EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le Sénat est saisi d'une proposition de loi n° 322 présentée par MM Jean-Pierre Bel et Bernard Frimat et leurs collègues du groupe socialiste et apparentés relative aux conditions de l'élection des sénateurs. Cette proposition tend à la fois, à augmenter le nombre de délégués des conseils municipaux au sein du collège électoral sénatorial et à y créer des délégués des conseils généraux et régionaux, à revenir sur l'équilibre des modes de scrutin du Sénat en prévoyant l'élection des sénateurs à la représentation proportionnelle dans les départements élisant trois sénateurs ou plus au lieu de quatre actuellement, à élargir le collège électoral des sénateurs représentant les Français établis hors de France et à prévoir diverses dispositions techniques pour préciser le cadre de leur élection.
Un texte identique a été présenté en séance publique à l'Assemblée nationale le 20 mai 1 ( * ) et les députés ont décidé de ne pas passer à l'examen des articles. Comme le rappelait Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur au cours de ce débat, « ...la méthode choisie est peu respectueuse des membres de la Haute Assemblée. La tradition républicaine, que certains ont trop tendance à vouloir effacer, aurait en effet voulu que l'on confiât la première lecture de ce texte au Sénat lui-même, puisqu'il est directement concerné. Une proposition de loi semblable lui sera d'ailleurs soumise dès le 4 juin prochain. Il serait bien inélégant d'anticiper un débat qui doit s'engager d'abord à la Haute Assemblée. »
Animé par un souci de dialogue, votre rapporteur a examiné attentivement cette proposition de loi, dont plusieurs dispositions esquissent des pistes de travail pour la réflexion sur le collège électoral sénatorial.
Comme le rappelait le rapporteur de l'Assemblée nationale, la principale modification du collège électoral sénatorial prévue par la proposition de loi est semblable à une disposition de la loi relative à l'élection des sénateurs adoptée en 2000 « censurée par le Conseil constitutionnel dans une décision du 6 juillet 2000 » 2 ( * ) .
Une réforme de l'article 24 de la Constitution, qui prévoit aujourd'hui que le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République, apparaît donc comme un préalable nécessaire à une éventuelle évolution du collège électoral sénatorial telle que souhaitée par les auteurs de la proposition de loi.
Ce peut être l'objet de l'article 9 du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la V e République qui sera prochainement examiné par votre commission.
Avant d'examiner les dispositions de la proposition de loi, votre rapporteur rappellera les modalités actuelles de l'élection des sénateurs, profondément modifiées en 2003, et la composition de son collège électoral.
I. LE RÉGIME ÉLECTORAL ACTUEL DES SÉNATEURS
A. UN RÉGIME ÉLECTORAL QUI ILLUSTRE LA VOCATION SPÉCIFIQUE DU SÉNAT A REPRÉSENTER LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES DE LA RÉPUBLIQUE
1. Les principales caractéristiques du régime électoral sénatorial
Le bicamérisme français est « différencié » et c'est sa raison d'être. Comme le rappelait le rapport du groupe de réflexion sur l'institution sénatoriale présidé par notre ancien collègue Daniel Hoeffel 3 ( * ) , le Sénat se distingue en effet de l'Assemblée nationale élue au suffrage universel direct « sur des bases essentiellement démographiques », par sa vocation constitutionnelle de représentation des collectivités territoriales de la République et des Français établis hors de France que lui confère l'article 24 de la Constitution :
« Assemblée parlementaire de plein exercice, le Sénat est en outre investi d'une représentativité propre, les collectivités locales et les Français de l'étranger, qui justifie que les sénateurs soient dotés d'un statut électoral propre, différent de celui des députés.
« Même si ce statut n'a rien de figé ni d'intangible -il a d'ailleurs évolué sur plusieurs points depuis 1875-, la différence entre le régime électoral des membres des deux assemblées est une constante remontant aux origines de la IIIème République, et qui est devenue partie intégrante de la tradition parlementaire française . »
En outre, dès l'origine, le Sénat a été conçu comme une chambre de sages ainsi que le rappelait Clémenceau : « Le Sénat, c'est le temps de la réflexion ... ».
Ainsi, l'Assemblée nationale est la première à examiner les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale et, cas de conflit entre les deux chambres, peut avoir « le dernier mot ». Elle est aussi la seule des deux chambres à pouvoir mettre en cause la responsabilité du gouvernement. Pour autant, l'apport de la Haute assemblée à la qualité de la législation n'est plus à démontrer et la contribution déterminante de ses travaux d'information et de contrôle fait aujourd'hui consensus.
Les caractéristiques du régime électoral du Sénat ont donc été établies pour lui permettre d'assumer son rôle de représentation spécifique et de modération :
- l'âge d'éligibilité des sénateurs (30 ans) 4 ( * ) est plus élevé que celui des députés et du Président de la République (vingt-trois ans) ;
- la durée du mandat sénatorial (six ans) 5 ( * ) est aussi plus longue que celle du mandat des députés et du Président de la République (cinq ans). En outre, elle est aujourd'hui la même que celle des mandats locaux. De plus, le renouvellement partiel de l'assemblée, tout en assurant sa continuité, lui garantit tous les trois ans 6 ( * ) une « respiration démocratique » plus fréquente que toutes les autres institutions représentatives nationales ;
- si l'on fait exception des sénateurs représentant les Français établis hors de France, par nature « sénateurs du monde », les sénateurs ne sont pas élus dans des circonscriptions seulement électorales mais dans des territoires , départements ou collectivités d'outre-mer ;
- les sénateurs sont élus par un collège électoral composé en quasi-totalité d'élus locaux (voir ci-dessous), ce qui favorise la prise en considération des préoccupations des collectivités territoriales ;
- deux modes de scrutin coexistent pour l'élection des sénateurs , ces derniers étant élus pour moitié au scrutin majoritaire à deux tours dans les départements les moins peuplés, et pour moitié à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne dans les plus peuplés.
2. La composition du collège électoral sénatorial
a) Les sénateurs sont élus par un collège électoral essentiellement composé d'élus locaux
« Elus des élus » et représentants constitutionnels des collectivités territoriales de la République, les sénateurs sont aujourd'hui élus par un corps électoral « essentiellement composé des membres des assemblées délibérantes » de ces collectivités.
Conformément à l'article L. 280 du code électoral, dans chaque département, les sénateurs sont élus par un collège électoral composé :
- des députés (577 dont 570 dans les départements) ;
- des conseillers régionaux de la section départementale correspondant au département 7 ( * ) et des conseillers de l'Assemblée de Corse désignés dans les conditions prévues par le titre III bis du présent livre 8 ( * ) (1.722 selon les données de 2.000 reprises dans la proposition de loi) ;
- des conseillers généraux (3.857 selon les données de 2.000 reprises dans la proposition de loi) ;
- des délégués des conseils municipaux ou des suppléants de ces délégués (137.951 selon les données de 2.000 reprises dans la proposition de loi).
Des règles de vote spécifiques sont prévues pour éviter que les élus titulaires de plusieurs mandats puissent voter plusieurs fois lors de l'élection (voir annexe n° 2).
Il convient d'y ajouter les électeurs sénatoriaux de chaque collectivité d'outre-mer, où la composition du collège électoral sénatorial est adaptée à la répartition spécifique des compétences entre collectivités territoriales.
Le collège électoral sénatorial des collectivités d'outre-mer
Collectivité |
Collège électoral |
Texte de référence |
Mayotte |
- Le député ; -Les conseillers généraux ; - Les délégués des conseils municipaux ou leurs suppléants |
Art. L. 475 du code électoral |
Nouvelle-Calédonie |
- Les députés ; - Les membres des assemblées de province et les délégués des conseils municipaux ou leurs suppléants |
Art. L. 441 du code électoral |
Polynésie française |
- Les députés ; - Les membres de l'assemblée de la Polynésie française ; - Les délégués des conseils municipaux ou leurs suppléants |
Art. L. 441 du code électoral |
Saint-Barthélemy |
- Le député et les conseillers territoriaux |
Art. L. 502 du code électoral |
Saint-Martin |
- Le député et les conseillers territoriaux |
Art. L. 529 du code électoral |
Saint-Pierre-et-Miquelon |
- Le député ; - Les conseillers territoriaux ; - Les délégués des conseils municipaux ou leurs suppléants |
Art. L. 557 du code électoral |
Wallis-et-Futuna |
- Les députés ; - Les membres de l'assemblée territoriale |
Art. L. 441 du code électoral |
Quant aux 12 sénateurs représentant les Français établis hors de France, ils sont élus par un collège formé par les 155 membres élus de l'Assemblée des Français de l'étranger (AFE) 9 ( * ) , assemblée représentative des Français établis hors de France siégeant sous la présidence du ministre des affaires étrangères.
Ces 155 conseillers sont élus au suffrage universel direct par les quelque 2 millions de Français vivant à l'étranger, pour une durée de six ans et renouvelés par moitié tous les trois ans 10 ( * ) .
Ils sont élus à la représentation proportionnelle et selon la règle de la plus forte moyenne, dans les circonscriptions où sont élus au moins trois conseillers et au scrutin majoritaire à un tour dans les circonscriptions où sont élus un ou deux conseillers.
b) Les modalités de désignation des délégués des conseils municipaux
Représentant la grande majorité des membres du collège électoral sénatorial, les délégués des conseils municipaux doivent être élus au moins six semaines avant le jour de l'élection sénatoriale 11 ( * ) .
A l'heure actuelle, le nombre des délégués des conseils municipaux au collège électoral sénatorial est fonction de l'importance de l'effectif du conseil municipal, et donc, indirectement, de la population de la commune .
Conformément à l'article L. 284 du code électoral, dans les communes de moins de 9.000 habitants 12 ( * ) , les conseils municipaux élisent, parmi leurs membres :
- un délégué pour les conseils municipaux de neuf et onze membres ;
- trois délégués pour les conseils municipaux de quinze membres ;
- cinq délégués pour les conseils municipaux de dix-neuf membres ;
- sept délégués pour les conseils municipaux de vingt-trois membres ;
- quinze délégués pour les conseils municipaux de vingt-sept et vingt-neuf membres.
Dans les communes de 9.000 habitants et plus, tous les conseillers municipaux sont membres de droit du collège électoral sénatorial .
En outre, dans les communes de plus de 30.000 habitants, les conseils municipaux élisent des délégués supplémentaires à raison d'un pour 1000 habitants en sus de 30.000 13 ( * ) .
Le vote des délégués à l'élection sénatoriale étant obligatoire, des suppléants sont également élus, susceptibles de remplacer les titulaires le jour du scrutin (le nombre de suppléants est de trois quand le nombre de titulaires est égal ou inférieur à cinq et il est ensuite augmenté de un par cinq titulaires ou fraction de cinq).
Dans les communes de moins de 3.500 habitants, ces suppléants sont élus au sein du conseil municipal mais lorsque leur nombre dépasse celui des conseillers municipaux, ils peuvent être choisis parmi les électeurs inscrits sur les listes électorales de la commune.
Dans les communes de moins de 3.500 habitants, délégués et suppléants sont élus séparément au scrutin secret majoritaire à deux tours . Nul ne peut être élu au premier tour s'il n'a pas obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés. Au second tour, la majorité relative suffit. En cas d'égalité de suffrages, c'est le candidat le plus âgé qui est élu.
Les candidats peuvent se présenter soit isolément, soit sur une liste qui peut ne pas être complète. Adjonctions et suppressions de noms sont autorisées et l'ordre des suppléants est déterminé par le nombre de voix obtenues (en cas d'égalité, la préséance appartient au plus âgé).
Dans les communes de 3.500 habitants et plus, délégués et suppléants sont élus en même temps au scrutin de liste en suivant le système de la représentation proportionnelle avec application de la règle de la plus forte moyenne , sans panachage ni vote préférentiel. Les listes peuvent comprendre un nombre de noms inférieur au nombre de sièges de délégués et de suppléants à pourvoir.
Chaque conseiller municipal ou groupe de conseillers peut présenter une liste de candidats aux fonctions de délégués et de suppléants, l'ordre des suppléants résultant de leur rang de présentation.
En cas de refus ou d'empêchement d'un délégué, c'est le suppléant de la même liste venant immédiatement après le dernier délégué élu de la liste qui est appelé à le remplacer.
Le tableau ci-après récapitule, par tranches de population des communes, le nombre de leurs conseillers municipaux comparé à celui des délégués qu'ils désignent.
Désignation des délégués des conseils municipaux
Population de la commune |
Effectif du conseil municipal |
Nombre des délégués conseillers municipaux |
Nombre des délégués supplémentaires |
Nombre total des délégués |
De moins de 100 habitants |
9 |
1 |
0 |
1 |
De 100 à 499 habitants |
11 |
1 |
0 |
1 |
De 500 à 1.499 habitants |
15 |
3 |
0 |
3 |
De 1.500 à 2.499 habitants |
19 |
5 |
0 |
5 |
De 2.500 à 3.499 habitants |
23 |
7 |
0 |
7 |
De 3.500 à 4.999 habitants |
27 |
15 |
0 |
15 |
De 5.000 à 8.999 habitants |
29 |
15 |
0 |
15 |
De 9.000 à 9.999 habitants |
29 |
29 |
0 |
29 |
De 10.000 à 19.999 habitants |
33 |
33 |
0 |
33 |
De 20.000 à 29.999 habitants |
35 |
35 |
0 |
35 |
De 30.000 à 30.999 habitants |
39 |
39 |
0 |
39 |
De 31.000 à 39.999 habitants |
39 |
39 |
Entre 1 et 9 |
entre 40 et 48 |
De 40.000 à 49.999 habitants |
43 |
43 |
Entre 10 et 19 |
Entre 53 et 62 |
De 50.000 à 59.999 habitants |
45 |
45 |
Entre 20 et 29 |
Entre 65 et 74 |
De 60.000 à 79.999 habitants |
49 |
49 |
Entre 30 et 49 |
Entre 79 et 98 |
De 80.000 à 99.999 habitants |
53 |
53 |
Entre 50 et 69 |
Entre 103 et 122 |
De 100.000 à 149.999 habitants |
55 |
55 |
Entre 70 et 119 |
Entre 125 et 174 |
De 150.000 à 199.999 habitants |
59 |
59 |
Entre 120 et 169 |
Entre 179 et 228 |
De 200.000 à 249.999 habitants |
61 |
61 |
Entre 170 et 219 |
Entre 231 et 280 |
De 250.000 à 299.999 habitants |
65 |
65 |
Entre 220 et 269 |
Entre 285 et 334 |
À partir de 300.000 habitants |
69 |
69 |
À partir de 270 |
À partir de 339 |
* 1 Proposition de loi de M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs de ses collègues relative aux conditions de l'élection des sénateurs, n° 851, déposée sur le bureau de l'Assemblée nationale le 6 mai.
* 2 Rapport n° 884 de M. Bernard Roman au nom de la commission des Lois de l'Assemblée nationale.
* 3 Ce groupe de réflexion composé de représentants de l'ensemble des groupes du Sénat mena ses travaux au premier semestre 2002 et son rapport fut présenté au Bureau du Sénat en juillet 2002.
* 4 Depuis la loi organique n° 2003-696 du 30 juillet 2003 qui l'a abaissé de 35 à 30 ans.
* 5 Depuis la même loi qui l'a réduit d'un tiers de 9 ans à 6 ans.
* 6 Depuis cette même loi, il s'agit d'un renouvellement de la moitié du Sénat tous les trois ans. Le dernier renouvellement par tiers aura lieu en septembre prochain.
* 7 La loi n° 2003-327 du 11 avril 2003 a prévu l'élection des conseillers régionaux dans chaque région au scrutin de liste à deux tours. Chaque liste doit être constituée de sections départementales correspondant aux départements de la région. Une fois les sièges attribués à chaque liste en fonction de leur résultat régional, ils sont répartis entre les sections départementales de la liste au prorata des voix obtenues par cette dernière dans chaque département.
* 8 Dans le mois suivant son entrée en fonction, l'Assemblée de Corse répartit ses membres entre les collèges électoraux chargés d'élire les sénateurs de Corse du sud (24) et de Haute Corse (27 ; articles L. 293-1 et suivants du code électoral).
* 9 Article 13 de l'ordonnance n° 59-260 du 4 février 1959 complétant l'ordonnance n° 58-1098 du 15 novembre 1958 relative à l'élection des sénateurs.
* 10 La série A comprend les circonscriptions d'Amérique et d'Afrique et la série B, les circonscriptions d'Europe et d'Asie-Océanie et Levant.
* 11 Article L. 283 du code électoral.
* 12 Article L. 284 du code électoral.
* 13 Article L. 285 du code électoral.