EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le Sénat a été saisi, en application de l'article 88-4 de la Constitution, de deux projets d'accords entre l'Union européenne et les Etats-Unis d'Amérique en matière d'extradition et d'entraide judiciaire.
La négociation de ces accords est étroitement liée aux attentats terroristes qui ont frappé les Etats-Unis le 11 septembre 2001.
Lors d'une réunion extraordinaire du Conseil européen, tenue le 21 septembre 2001, les chefs d'Etat et de Gouvernement des pays membres de l'Union européenne ont exprimé leur solidarité avec les Etats-Unis et ont fait de la lutte contre le terrorisme un objectif prioritaire de l'Union. Le 19 octobre 2001, lors d'une nouvelle réunion du Conseil européen tenue à Gand, ils ont décidé de mettre en oeuvre un plan d'action contre le terrorisme et d'examiner avec les autorités américaines les propositions de coopération présentées par le président des Etats-Unis dans une lettre du 16 octobre 2001.
Des négociations ont alors été entamées en vue de la conclusion d'un accord sur la coopération judiciaire et l'extradition.
Ces négociations sont aujourd'hui pratiquement achevées.
Lors d'une réunion du Conseil des ministres de la justice et des affaires intérieures tenue les 27 et 28 février derniers, les représentants des Etats membres ont décidé de suspendre les négociations pour donner à chacun « le temps d'examiner les différents aspects de ces textes » et de manière à associer les parlements nationaux, l'objectif étant qu'une décision soit prise lors de la prochaine réunion des ministres de la justice prévue le 8 mai prochain.
Le Gouvernement a alors soumis les projets d'accord à l'Assemblée nationale et au Sénat au titre de l'article 88-4 de la Constitution (texte E 2210), qui leur permet d'adopter des résolutions sur les projets ou propositions d'actes des Communautés européennes et de l'Union européenne.
Le 1 er avril dernier, la délégation pour l'Union européenne du Sénat a adopté à l'unanimité, sur proposition de votre rapporteur, une proposition de résolution, qui a été renvoyée à votre commission des lois.
Compte tenu de l'importance du sujet et de la nécessité d'une prise de position très rapide du Parlement, votre commission a décidé d'examiner sans attendre cette proposition de résolution.
Les projets d'accords sur l'entraide judiciaire et l'extradition négociés avec les Etats-Unis contiennent des dispositions utiles et méritent à ce titre d'être approuvés. La procédure envisagée pour la conclusion de ces accords est cependant beaucoup plus contestable. Elle pourrait porter sérieusement atteinte aux prérogatives du Parlement français et compromettre la sécurité juridique des décisions à prendre en application de ces accords.
I. DES PROJETS D'ACCORDS UTILES
Les accords en cours de négociation avec les Etats-Unis n'ont pas vocation à remplacer les accords bilatéraux existant entre les Etats-Unis et la plupart des Etats membres en matière d'entraide judiciaire.
L'article 3 de chacun des deux projets d'accords définit en effet leur champ d'application par rapport aux traités bilatéraux conclus par les Etats-membres. Tantôt, les projets d'accords ont vocation à s'appliquer en lieu et place des traités bilatéraux, tantôt ils ne sont destinés à s'appliquer qu'en l'absence de dispositions dans les traités bilatéraux.
Les textes proposés contiennent des stipulations utiles et novatrices. Certaines sont cependant plus contestables. Il convient surtout de remarquer que ces accords avec les Etats-Unis vont parfois au-delà de la coopération que les Etats membres ont établie entre eux, ce qui est pour le moins paradoxal.
A. DES STIPULATIONS BIENVENUES
La France est déjà liée aux Etats-Unis par deux accords bilatéraux d'extradition et d'entraide judiciaire pénale, respectivement signés en 1996 et 1998.
La mise en oeuvre de ces accords est facilitée par la présence d'un magistrat de liaison français à Washington et d'un magistrat de liaison américain à Paris. Certains Etats membres de l'Union européenne n'ont cependant pas conclu de tels accords avec les Etats-Unis, en sorte que les accords en cours de négociations représenteront pour eux une réelle valeur ajoutée.
1. Le projet d'accord d'entraide judiciaire
Le projet d'accord sur l'entraide judiciaire comporte plusieurs stipulations novatrices :
- l'article 4 renforce la coopération judiciaire en ce qui concerne la recherche d'informations bancaires . Ainsi, le respect du secret bancaire ne pourra plus constituer un motif de refus d'assistance. Jusqu'il y a peu, les Etats-Unis ne disposaient pas d'un système de recensement des comptes bancaires. Le « Patriot Act », adopté peu après les attentats terroristes du 11 septembre 2001, prévoit la centralisation des renseignements bancaires ;
- l'article 5 permet la création d' équipes communes d'enquête , qui pourront opérer sur les territoires des Etats-Unis et de chacun des Etats membres de l'Union européenne, afin de faciliter les enquêtes et les poursuites pénales concernant les Etats-Unis et un ou plusieurs Etats membres ;
- l'article 6 impose aux parties contractantes de prendre les mesures nécessaires pour recourir à la technologie de la visioconférence entre les Etats-Unis et chaque Etat membre pour recueillir le témoignage d'une personne ou d'un expert situé dans un Etat requis ;
- l'article 7 prévoit que les demandes d'entraide judiciaire et les communications qui s'y rapportent pourront être transmises par des moyens de communications rapides tels que la télécopie ou le courrier électronique , la confirmation formelle devant suivre si elle est demandée par l'Etat requis. L'Etat requis pourrait répondre en utilisant les mêmes moyens de communications rapides.
2. Le projet d'accord d'extradition
Le projet d'accord d'extradition tend à simplifier la transmission et l'authentification des demandes d'extradition, des documents à l'appui de celles-ci et des demandes d'arrestation provisoire . Ainsi, les demandes d'arrestation provisoire pourront être directement transmises par le ministère de la justice de l'Etat requérant au ministère de la justice de l'Etat requis.
Le projet d'accord tend également à étendre le champ d'application de l'extradition en ce qui concerne les Etats membres de l'Union européenne qui avaient conclu avec les Etats-Unis des accords d'extradition n'autorisant l'extradition que pour une liste déterminée d'infractions pénales.
Enfin, le projet d'accord prévoit, pour les Etats qui n'auraient pas prévu un tel dispositif dans leurs accords bilatéraux avec les Etats-Unis, une procédure d'extradition simplifiée en cas de consentement de la personne recherchée.