition du texte, c'est-à-dire l'aménagement de la charge de la preuve.

En effet, en cas de litige, l'Assemblée nationale propose que le salarié « présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination » alors que, par deux fois, le Sénat a souhaité que le salarié « établisse des faits » qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination. Cette dernière rédaction serait d'ailleurs conforme à la lettre de l'article 8 de la directive du 29 juin 2000 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique.

Enfin, l'Assemblée nationale a prévu que la partie défenderesse se devrait, en réponse, de prouver que sa décision est « justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination » alors que le Sénat a préconisé qu'elle prouve que sa décision n'est « pas contraire » aux principes de non-discrimination.

Outre le régime de la charge de la preuve, un différend demeure également à propos du fait de savoir si un syndicat peut, ou non, se dispenser de l'accord du salarié pour entreprendre et poursuivre une action en justice en son nom.

A l'heure d'examiner si un accord est possible entre les deux assemblées, force est donc de constater que la distance qui les sépare n'a rien d'incommensurable, puisqu'est partagé le même objectif, celui de lutter contre les discriminations.

M. Jean Le Garrec, président, a précisé qu'il avait demandé que ce texte soit, en raison de l'acuité du problème soulevé, disjoint du projet de loi de modernisation sociale et non en raison d'une éventuelle incertitude sur l'inscription à l'ordre du jour de celui-ci, incertitude levée à ce moment.

M. Philippe Vuilque, rapporteur pour l'Assemblée nationale, a relevé que les navettes successives entre l'Assemblée nationale et le Sénat avaient permis d'enrichir le texte et de rapprocher les points de vue des deux assemblées. Des précisions utiles ont notamment été apportées en ce qui concerne la discrimination en raison de « l'âge » et le rôle joué par l'inspection du travail. Les articles 1 er , 2 et 4 n'en restent pas moins en discussion. Les divergences constatées sont ainsi de deux ordres :

- Du point de vue symbolique, l'intitulé de la proposition de loi a été restreint au champ de l'emploi et de l'embauche par le Sénat ; il est souhaitable de revenir à l'intitulé adopté par l'Assemblée nationale en raison de la présence dans le texte de plusieurs articles excédant largement ce champ (articles 6, 8 et 9).

- Sur le fond, subsistent deux points de désaccord essentiels relatifs au régime de la charge de la preuve et à la possibilité pour une organisation syndicale d'agir en justice pour le compte de la personne victime de discrimination.

S'agissant de l'aménagement de la charge de la preuve, la disposition essentielle de la proposition de loi, le Sénat a prévu que le plaignant doit « établir des faits permettant de présumer l'existence d'une discrimination » et non « présenter des éléments de faits laissant supposer l'existence de cette discrimination » comme le souhaite l'Assemblée nationale. Le dispositif adopté par le Sénat tend en réalité à renforcer la part de la preuve à apporter par le salarié. L'aménagement de la charge de la preuve est le seul moyen de mettre fin à l'insidieuse discrimination subie par nombre de salariés. Il importe de rendre l'action en justice efficace. A défaut d'un réel partage de la charge de la preuve, la situation des victimes ne sera pas améliorée.

Le Sénat a mis en avant la gêne que cela pourrait occasionner aux entreprises : s'il n'y a pas de phénomènes de discrimination, la gêne sera nulle. Il appartiendra en tout état de cause au juge d'apprécier la recevabilité des actions.

M. Jean Le Garrec, président , a souligné l'importance que revêtait la lutte contre les discriminations dans le contexte actuel.

M. Guy Fischer, sénateur, s'est déclaré pleinement en accord avec le texte adopté par l'Assemblée nationale, qu'il s'agisse de l'aménagement de la charge de la preuve ou de l'intervention des organisations syndicales. Ces dispositions fondamentales revêtent un caractère d'une grande actualité. Il faut en effet être conscient du fait qu'une partie de la population est aujourd'hui quotidiennement victime de discriminations.

M. Louis Souvet, rapporteur pour le Sénat, a fait part de deux objections aux propositions de l'Assemblée nationale :

- l'aménagement de la charge de la preuve dans le sens souhaité par l'Assemblée nationale risque d'engendrer des abus au préjudice de l'employeur qui devra perpétuellement se justifier ;

- l'intervention d'une organisation syndicale sans l'accord de l'intéressé est une atteinte inadmissible au respect de la volonté de la personne.

M. Rudy Salles, député, après avoir exprimé l'accord du groupe UDF avec la philosophie générale d'un texte abordé sans a priori , a apporté son soutien à la position exprimée par le Sénat.

Mme Catherine Génisson, députée , a estimé que l'aménagement du régime de la charge de la preuve constituait une avancée fondamentale pour le salarié, en particulier en matière d'embauche, de même que la possibilité d'action en justice des organisations syndicales.

M. Jean Chérioux, sénateur , après avoir souligné l'aspect très subjectif du sentiment de discrimination, a considéré que cette proposition de loi risquait d'augmenter considérablement le nombre des actions contentieuses. Celles-ci risquent d'être souvent pour les salariés l'occasion de se dissimuler leurs propres insuffisances.

M. Philippe Vuilque, rapporteur pour l'Assemblée nationale , a estimé que cet argument était à double tranchant : la subjectivité est à l'évidence présente dans la pratique insidieuse consistant à éliminer les noms à consonance étrangère lors de l'examen des candidatures à l'embauche. Au demeurant, l'évolution de la pratique de certaines entreprises (comme dans le secteur de l'intérim) depuis le début des travaux parlementaires atteste de la pertinence du dispositif envisagé. Le législateur a un devoir d'efficacité.

M. Jean Le Garrec, président , a souligné l'importance de la question du partage de la charge de la preuve. La disposition adoptée par l'Assemblée nationale est un signal aux entreprises destiné à faire évoluer la situation.

M. Louis Souvet, rapporteur pour le Sénat , a convenu que chacun pouvait tout à fait trouver des arguments parfaitement objectifs pour défendre ses positions, mais les entreprises ne fonctionnent pas comme semble le penser l'Assemblée nationale. Dans les grandes et moyennes entreprises en tout cas, ce n'est pas le chef d'entreprise qui embauche mais un directeur des ressources humaines et ce sont avant tout des compétences qui sont recherchées. Les personnes chargées des recrutements ne s'arrêtent pas à un nom ou à une origine ethnique.

Il a enfin observé que si chacun reste campé sur ses positions et n'envisage pas d'évoluer vers les propositions de l'autre assemblée, il n'est pas utile de se réunir en commission mixte paritaire.

M. Jean Le Garrec, président, a rappelé que l'Assemblée nationale étudiait toujours avec beaucoup d'attention les débats du Sénat et prenait souvent en compte ses observations. Il n'en demeure pas moins que lorsque les divergences sur le fond sont trop importantes, les deux assemblées ne peuvent qu'en prendre acte.

M. Jean-Pierre Michel, député , a considéré que les deux points de désaccord entre l'Assemblée et le Sénat n'étaient pas de même nature.

Sur le partage de la charge de la preuve, la position de l'Assemblée est incontestablement la bonne. Elle ne fait que reprendre le droit commun en matière de diffamation. La solution retenue par le Sénat interdirait en pratique toute action judiciaire à une personne qui aurait le sentiment d'être victime d'une discrimination.

En revanche, en ce qui concerne l'action des syndicats et des associations, la position peut être plus nuancée. En matière pénale, on ne voit pas de cas où l'action d'un syndicat ou d'une association puisse se faire sans l'accord de l'intéressé. Bien sûr, la personne victime de discrimination subit parfois des pressions telles qu'elle peut renoncer à agir en justice mais il n'est pas certain qu'elle ait intérêt à ce qu'un syndicat ou une association agisse pour son compte sans son accord.

Mme Catherine Génisson, députée , a rappelé que la règle du partage de la charge de la preuve était déjà appliquée en matière de discrimination salariale.

M. Nicolas About, vice-président , a considéré que, dans la présente proposition de loi, le champ de définition de la discrimination était beaucoup plus large qu'en matière salariale. Dans le présent texte, l'accumulation des critères permet en pratique de toujours déceler une source possible de discrimination. Il y a donc un risque d'extension considérable des procédures. De ce fait, le choix du Sénat en matière de charge de la preuve est simplement raisonnable.

En revanche, pour ce qui concerne l'action des syndicats et des associations, un rapprochement entre les deux assemblées semble possible. Il serait ainsi envisageable de prévoir que l'intéressé peut, à tout moment, demander l'arrêt de la procédure, la durée de quinze jours prévue par le texte paraissant beaucoup trop courte pour lui permettre de réagir.

Enfin, sur le titre de la proposition de loi, le Sénat pourrait se ranger à la proposition de l'Assemblée nationale. Il serait donc regrettable qu'un accord d'ensemble ne puisse pas être trouvé.

M. Jean Le Garrec, président, a demandé au rapporteur de l'Assemblée nationale d'étudier la suggestion faite par le Sénat en ce qui concerne l'arrêt de l'action des syndicats.

Il a ensuite considéré que sur le problème du partage de la charge de la preuve, la divergence entre les deux assemblées était trop forte pour pouvoir faire l'objet d'un rapprochement. Il n'y a évidemment pas dans ce constat de jugement sur le souci de chaque assemblée de régler le problème des discriminations dans l'entreprise.

La commission mixte paritaire s'est prononcée sur l'article premier dans le texte de l'Assemblée nationale et l'a rejeté par sept voix contre sept.

Elle a ensuite rejeté , par sept voix contre sept, l'article premier dans le texte du Sénat.

M. Jean Le Garrec, président, a alors constaté que la commission mixte paritaire n'était pas en mesure d'adopter un texte commun sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la lutte contre les discriminations.

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