E. AUDITION DE M. JEAN GAUTIER, RAPPORTEUR, AU NOM DU CONSEIL ÉCONOMIQUE ET SOCIAL, DE L'AVIS « SMIC ET RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL : « DES DIVERGENCES À LA CONVERGENCE »
Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, sous la présidence de M. Alain Gournac, puis de M. Georges Mouly, vice-présidents, la commission a procédé à l'audition de M. Jean Gautier, rapporteur au nom du Conseil économique et social, de l'avis « SMIC et réduction du temps de travail : des divergences à la convergence ».
M. Alain Gournac, président, a rappelé que le Conseil économique et social, le 4 juin 2002, avait été saisi pour avis par le Premier ministre sur la question de la convergence des SMIC multiples. Il a précisé que cet avis ne portait donc pas sur le projet de loi relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi. Il a souligné que, lorsque le Conseil était saisi pour avis d'un projet de loi, il était prévu que son rapporteur puisse être entendu par le Sénat. Tel n'était pas le cas en l'espèce ; aussi, la commission avait-elle le plaisir d'entendre elle-même le rapporteur du Conseil.
A titre liminaire, M. Louis Souvet, rapporteur, s'est interrogé sur le diagnostic du Conseil économique et social sur les conséquences économiques et sociales résultant de la multiplicité du SMIC, ainsi que sur les principes posés par le Conseil pour explorer les voies de sortie de ce dispositif.
M. Jean Gautier, rapporteur du Conseil économique et social, a souhaité rappeler les origines de cette multiplicité résultant de l'abaissement de la durée légale du temps de travail, des dispositions relatives à la définition et à l'évaluation du SMIC et de la loi du 19 janvier 2000 garantissant, par l'instauration d'une garantie de rémunération mensuelle (GRM), le maintien du pouvoir d'achat des salariés au SMIC.
Il a observé que le salaire mensuel de base ouvrier et le salaire horaire avaient évolué à un rythme différent du fait de la réduction du temps de travail, de telle sorte qu'au 1 er juillet de chaque année intervenait une nouvelle GRM. Il a noté qu'aujourd'hui coexistaient cinq SMIC, apparus aux différentes dates du passage aux 35 heures des entreprises dans la période comprise entre 1998 et 2002. Il a indiqué que le Conseil d'Etat avait demandé, compte tenu de l'inégalité ainsi créée, qu'une date limite de convergence des SMIC soit fixée au 1 er juillet 2005.
Il a indiqué qu'au sein du Conseil économique et social, tous les partenaires sociaux s'étaient accordés pour souligner le désordre provoqué par ce système. Parallèlement, le Conseil s'est inquiété de la situation de certaines PME, dans lesquelles plusieurs SMIC étaient appliqués à des salariés d'égale compétence. Il a ensuite regretté l'absence de toute promotion salariale pour les plus bas niveaux des grilles des conventions collectives dépassées par le SMIC. Il a alors relevé qu'entre 2,7 millions et 2,8 millions de salariés, soit 15 % des effectifs salariés, étaient concernés par cette situation, et particulièrement les salariés les moins qualifiés.
Puis M. Jean Gautier a exposé les principes posés par le Conseil économique et social pour explorer les voies de sortie de ce dispositif :
- le souhait de préserver la vocation initiale du SMIC, c'est-à-dire son caractère de minimum social assorti d'une participation aux fruits de la croissance ;
- la nécessité de ne pas menacer les emplois dans les entreprises par une augmentation brutale du coût du travail.
S'appuyant sur divers travaux macro-économiques et notamment sur une synthèse du Conseil supérieur de l'emploi, des revenus et des coûts (CSERC), il a fait valoir à cet égard que jusqu'à 300.000 emplois pouvaient être menacés par l'augmentation de plus de 10 % du SMIC induite par une convergence immédiate.
Il en a conclu que les salariés, les entreprises et l'Etat devaient partager le coût financier de cette convergence.
Il a ensuite exposé les différents scenarii envisagés au sein du Conseil économique et social qui avait distingué plusieurs « familles de solutions », celles reposant sur le recul de l'échéance du 1 er juillet 2005, celles fondées sur le gel nominal de la GRM 2002 sur plusieurs années, celles, enfin, impliquant une convergence rapide. Parmi ces dernières, le scénario d'une convergence immédiate impliquant une revalorisation du SMIC horaire de l'ordre de 11 % au 1 er juillet 2003 présentait le mérite d'apporter une solution immédiate à la multiplicité des SMIC, mais entraînait une forte hausse des coûts de production.
Aussi un scénario de convergence par étapes avait été également envisagé, consistant à stopper le mécanisme de création de nouvelles GRM, à aligner celles-ci sur le niveau le plus élevé, à faire évoluer la dernière GRM selon les dispositions légales en vigueur et à étaler la hausse du SMIC horaire sur plusieurs années, en procédant à des coups de pouce successifs de l'ordre de 3 % sur trois ans (2003-2005), venant s'ajouter à la hausse spontanée liée au mécanisme d'indexation.
M. Jean Gautier s'est réjoui du scénario équilibré pour lequel le Gouvernement avait opté. Il a affirmé que ce scénario prenait en compte aussi bien la préservation du pouvoir d'achat des salariés que la maîtrise des coûts de production pour les entreprises et retenait la date du 1 er juillet 2005 préconisée par le Conseil d'Etat.
Au total, M. Jean Gautier s'est déclaré satisfait de l'article premier du projet de loi relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi, avec une seule réserve mineure tenant au choix de suspendre, jusqu'au 1 er juillet 2005, le mode de revalorisation du SMIC prévue à l'article 141-5 du code du travail.
M. Guy Fischer s'est inquiété du blocage du pouvoir d'achat des salariés au SMIC, induit par cette convergence. Il a craint que la réserve exprimée par M. Jean Gautier au sujet de l'article premier du projet de loi relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi n'ait des conséquences plus importantes à l'avenir.
Après avoir reconnu que le choix de juillet 2005 pour la convergence des SMIC relevait des aspects positifs du projet de loi, M. Gilbert Chabroux a ajouté qu'il partageait les inquiétudes de M. Guy Fischer sur la préservation du pouvoir d'achat des salariés. Il a estimé que le projet de loi s'éloignait sur ce point des recommandations du Conseil économique et social.
M. André Lardeux a interrogé M. Jean Gautier sur les effets de cette convergence sur l'emploi et sur les salariés dont la rémunération se situait juste au-dessus du SMIC.
M. Jean Gautier a indiqué que la section « travail » du Conseil économique et social a demandé aux instituts d'analyse de procéder à une étude d'impact. Il a regretté que ceux-ci n'aient pas bénéficié d'un délai suffisant pour entreprendre de telles études.
M. Jean Chérioux a assuré que le projet de loi relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi n'avait pas d'effet négatif sur le pouvoir d'achat, contrairement à la loi relative à la réduction du temps de travail (RTT), puisque celle-ci impliquait un gel des salaires. Il a fait valoir que le projet de loi avantageait les salaires les plus faibles. Puis il a demandé si le Conseil économique et social disposait de statistiques relatives aux effectifs de salariés au SMIC appartenant aux différentes GRM.
Répondant à MM. Guy Fisher et Gilbert Chabroux, M. Jean Gautier a rappelé que le Conseil économique et social n'avait pas eu l'intention de remettre en cause la vocation initiale du SMIC, c'est-à-dire la garantie d'un pouvoir d'achat minimum pour les salariés de faible qualification. Il a justifié le caractère mineur de sa réserve à l'égard de la rédaction de l'article premier du projet de loi par le caractère provisoire de la dérogation. Il a fait observer, à cet égard, que l'objectif poursuivi par cet article était de permettre une revalorisation du SMIC, plus forte que celle résultant des règles actuelles.
En réponse à la question de M. Jean Chérioux, M. Jean Gautier a affirmé que les deux catégories de salariés au SMIC les plus nombreux étaient les salariés bénéficiant de la GRM la plus ancienne et les salariés appartenant aux entreprises qui n'avaient pas signé d'accord relatif à la RTT.