II. LE NUCLÉAIRE DOIT CONFORTER SA SÉCURITÉ JURIDIQUE

Donner un cadre législatif complet à la sécurité et à la transparence n'est pas seulement souhaitable en termes de démarche et de bonne gouvernance du secteur nucléaire, c'est aussi techniquement indispensable pour permettre au système de poursuivre son évolution.

A. LA QUASI ABSENCE DE FONDEMENT LÉGISLATIF

Le contraste est frappant entre la situation des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) dont le régime complet 38 ( * ) a été défini par une loi du 19 juillet 1976 39 ( * ) et celui du secteur nucléaire qui tient à un alinéa de la loi de 1961 qui traite de l'ensemble des pollutions atmosphériques.

Qui plus est, cette base législative s'apparente à un fil très ténu, maintenu de justesse par une « acrobatie » législative . En effet, l'ensemble de la loi du 2 août 1961 sur la pollution atmosphérique et les odeurs a été abrogée par la loi sur l'air de 1996 40 ( * ) . Il a cependant été nécessaire de prévoir spécifiquement le maintien des deux seules lignes de la loi de 1961 traitant du nucléaire. Le mince fondement législatif de la sécurité nucléaire était de ce fait préservé.

En matière de sécurité nucléaire, une avancée très importante a été représentée par la formalisation législative du régime de la radioprotection effectuée par la loi de santé publique du 9 août 2004. En revanche, l'autre composante majeure de la sécurité, à savoir la sûreté nucléaire repose sur deux décrets : le décret du 11 décembre 1963 relatif aux installations nucléaires 41 ( * ) de base et celui du 4 mai 1995 relatif aux rejets de ces installations.

La situation est identique pour les installations nucléaires de base intéressant la défense dont le régime de sûreté est prévu par le décret du 5 juillet 2001.

Enfin, en matière de transparence, le rôle indispensable joué par les commissions locales d'information tient à une circulaire 42 ( * ) prise dès 1981 alors que des commissions locales d'information de concertation (CLIC) en matière de risques technologiques ont été instaurées par la loi en 2003 43 ( * ) .

L'avance prise par le domaine du nucléaire s'est finalement transformée en retard.

B. LA NÉCESSITÉ D'UNE LOI POUR MIEUX S'ADAPTER AUX STATUTS DES EXPLOITANTS

1. La transparence des documents administratifs s'applique peu aux exploitants privés

Certains exploitants nucléaires français relèvent d'un statut de droit public. C'est le cas du CEA, de l'ANDRA 44 ( * ) , des organismes spécialisés dans la recherche comme le CNRS ou l'Inserm 45 ( * ) et de l'Etat lui-même, au travers du ministère de la défense.

Tel n'est pas le cas de l'exploitant électronucléaire français de très loin le plus important, à savoir EDF, transformé en société anonyme par la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières. Tel n'est pas non plus le cas d'Areva, société privée issue de la fusion de la Cogema et de Framatome, qui exploite, entre autres, l'usine de retraitement de La Hague.

Or, si la loi de 1978 sur l'accès aux documents administratifs donne une large définition des documents accessibles 46 ( * ) , celle-ci ne concerne que les documents élaborés ou détenus par l'Etat, par les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées de la gestion d'un service public, dans le cadre de leur mission de service public. Ceci s'applique notamment aux documents élaborés par les services de contrôle de l'Etat, y compris si ces derniers relèvent d'une autorité administrative indépendante.

En revanche, si toutes les missions d'EDF -établissement public- étaient couvertes par cette loi jusqu'en 2004, il n'en est pas de même des activités de production électronucléaire d'EDF, désormais société anonyme. Ces dernières sont peu concernées par la loi de 1978, dans la mesure où la mission de production elle-même n'entre pas dans le champ des principales obligations de service public de l'entreprise 47 ( * ) .

Or, l'extension de la transparence nucléaire à l'ensemble de ces activités correspond à l'esprit des dispositifs déjà existants. Elle doit se faire par la loi dans la mesure où c'est à ce niveau qu'est fixé, outre le principe d'accès au document administratif, celui d'accès aux informations environnementales posé par l'article L. 110-1 du code de l'environnement.

Une loi est aussi en elle-même un acte de transparence vis-à-vis des exploitants, puisqu'elle garantit un cadre juridique clair où droits et obligations sont connus et affichés.

Ce besoin de clarté est encore plus sensible s'agissant des mesures que l'administration peut prendre vis-à-vis des exploitants.

2. Techniquement performant, le système de décisions de l'administration est juridiquement fragile

Le système de décisions de l'Autorité de sûreté nucléaire ne dispose pas, avec le décret du 11 décembre 1963, d'une base juridique propre à lui donner entièrement un caractère incontestable.

Ceci est particulièrement sensible pour les mises en demeure -formalisées par l'administration en 2000- qui constituent aujourd'hui un instrument efficace pour obliger les exploitants à se conforter aux règles de sûreté et de radioprotection. Le véritable fondement de ces mesures réside aujourd'hui dans la confiance et les liens historiques entre l'administration et les exploitants. Mais, on ne peut pas exclure que, du fait notamment des processus d'ouvertures de capital d'EDF ou d'Areva 48 ( * ) , les actionnaires de ces entreprises exigent que soit prouvée la légalité de telles décisions.

Des actions en justice pourraient non seulement désarmer une partie de l'arsenal réglementaire de l'Autorité de sûreté, mais il pourrait aussi lui être demandé de réparer les dommages causés à l'image des exploitants au travers de la publication sur Internet de mises en demeure illégales dans leur principe.

Or, cette pratique de la publicité des sanctions doit pouvoir être maintenue, car elle sert à la fois la sécurité nucléaire et la transparence.

Seule une loi peut en donner la garantie .

* 38 Règles d'autorisation, de sécurité, de contrôle et de sanctions.

* 39 Loi n° 76-663 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement.

* 40 Loi n° 96-1236 du 30 décembre 1996 sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie.

* 41 Pour les installations et équipements situés en dessous du seuil des INB, c'est le droit commun, notamment des installations classées, qui est applicable.

* 42 Cette circulaire était d'ailleurs applicable à l'ensemble des grands équipements énergétiques.

* 43 Loi n° 2003-699 du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et à la réparation des dommages.

* 44 Le Commissariat à l'énergie atomique et l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs sont tous deux des établissements publics à caractère industriel et commercial.

* 45 Respectivement Centre national de la recherche scientifique et Institut national de la santé et de la recherche médicale.

* 46 En citant notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, directives, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions et décisions.

* 47 Les articles 1 et 2 de la loi n° 2004-501 du 5 août 2004 énumèrent les obligations de service public d'EDF, les principales étant la péréquation tarifaire, le tarif social et le soutien aux énergies renouvelables.

* 48 Dont l'opportunité relève d'autres débats et considérations.

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