EXAMEN EN COMMISSION
Mercredi 27 janvier 2009
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La commission a ensuite examiné le rapport de M. François Pillet et le texte proposé par la commission sur la proposition de loi n° 118 (2009-2010), présentée par M. Roland Courteau et les membres du groupe socialiste, relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants .
M. François Pillet , rapporteur, a rappelé l'importance du rôle joué par M. Roland Courteau à l'origine de l'adoption de la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs. Il a indiqué que le texte qu'il proposait aujourd'hui se composait de six articles tendant notamment à aggraver les peines encourues lorsque les violences conjugales, physiques ou psychologiques, sont commises de façon habituelle sur la victime, à élargir au pacsé et au concubin le champ des dispositions permettant d'éloigner l'auteur des violences du domicile commun, à améliorer la sensibilisation du public et la formation des professionnels appelés à prendre en charge les victimes de violences conjugales, et, enfin, à faciliter l'accès de ces dernières à l'aide juridictionnelle sans conditions de ressources.
M. François Pillet , rapporteur, a observé que les violences conjugales demeuraient une réalité difficile à évaluer, les données fournies par les services de police et de gendarmerie ou par le casier judiciaire national étant incomplètes. Il a indiqué que, en 2007, 47 573 faits constatés de violences volontaires sur femmes majeures par conjoint ou ex-conjoint avaient ainsi été enregistrés en France métropolitaine et dans les quatre départements d'outre-mer. Entre 2004 et 2007, ce nombre a crû de 31,1 %. Il a noté que de grandes disparités pouvaient être observées entre régions d'une part, et entre zones rurales et zones urbaines d'autre part. Enfin, il a précisé que, d'après l'étude réalisée par la Délégation aux victimes du ministère de l'Intérieur, 184 personnes étaient décédées en 2008, victimes d'un homicide volontaire ou de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner commis par leur conjoint.
M. François Pillet , rapporteur, a souligné que ces données devaient être interprétées avec la plus grande précaution. En effet, l'augmentation de plus de 30% en trois ans des faits de violences constatés résulte sans doute pour partie, d'une part, d'une intensification de la collecte d'informations, liée notamment à une moindre réticence des victimes à dénoncer les faits et à un traitement plus systématique des plaintes par les services de police et de gendarmerie, et, d'autre part, d'un changement de périmètre lié à une évolution de la législation, la loi du 4 avril 2006 ayant élargi la notion de circonstances aggravantes de violences par conjoint ou concubin aux ex-conjoints et ex-concubins ainsi qu'aux partenaires de la victime, liés à cette dernière par un pacte civil de solidarité (PACS), et les violences commises par ces personnes n'ayant ainsi été comptabilisées parmi les violences conjugales qu'à partir d'avril 2006.
M. François Pillet , rapporteur, a relevé que les chiffres constatés par les services de police et de gendarmerie paraissaient néanmoins bien en-deçà des violences conjugales réellement subies. Selon les estimations réalisées par l'Observatoire national de la délinquance (OND), moins de 9% des femmes victimes de violences conjugales porteraient plainte. Afin de compléter ces données parcellaires, il a indiqué que les pouvoirs publics avaient recours, depuis une dizaine d'années, à des enquêtes de victimation. D'après l'enquête « cadre de vie et sécurité » réalisée conjointement par l'INSEE et l'OND en 2007, 410 000 femmes et 130 000 hommes auraient été victimes de violences physiques de la part d'un conjoint ou d'un ex-conjoint en 2005-2006.
Le rapporteur a rappelé que tous les milieux sociaux étaient concernés par le phénomène des violences conjugales, mais que l'isolement, la religion, l'âge ou une situation de chômage pouvaient avoir une influence aggravante sur le risque de violences. Il a souligné que la consommation d'alcool et, dans une moindre mesure, de produits stupéfiants, aggravait également le risque de violences.
Il a indiqué que, en dépit de ces données parcellaires, des progrès notables dans la lutte contre les violences conjugales avaient été réalisés par les pouvoirs publics depuis une dizaine d'années. Il a rappelé que la lutte contre les violences conjugales avait constitué l'un des axes essentiels du plan global de lutte contre les violences faites aux femmes lancé en 2005, lequel a été suivi d'un second plan triennal à partir de 2008. Il a également noté que la lutte contre les violences faites aux femmes avait été déclarée « grande cause nationale » pour l'année 2010. Il a considéré qu'un certain nombre de progrès pouvaient être relevés, notamment en matière de sensibilisation du public et des professions concernées. En outre, il a fait valoir que l'accueil dans les commissariats et les locaux de gendarmerie avait été progressivement adapté au traitement des violences conjugales et que près des trois quarts des parquets menaient désormais une action ciblée sur le traitement judiciaire des violences faites aux femmes. Il a considéré que ces efforts devaient être poursuivis et complétés, notamment en ce qui concerne l'hébergement des victimes ou l'implication des personnels de santé dans le repérage et la prise en charge des victimes comme des auteurs de violences conjugales.
M. François Pillet , rapporteur, a également fait valoir que le législateur avait progressivement adapté le droit civil et pénal afin de mieux protéger les victimes. Il a ainsi rappelé que, dès l'entrée en vigueur du nouveau code pénal le 1 er mars 1994, le droit pénal avait prévu que les peines encourues par les auteurs de violences seraient aggravées lorsqu'elles ont été infligées par le conjoint ou par le concubin de la victime. Il a également noté que notre droit permettait d'évincer l'auteur des violences du domicile commun. Il a rappelé qu'une telle mesure d'éviction pouvait, depuis la loi du 26 mai 2004 relative au divorce, être prononcée dans un cadre civil, comme elle peut l'être dans un cadre pénal, au stade de l'enquête préliminaire ou dans le cadre d'un contrôle judiciaire décidé par le juge d'instruction ou par le juge des libertés et de la détention.
M. François Pillet , rapporteur, a également relevé que la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, adoptée à l'initiative de M. Roland Courteau et de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, avait constitué une avancée importante en faveur d'une meilleure prise en compte par le législateur du caractère spécifique des violences conjugales. Il a rappelé que cette loi avait notamment reconnu explicitement la notion de viol et d'agression sexuelle au sein du couple ainsi que l'existence du vol entre époux lorsque celui-ci porte sur des documents indispensables à la vie quotidienne de la victime. Enfin, il a rappelé que la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance avait prévu que les personnes reconnues coupables de violences conjugales pourraient être également condamnées à un suivi socio-judiciaire.
M. François Pillet , rapporteur, a indiqué que, en dépit de ces progrès, de réelles difficultés subsistaient, en raison notamment de l'emprise exercée par l'auteur des faits sur sa victime, qui conduit souvent cette dernière, soit à ne pas porter plainte, soit à retirer sa plainte, voire même parfois à soutenir l'auteur des faits devant la juridiction. De plus, les dispositifs de détection et d'accompagnement des victimes apparaissent encore insuffisants.
Après avoir retracé le dispositif de la proposition de loi, M. François Pillet , rapporteur, a fait valoir que les préoccupations exprimées par les auteurs de la présente proposition de loi étaient pleinement partagées par les députés. Il a relevé que, le 2 décembre 2008, ces derniers avaient créé en leur sein une mission d'évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, présidée par Mme Danielle Bousquet et dont le rapport, publié en juillet 2009, avait formulé 65 propositions. Il a indiqué qu'une partie de ces préconisations avaient été traduites dans une proposition de loi, cosignée par Mme Danielle Bousquet, M. Guy Geoffroy et plusieurs de leurs collègues députés, et que, en décembre 2009, une commission spéciale avait été constituée par l'Assemblée nationale afin d'examiner cette proposition de loi. Il a observé que cette dernière recoupait en partie les principaux thèmes abordés par la proposition de loi de M. Roland Courteau. Il a attiré l'attention sur le fait que la proposition de loi des députés comportait également un certain nombre de dispositions complémentaires (mise en place d'une ordonnance de protection des victimes, protection accrue des personnes étrangères victimes de violences conjugales, reconnaissance de la notion de mariage forcé, etc). Pour cette raison, avant de se prononcer sur le fond, il a estimé souhaitable que la commission des lois puisse examiner ces deux propositions de loi concomitamment, afin de parvenir à l'établissement d'un texte unique. Il a donc proposé à la commission de ne pas établir de texte et d'adopter, à ce stade, une motion tendant au renvoi en commission de la proposition de loi, en attendant la transmission par l'Assemblée nationale de la proposition de loi de Mme Danielle Bousquet et de M. Guy Geoffroy, dont il a indiqué qu'elle devrait être examinée par les députés très prochainement.
M. Bernard Frimat a regretté la tendance croissante des députés ou du Gouvernement, au-delà des effets d'annonce, à ne pas inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale les textes votés par le Sénat. Il a observé que la proposition de loi de M. Roland Courteau n'avait pas de caractère polémique et a estimé que son examen en commission puis en séance publique aurait permis de marquer la position du Sénat sur un sujet essentiel, sans attendre l'éventuelle transmission par les députés d'une proposition de loi qui n'est pas encore inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Il a contesté la tendance du Sénat à surseoir à ses travaux au motif qu'un texte d'objet similaire est en cours d'élaboration par le Gouvernement ou en cours d'examen par les députés.
M. François Pillet , rapporteur, a observé que les travaux menés par la mission d'information de l'Assemblée nationale sur les violences faites aux femmes avaient recueilli un certain consensus et que la proposition de loi cosignée par Mme Danielle Bousquet et M. Guy Geoffroy comportait un certain nombre de dispositions complémentaires qui méritaient d'être examinées de façon conjointe avec la proposition de loi de M. Roland Courteau, dans un souci de cohérence de l'action du Parlement. Il a en outre indiqué que, d'après les informations qu'il avait recueillies, la proposition de loi de Mme Danielle Bousquet et de M. Guy Geoffroy pourrait être examinée par les députés au cours de la semaine du 22 février 2010.
M. Jean-Jacques Hyest , président, a estimé qu'il était essentiel que chacune des assemblées examine les propositions de loi adoptées par l'autre chambre. Il a également considéré qu'il appartenait aux groupes politiques de demander l'inscription à l'ordre du jour des textes adoptés dans l'autre chambre à l'initiative des parlementaires de même couleur politique.
M. Jean-Pierre Sueur a rappelé que la proposition de loi relative au statut pénal du chef de l'Etat, déposée par MM. François Patriat et Robert Badinter, avait récemment fait l'objet d'une motion tendant à son renvoi en commission, alors même que chacun s'accordait sur la qualité et le caractère opportun du travail réalisé par ses deux auteurs. S'agissant de la proposition de loi relative aux violences au sein du couple déposée par M. Roland Courteau, il a souhaité qu'un débat sur les violences faites aux femmes puisse se tenir au Sénat et a craint que la motion de renvoi en commission ne le permette pas.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat a regretté que les propositions de loi présentées par des sénateurs de l'opposition ne bénéficient souvent pas de l'attention qu'elles mériteraient et a déploré que ces dernières, lorsqu'elles sont adoptées, ne soient pas inscrites à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. S'agissant de la question des violences conjugales, elle a souligné la qualité du travail réalisé par les députés depuis plusieurs mois dans le cadre de la mission présidée par Mme Danielle Bousquet. Elle a rappelé que les membres de son groupe politique avaient déposé, il y a quelques années, une proposition de loi-cadre ambitieuse qui n'avait jamais été examinée par les parlementaires. Elle a noté que la proposition de loi cosignée par Mme Danielle Bousquet et par M. Guy Geoffroy semblait recueillir un certain consensus et a regretté que deux textes similaires aient été inscrits concomitamment, faute de concertation entre les groupes socialistes de l'Assemblée nationale et du Sénat, à l'ordre du jour de chacune des assemblées. Elle a considéré que ce défaut de concertation pouvait être préjudiciable à la cause défendue par ces deux textes. En outre, elle a indiqué que les associations engagées dans la lutte contre les violences conjugales ne souhaitaient pas que le Sénat adopte un texte moins ambitieux que celui proposé par la mission d'information de l'Assemblée nationale. Pour ces raisons, elle a approuvé la démarche proposée par le rapporteur.
M. Christian Cointat a estimé nécessaire d'adopter, sur ce point, une position pragmatique. Néanmoins, il a souligné que le dispositif actuel, selon lequel aucune assemblée n'est tenue d'inscrire à son ordre du jour un texte adopté par l'autre assemblée, n'était pas satisfaisant. Il a souhaité que cette question soit à nouveau débattue et qu'un « modus vivendi » puisse être trouvé entre l'Assemblée nationale et le Sénat sur ce point.
M. Jean-Jacques Hyest , président, a estimé que le principe d'inscription obligatoire à l'ordre du jour semblait difficilement compatible avec le principe d'autonomie des assemblées. Il a estimé qu'il était en revanche essentiel d'améliorer le dialogue entre les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat ainsi qu'entre les groupes de même tendance politique de chaque assemblée. Il a rappelé que, loin de rejeter systématiquement les propositions inscrites par l'opposition, le Sénat avait dans le courant de l'année 2009 adopté plusieurs d'entre elles, telles que celle déposée par Mme Bariza Khiari visant à supprimer les conditions de nationalité qui restreignent l'accès des travailleurs étrangers à l'exercice de certaines professions libérales ou privées ou celle présentée par M. Daniel Raoul pour le développement des sociétés publiques locales.
La commission a décidé de proposer au Sénat le renvoi en commission de la proposition de loi afin de joindre ultérieurement son examen à celui de celle transmise par l'Assemblée nationale.