EXAMEN EN COMMISSION
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MERCREDI 31 MARS 2010
La commission a examiné le rapport de M. François Zocchetto sur la proposition de loi n° 201 rectifié (2009-2010), présentée par Mme Alima Boumediene-Thiery et plusieurs de ses collègues, portant réforme de la garde à vue.
M. François Zocchetto, rapporteur, a rappelé que lors de l'examen de la proposition de loi présentée par M. Jacques Mézard et plusieurs membres du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, tendant à assurer l'assistance immédiate d'un avocat aux personnes placées en garde à vue, le 24 mars 2010, le Sénat, suivant la proposition de la commission des lois, avait adopté une motion de renvoi en commission de ce texte. Cette motion était motivée par la complexité des questions soulevées ainsi que par la perspective d'une réforme d'ensemble de la procédure pénale dans laquelle s'inscrirait nécessairement la modification du régime de la garde à vue.
Le rapporteur a indiqué que la proposition de loi présentée par Mme Alima Boumediene-Thiery et ses collègues appelait des considérations comparables. Il a jugé néanmoins indispensable une réforme rapide de la garde à vue afin de répondre aux attentes des Français et pour prendre en compte l'insécurité juridique liée aux décisions des juges de première instance tendant à annuler, sur le fondement de la jurisprudence récente de la Cour européenne des Droits de l'Homme, les actes pris dans le cadre de la garde à vue. Il a estimé que, s'il était respecté, le calendrier annoncé par la ministre de la justice -un examen du projet de réforme de la procédure pénale au dernier trimestre de l'année 2010- permettrait de satisfaire cette exigence. Il a proposé, en conséquence, à la commission de ne pas établir de texte et d'adopter une motion de renvoi en commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président, a rappelé que la réflexion de la commission se poursuivrait dans le cadre du groupe de travail confié à MM. Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Michel sur la réforme de la procédure pénale.
M. Jean-René Lecerf a jugé que si le régime de la garde à vue était nécessairement appelé à évoluer dans des délais rapides, sous l'effet de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme ainsi que des recours présentés au titre de la question prioritaire de constitutionnalité, il restait des incertitudes sur le cadre juridique dans lequel cette réforme devait s'inscrire.
M. Jean-Pierre Michel a exprimé ses doutes sur les perspectives d'adoption d'une réforme de la procédure pénale avant 2010, à supposer qu'un projet de loi soit effectivement déposé par le Gouvernement. Il a ajouté que la position prise par la Cour européenne des droits de l'Homme dans son arrêt Medvedyev conduisait tout à la fois à revoir les bases de la procédure pénale et à mettre en cause les principales orientations de la réforme annoncée. Il a relevé que, selon l'arrêt, « le magistrat doit présenter les garanties requises d'indépendance à l'égard de l'exécutif et des parties, ce qui exclut notamment qu'il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale, à l'instar du ministère public » et qu'en conséquence un procureur de la République ne pourrait pas prendre de mesures portant atteinte à la liberté individuelle y compris dans le cadre de la garde à vue. Il a estimé par ailleurs que les tribunaux seraient de plus en plus nombreux à soulever une question préjudicielle quant à l'application de la garde à vue, ce qui imposait à l'évidence de prendre, au moins à titre provisoire, des dispositions sécurisant le cadre légal de l'enquête.
M. Jean-Jacques Hyest, président, a observé qu'aucune des propositions de lois relatives à la garde à vue n'entendait modifier le rôle dévolu au procureur de la République dans le contrôle de cette mesure.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat a indiqué partager l'analyse de M. Jean-Pierre Michel. Elle a déploré que le Parlement, alors même qu'il était saisi de plusieurs propositions de loi, renonce à prendre l'initiative sur une question qui, au surplus, pourrait être aisément détachée des autres aspects de la procédure pénale.
M. Jean-Pierre Sueur a souhaité que la commission puisse adopter cette proposition de loi, quitte à l'amender, afin d'en finir avec un statu quo que chacun s'accorde à reconnaitre intenable.
M. Jean-Jacques Hyest, président, a rappelé que l'adoption de la proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l'heure du numérique et celle de la loi relative à la législation funéraire manifestaient la vitalité de l'initiative parlementaire, en particulier au sein de la commission des lois.
M. Pierre Fauchon a souligné que la garde à vue constituait une question d'une extrême gravité et qu'indépendamment des alternances politiques, les gouvernements successifs s'étaient satisfaits du régime actuel. Il a jugé tout à fait envisageable l'adoption d'un texte spécifique sur ce sujet et estimé indispensable de faire comprendre au Gouvernement l'urgence d'une réforme, la commission des lois n'acceptant plus, à l'avenir, de surseoir à statuer. Il s'est demandé, par ailleurs, s'il ne serait pas possible de fusionner les différentes propositions de loi portant modification du régime de la garde à vue.
M. Jean-Jacques Hyest, président, a précisé, sur ce point, que le choix d'inscrire une proposition de loi à l'ordre du jour réservé aux groupes de l'opposition ou de la minorité relevait de la prérogative exclusive de ces groupes.
M. François Zocchetto, rapporteur, a indiqué qu'il partageait la volonté de parvenir dans des délais rapides à une réforme de la garde à vue. Il a toutefois souligné la difficulté de l'exercice en citant pour exemple la disposition de la proposition de loi présentée par Mme Alima Boumediene-Thiery subordonnant le placement en garde à vue à une autorisation du procureur de la République pour les infractions passibles d'une peine inférieure à cinq ans d'emprisonnement alors même que les modalités d'intervention du parquet soulevaient désormais de réelles incertitudes. Il a estimé indispensable le renforcement du rôle d'un magistrat indépendant qui pourrait être le juge de l'enquête et des libertés prévu par l'avant-projet de réforme de la procédure pénale. Le rapporteur a considéré qu'à défaut d'un texte déposé par le Gouvernement, la commission devrait reprendre l'initiative à la lumière des travaux du groupe de travail animé par MM. Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Michel.
M. Pierre Fauchon a indiqué qu'il avait déposé une proposition de loi relative à l'action publique en matière pénale et tendant à créer un procureur général de la République permettant de garantir l'indépendance du parquet. Le procureur général de la République serait nommé par le chef de l'Etat sur une liste de trois noms proposés par le Conseil supérieur de la magistrature et pourrait donner des instructions particulières sur les dossiers en cours.
M. Jean-Jacques Hyest, président, a souligné que le renvoi en commission pouvait impliquer, en cas d'inertie gouvernementale, un réexamen, dans un délai raisonnable, de la proposition de loi qui avait fait l'objet de cette motion. Tel pourrait être le cas de la proposition de loi organique portant application de l'article 68 de la Constitution présentée par M. François Patriat et plusieurs de ses collègues.
La commission a alors décidé de ne pas établir de texte et de déposer une motion de renvoi en commission de la proposition de loi n° 201 rectifié (2009-2010).