EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le Sénat est saisi en deuxième lecture de la proposition de loi relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins, adoptée par l'Assemblée nationale en deuxième lecture le 28 juin 2001, soit une semaine après son examen par le Sénat en première lecture.
La proposition de loi présentée et rapportée par M. Alain Vidalies avait à l'origine pour seul objet d'accroître les droits successoraux ab intestat du conjoint survivant. Elle a été complétée par l'Assemblée nationale en première lecture, le 8 février 2001, par une disposition supprimant du code civil toute référence aux enfants adultérins , alignant de ce fait les droits de ces enfants sur ceux de l'ensemble des enfants naturels.
Le Sénat a, quant à lui, apporté de substantielles modifications au texte, le 21 juin 2001, sur le rapport de M. Nicolas About que votre rapporteur a le redoutable honneur de remplacer pour cette deuxième lecture.
La brièveté du délai imparti à l'Assemblée nationale pour se prononcer en deuxième lecture ne lui a pas laissé le temps d'étudier de manière approfondie la position du Sénat. Les députés ont en conséquence adopté un texte presque identique à celui résultant de la première lecture . Les représentants des groupes de l'opposition qui avaient voté le texte en première lecture se sont abstenus en deuxième lecture regrettant que l'Assemblée nationale ait ignoré les apports du Sénat.
A l'issue de cette deuxième lecture à l'Assemblée nationale, les deux assemblées se sont certes accordées sur les dispositions relatives aux droits successoraux des enfants naturels et adultérins et sur diverses dispositions introduites par le Sénat ou par l'Assemblée nationale ayant un rapport plus éloigné au texte.
Des divergences importantes subsistent sur les droits du conjoint survivant . Si les deux assemblées ont convenu de la nécessité d'accroître ces droits , elles ont proposé des solutions très différentes.
Il apparaît en effet que la diversification des modèles familiaux rend très difficile l'adoption d'une solution adaptée à toutes les situations. Il ne faut pas méconnaître le fait qu'au delà de questions purement techniques et procédurales, les règles fixées par le législateur pour la dévolution successorale légale sont fondamentales en ce qu'elles reflètent une conception de l'organisation sociale .
Déterminer les droits du conjoint survivant conduit ainsi à revoir la place du conjoint par rapport à la famille par le sang, donc celle du mariage par rapport au lignage, et à s'interroger sur les conséquences de la multiplication des familles conjugales recomposées.
Les règles de la dévolution légale ne peuvent convenir à toutes les situations. Elles doivent s'adresser au plus grand nombre et garder un équilibre entre des intérêts parfois antagonistes , sachant qu'elles peuvent être corrigées dans un sens ou dans un autre par la volonté des époux à travers des dispositions matrimoniales ou testamentaires.
Lors de la discussion en première lecture, le Sénat avait été guidé par trois principes qui peuvent être difficiles à concilier :
- permettre au conjoint de garder les conditions de vie les plus proches possible de ses conditions de vie antérieures , ce qui avait notamment conduit à introduire la possibilité pour le conjoint, en présence de descendants du défunt, de choisir l'usufruit plutôt qu'une quote-part réduite à un quart de la propriété, à faire porter les droits du conjoint sur les biens existants au décès et non sur l'ensemble de la succession et à lui accorder un droit d'habitation intangible sur le logement servant de résidence principale ;
- tenir compte de la présence d'enfants d'un premier lit , ce qui avait conduit à différencier les solutions en fonction des situations familiales ;
- ne pas écarter complètement la famille par le sang, ce qui avait conduit à reconnaître des droits successoraux aux collatéraux privilégiés (frères et soeurs ou leurs descendants) ou aux ascendants ordinaires (grand-parents) en l'absence de descendant ou de père et mère du défunt.
En première lecture, le Sénat avait, en outre, considéré que la proposition de loi était un excellent vecteur pour procéder à une réforme globale du droit des successions dans la ligne des travaux animés depuis vingt ans par le Doyen Carbonnier et le professeur Catala.
Après avoir constaté que trois projets de loi reprenant ces travaux avaient été présentés à l'Assemblée nationale par des gouvernements d'orientations politiques différentes, successivement en 1988, 1991 et en 1995, sans avoir jamais été inscrits à l'ordre du jour du Parlement, le Sénat avait estimé qu'il n'y avait aucune raison de retarder plus longtemps la mise en oeuvre de cette réforme consensuelle, attendue par les professionnels, techniquement étudiée de longue date et de nature à régler de nombreuses difficultés rencontrées actuellement dans le cours des règlements successoraux. Il avait donc adopté une vingtaine d'articles additionnels réécrivant l'ensemble du titre Ier du Livre III du code civil relatif aux successions.
Le Gouvernement ayant refusé, malgré la suggestion qui lui en avait été faite par le président de votre commission à l'époque, de lui donner, pour la deuxième lecture, un délai d'examen supérieur à une semaine, l'Assemblée nationale n'a pas envisagé cette réforme, laissant craindre qu'elle ne voie jamais le jour.
Après avoir rappelé les points d'accord intervenus entre les deux assemblées, votre commission vous présentera les solutions auxquelles elle reste attachée s'agissant des droits du conjoint survivant. Elle vous proposera enfin, à défaut de réforme globale du droit des successions, de tenter à tout le moins d'emporter l'adhésion de l'Assemblée nationale sur une réforme partielle se limitant aux trois premiers chapitres actuels du titre Ier, dans lesquels sont incluses les dispositions relatives aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins. Cette réécriture aurait le mérite de clarifier la rédaction actuelle et de moderniser des dispositions jugées archaïques telles celles relatives aux co-mourants, à l'indignité ou à la distinction entre les frères et soeurs germains, consanguins ou utérins.
I. LES DEUX ASSEMBLÉES SE SONT ACCORDÉES SUR LES DROITS DES ENFANTS NATURELS ET ADULTÉRINS ET SUR DIVERSES AUTRES DISPOSITIONS
Un accord s'est dessiné entre les deux assemblées sur les dispositions relatives aux droits des enfants naturels et adultérins et sur certaines dispositions, adoptées à l'initiative de l'une ou l'autre assemblée, ayant un rapport plus lointain avec la proposition de loi initiale.
1. Un accord sur les dispositions relatives aux enfants naturels et adultérins
L'article 9 de la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture supprime dans le code civil toute référence aux enfants adultérins. Il aligne en conséquence les droits successoraux de ces enfants sur ceux des enfants naturels.
Le Sénat a adhéré à cette disposition. La question du droit des enfants adultérins, très controversée dans les années passées présente en effet aujourd'hui un aspect plus consensuel, chacun reconnaissant la nécessité pour la France de se mettre en conformité avec la décision de la Cour européenne des droits de l'Homme du 1 er février 2000 (arrêt Mazureck). La proposition de loi va d'ailleurs plus loin que ne l'aurait exigée la simple mise en conformité de notre droit avec la lettre de cette dernière décision puisque, ne se contentant pas de rétablir une stricte égalité successorale entre les enfants, elle abroge également les dispositions protectrices du seul conjoint dans le cas où ce dernier se trouve en concours uniquement avec des enfants adultérins.
En première lecture, l'Assemblée nationale avait prévu que cette abrogation des dispositions relatives aux enfants adultérins produirait effet dès la publication de la loi. Elle se serait donc appliquée aux successions ouvertes à compter de l'entrée en vigueur de la loi ( art. 10 ).
Pour mettre fin à l'incertitude actuelle résultant des décisions de certains tribunaux de première instance ayant écarté l'application d'articles du code civil relatifs aux enfants adultérins, le Sénat a prévu que les nouveaux droits reconnus par la loi aux enfants adultérins comme aux enfants naturels s'appliqueraient à l'ensemble des successions ouvertes avant l'entrée en vigueur de la loi sous réserve qu'elles n'aient pas fait l'objet d'accord amiable ou de décision de justice passée en force de chose jugée.
L'Assemblée nationale a adhéré à cette proposition, tout en précisant que la loi ne s'appliquerait pas, en tout état de cause, aux successions ayant fait l'objet d'un partage avant la publication de la loi au Journal officiel ( art. 10, II, 2° ).
Dans l'esprit du Sénat, le partage était inclus dans les accords amiables ou dans les décisions de justice. A partir du moment où l'Assemblée nationale a visé expressément le partage, il paraît utile de mentionner également la liquidation , celle-ci pouvant intervenir avant le partage pour fixer les droits des différents héritiers. Il convient également de préciser que la loi ne s'appliquera pas aux successions ayant fait l'objet d'un partage partiel avant son entrée en vigueur. Il importe en effet de ne pas remettre en cause un règlement successoral auquel un enfant naturel ou adultérin aurait concouru et les aliénations qui en auraient résulté.
Le Sénat avait en outre complété le texte de manière à établir une égalité successorale complète entre les enfants naturels et les enfants légitimes.
Il a en effet introduit un article 9 bis A étendant à l'ensemble des enfants non issus des deux époux l'action en retranchement prévue à l'article 1527 du code civil et actuellement ouverte, du fait de l'interprétation littérale de l'article donné par la Cour de cassation, aux seuls enfants légitimes issus d'un « précédent mariage ». L'Assemblée nationale a adopté sans modification cette disposition. Tous les enfants d'un autre lit pourront ainsi faire jouer cette clause de manière à ce que les avantages matrimoniaux accordés par un époux à son conjoint soient considérés comme des libéralités devant s'imputer sur la quotité spéciale disponible entre époux.