II. LA CONVENTION D'ENTRAIDE JUDICIAIRE EN MATIÈRE PÉNALE : UN INSTRUMENT QUI PERMETTRA DE RENFORCER LA COOPÉRATION ENTRE LES DEUX ETATS DANS LE RESPECT DES PRINCIPES FONDAMENTAUX DE NOTRE DROIT
A. UNE CONVENTION « CLASSIQUE » D'ENTRAIDE JUDICIAIRE EN MATIERE PÉNALE QUI EST LA PREMIERE AVEC UN ETAT DE LA PÉNINSULE ARABIQUE
1. La première convention d'entraide judiciaire pénale avec un Etat de la péninsule arabique
Le 2 mai 2007, le garde des sceaux, ministre de la justice, et le ministre émirien de la justice, ont signé à Paris une convention bilatérale d'entraide judiciaire en matière pénale. Cette convention fait suite à l'engagement en juillet 2005 de négociations portant sur trois projets de convention judiciaire en matière pénale (entraide judiciaire, extradition et transfèrement des personnes condamnées).
En effet, dans les années 1990, le développement d'une relation privilégiée dans le domaine de la coopération juridique entre la France et les Emirats Arabes Unis 2 ( * ) , concrétisé par des actions de coopération conduites par les institutions de formation judiciaire 3 ( * ) , avec le soutien des autorités émiriennes, a conduit à relancer les discussions sur la conclusion d'une convention d'entraide pénale, que ces dernières appelaient de leurs voeux depuis la fin des années 1970.
Ces échanges ont conduit à la transmission, par la partie française, en août 2001, de trois projets de conventions portant respectivement sur l'entraide pénale, l'extradition et le transfèrement des personnes condamnées, sur la base desquels les discussions ont pu être engagées.
Dès la première session de négociation, le projet de convention d'entraide pénale apparaissait pratiquement finalisé, contrairement aux projets de conventions sur l'extradition et le transfèrement des personnes condamnées.
Aucune difficulté substantielle n'avait en effet été rencontrée, de sorte que les délégations avaient enregistré un consensus sur la quasi-totalité des articles.
Les réserves maintenues jusqu'alors par la partie émirienne sur certaines dispositions du projet, notamment en ce qui concerne les restrictions à l'entraide, avaient pu être levées, permettant un accord sur la base du texte proposé par la partie française et complété de stipulations portant spécifiquement sur :
- la coopération aux fins d'identification, de gel, de saisie et de confiscation des instruments et des produits du crime ;
- la protection de la confidentialité des demandes d'entraide et des éléments de preuve communiqués en exécution (introduction d'un principe dit « de spécialité ») ;
- l'instauration d'un dialogue et d'une consultation entre les autorités compétentes dans l'exécution des demande d'entraide (obligation d'information en cas de non exécution ou de retard dans l'exécution des demandes, principe de respect des conditions posées par la partie requérante et engagement d'une consultation lorsque la demande ne peut être satisfaite conformément à ces conditions).
Seules les propositions avancées par la partie française en vue d'intégrer des dispositions en matière de recueil d'informations bancaires faisaient encore l'objet d'une réserve de la partie émirienne, qui souhaitait pouvoir les expertiser plus avant dans le cadre de consultations interministérielles approfondies.
Dans ce contexte, la deuxième session permettait de finaliser aisément le projet de convention, sans difficulté majeure. Les propositions françaises relatives à la coopération en matière de recueil d'informations bancaires étaient finalement écartées par la partie émirienne, qui confirmait que l'obtention de telles informations entrait déjà dans le champ des dispositions générales de la convention. Ces assurances étaient d'ailleurs inscrites au procès-verbal de la rencontre, signé des deux chefs de délégation.
Après d'ultimes vérifications d'ordre linguistique, la Convention a pu être signée à Paris, le 2 mai 2007, concomitamment à la convention bilatérale d'extradition.
Cette signature est la première en matière judiciaire avec un Etat de la péninsule arabique. Aucune convention de coopération judiciaire en matière pénale n'existe avec l'Arabie saoudite, le Qatar, le Koweït, Bahreïn, le Yémen ou Oman. Aucune négociation bilatérale n'est actuellement en cours avec ces Etats en vue d'établir une convention similaire.
2. Un contenu « classique »
La convention comporte vingt-cinq articles.
L'article 1 er définit, par une formulation très large, le champ de l'entraide. Il précise que les deux parties s'accordent mutuellement l'aide judiciaire la plus large possible dans toute procédure visant des infractions dont la répression est, au moment où l'entraide est demandée, de la compétence des autorités judiciaires de l'État requérant.
Le paragraphe 2 exclut du champ de la convention l'exécution des décisions d'arrestation et de condamnation et les infractions militaires qui ne constituent pas des infractions de droit commun.
L'article 2 prévoit les modes de transmission des demandes d'entraide. Aux termes de ces dispositions, les parties désignent leur ministère de la justice respectif en qualité d'autorité centrale chargée de se transmettre les demandes et de recevoir les réponses. Celles-ci communiquent entre elles par la voie diplomatique.
L'article 3 traite des restrictions à l'entraide.
Les motifs de refus comprennent, de manière classique, le risque d'atteinte à la souveraineté, la sécurité, l'ordre public ou d'autres intérêts essentiels de l'État requis, ainsi que le caractère politique de l'infraction.
Conformément au paragraphe 2, avant de refuser l'entraide judiciaire, l'État requis apprécie si elle peut être accordée aux conditions qu'il juge nécessaires. Si l'État requérant y consent, il doit s'y conformer.
L'article 4 prévoit que, lorsque la législation de l'État requis ne l'interdit pas, les demandes d'entraide peuvent être exécutées selon les modalités que fixe la demande et introduit un mécanisme d'information entre les deux Etats en cas de risque de retard. Cet article fait également obligation à l'État requis d'informer la partie requérante des motifs de toute décision de ne pas exécuter partiellement ou totalement la demande d'entraide ou de la différer.
L'article 5 fixe les règles de confidentialité des demandes d'entraide. Le paragraphe 1 précise notamment que, lorsque l'État requérant lui en fait la demande, l'État requis préserve la confidentialité de la demande, ainsi que son contenu. Si l'État requis ne peut exécuter la demande sans lever la confidentialité exigée, il en informe l'État requérant qui décide de donner suite ou non. Le paragraphe 2 énonce le principe selon lequel l'État requis peut demander que l'information ou l'élément de preuve communiqué reste confidentiel ou fixer les termes et conditions dans lesquels il peut être utilisé qui, s'ils sont acceptés par l'État requérant, s'imposent à lui. Le paragraphe 3 consacre, quant à lui, un principe de spécialité : il prévoit explicitement que l'État requérant ne peut utiliser une information ou un élément de preuve à d'autres fins que celles qui auront été stipulées dans la demande sans l'accord préalable de l'État requis.
L'article 6 , ainsi que les quatre articles suivants, a trait aux commissions rogatoires internationales. Il prévoit que l'État requis fait exécuter conformément à sa législation les commissions rogatoires concernant une affaire pénale qui lui sont adressées par les autorités judiciaires de l'État requérant et qui ont pour objet d'accomplir des actes d'instruction ou de communiquer des pièces à conviction, des dossiers ou des documents de toute nature. Il convient de relever que les autorités de l'État requérant et les personnes en cause peuvent assister à cette exécution si l'État requis y consent. À moins qu'elle ne sollicite expressément les originaux, les documents ou dossiers demandés par la partie requérante peuvent lui être communiqués en copies ou photocopies certifiées conformes.
L'article 7 précise que, si l'État requérant le demande expressément, l'État requis l'informe de la date et du lieu d'exécution de la commission rogatoire. Les autorités de l'État requérant et les personnes en cause peuvent assister à cette exécution si l'État requis y consent.
L'article 8 dispose que, s'ils lui sont nécessaires pour une procédure pénale en cours, l'État requis peut surseoir à la remise des objets, dossiers ou documents dont la communication est demandée. Les originaux et les objets qui ont été communiqués sont retournés aussitôt que possible à la partie requise, à moins que celle-ci n'y ait renoncé.
L'article 9 prévoit que l'État requis exécute, dans la mesure où sa législation le lui permet, les demandes d'appréhension, de perquisition, de gel et de saisie des avoirs, des objets et des pièces à conviction relatifs à l'infraction, objet de l'enquête dans l'État requérant. L'État requis informe l'État requérant du résultat de l'exécution de la demande. Par ailleurs, l'État requis peut transmettre, sous conditions, à l'État requérant les avoirs, les objets et les pièces à conviction saisis.
L'article 10 prévoit que l'État requis s'efforce, sur demande de l'État requérant, d'établir si des produits ou des instruments d'une infraction pénale se trouvent sur son territoire. Si tel est le cas, l'État requis, à la demande de l'État requérant, prend, conformément à sa législation, les mesures nécessaires pour geler, saisir ou confisquer ces produits ou instruments. Les produits et instruments confisqués sont conservés par l'État requis mais peuvent, sous conditions, être transférés, en nature ou en valeur, à l'État requérant. Classiquement, l'article réserve néanmoins les droits de l'État requis, des victimes et des propriétaires de bonne foi.
Les articles 11 à 16 traitent de la remise d'actes de procédure et de décisions judiciaires, de comparution de témoins, d'experts et de personnes poursuivies.
L'article 11 définit les conditions et les modalités de l'entraide aux fins de remise des actes de procédure et des décisions judiciaires sur le territoire de l'État requis.
L'article 12 pose le principe selon lequel le témoin ou l'expert cité à comparaître dans l'État requérant n'encourt, conformément à l'usage international, aucune sanction en cas de refus de s'y rendre, alors même que la citation à comparaître contiendrait des injonctions, à moins qu'il ne le fasse par la suite de son plein gré et qu'il y soit régulièrement cité à nouveau.
L'article 13 prévoit que l'État requérant assume la charge des indemnités, des frais de voyage et de séjour du témoin ou de l'expert qui sont nécessaires à sa comparution.
L'article 14 précise que la partie requérante a la faculté, si elle l'estime particulièrement nécessaire, de demander la comparution personnelle d'un témoin ou d'un expert. Elle doit alors indiquer le montant approximatif des indemnités, frais de voyage et de séjour qu'elle entend verser à la personne invitée à comparaître.
L'article 15 dispose que toute personne détenue, dont la comparution personnelle en qualité de témoin ou d'expert est demandée par l'État requérant est, sous conditions, transférée temporairement sur le territoire où l'audition doit avoir lieu, où elle est en principe maintenue en détention. Le transfèrement peut être refusé si la personne détenue n'y consent pas, si sa présence est nécessaire dans une procédure pénale en cours sur le territoire de l'État requis, s'il est susceptible de prolonger sa détention ou si d'autres considérations impérieuses s'y opposent.
L'article 16 aménage, au profit des témoins et experts cités sur le territoire de la partie requérante, certaines immunités à raison des faits qu'ils y auraient commis antérieurement au départ du territoire de l'État requis. Les mêmes immunités sont assurées au profit de la personne poursuivie citée à comparaître, qui ne peut être jugée pour des faits antérieurs à son départ, autres que ceux visés dans la citation. La rédaction de ces dispositions, ainsi que leurs exceptions, sont inspirées de la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959.
L'article 17 prévoit que l'État requis communique, dans la mesure où ses autorités judiciaires pourraient elles-mêmes les obtenir en pareil cas, les extraits du casier judiciaire et tous renseignements relatifs à ce dernier qui lui sont demandés par les autorités judiciaires de l'État requérant pour les besoins d'une affaire pénale. Dans les autres cas, il est donné suite à une telle demande dans les conditions prévues par la législation, les règlements ou la pratique de l'État requis.
Les articles 18 à 22 sont relatifs aux questions de procédure.
L'article 18 précise les indications qui devront figurer dans les demandes d'entraide judiciaire. Ces indications doivent non seulement permettre à l'État requis d'exécuter correctement la demande d'entraide dont il est saisi, mais aussi le mettre en mesure d'apprécier si la demande rentre bien dans le champ d'application de l'accord.
L'article 19 précise les modes de transmission des demandes d'entraide. Celles-ci sont adressées par l'autorité centrale de l'État requérant à l'autorité centrale de l'État requis selon la voie prévue à l'article 2, donc la voie diplomatique, et renvoyées par la même voie. En cas d'urgence, les demandes d'entraide sont adressées directement par l'autorité centrale de l'État requérant à l'autorité centrale de l'État requis.
L'article 20 pose le principe selon lequel toutes les demandes d'entraide sont rédigées dans la langue officielle de l'État requérant et accompagnées d'une traduction dans la langue officielle de l'État requis. Il prévoit également le formalisme que ces demandes et les pièces jointes doivent revêtir.
L'article 21 prévoit que tout refus d'entraide judiciaire est motivé.
L'article 22 pose le principe selon lequel, sous réserve des dispositions de l'article 13, l'exécution des demandes d'entraide ne donne lieu au remboursement d'aucun frais, à l'exception de ceux occasionnés par l'intervention d'experts sur le territoire de l'État requis. Il comporte également une disposition permettant aux parties d'engager une consultation en présence d'une demande dont l'exécution exposerait à des frais de nature exceptionnelle.
L'article 23 régit l'échange d'avis de condamnation en faisant obligation à l'État ayant prononcé une sanction pénale à l'encontre d'un ressortissant de l'autre partie, inscrite au casier judiciaire, d'en informer cette dernière.
L'article 24 règle la question des transits. Un État peut autoriser le transit sur son territoire de personnes détenues n'ayant pas sa nationalité dont la comparution personnelle a été sollicitée par l'autre État, pour fournir son témoignage ou des preuves ou encore son aide à une enquête ou dans une procédure pénale.
Enfin, concernant les clauses finales d'entrée en vigueur et de dénonciation, l'article 25 dispose que la convention entrera en vigueur le premier jour du deuxième mois suivant la date d'envoi de la dernière notification de l'accomplissement des procédures requises par le droit interne de chaque État.
* 2 Les Emirats Arabes Unis apparaissent ouverts à toutes formes de coopération dans le domaine juridique, comme en témoignent les nombreux accords signés avec les pays tiers. Les autorités émiriennes souhaitent notamment tirer profit de l'expérience et de la compétence étrangère pour développer leur propre système judiciaire.
* 3 L'ambassade de France a mis en place une coopération avec les instituts de formation judiciaire d'Abou Dhabi et de Dubaï, avec une formation linguistique et professionnelle en France de futurs magistrats émiriens. Ces deux instituts de formation ont, par ailleurs, signé des accords avec l'Ecole Nationale de la Magistrature et l'Ecole Nationale des Greffes, en 1997 pour Dubaï et en 2002 pour Abou Dhabi.