Rapport n° 412 (2009-2010) de M. Jean-Marie VANLERENBERGHE , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 27 avril 2010
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AVANT-PROPOS
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EXAMEN DES ARTICLES
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TRAVAUX DE LA COMMISSION
N° 412
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010
Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 avril 2010 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la proposition de loi , ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE , visant à garantir de justes conditions de rémunération aux salariés concernés par une procédure de reclassement ,
Par M. Jean-Marie VANLERENBERGHE,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : Mme Muguette Dini , présidente ; Mme Isabelle Debré, M. Gilbert Barbier, Mme Annie David, M. Gérard Dériot, Mmes Annie Jarraud-Vergnolle, Raymonde Le Texier, Catherine Procaccia, M. Jean-Marie Vanlerenberghe , vice-présidents ; MM. Nicolas About, François Autain, Paul Blanc, Jean-Marc Juilhard, Mmes Gisèle Printz, Patricia Schillinger , secrétaires ; M. Alain Vasselle, rapporteur général ; Mmes Jacqueline Alquier, Brigitte Bout, Claire-Lise Campion, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Yves Daudigny, Mme Christiane Demontès, M. Jean Desessard, Mme Sylvie Desmarescaux, M. Guy Fischer, Mme Samia Ghali, MM. Bruno Gilles, Jacques Gillot, Adrien Giraud, Mme Colette Giudicelli, MM. Jean-Pierre Godefroy, Alain Gournac, Mmes Sylvie Goy-Chavent, Françoise Henneron, Marie-Thérèse Hermange, Gélita Hoarau, M. Claude Jeannerot, Mme Christiane Kammermann, MM. Ronan Kerdraon, Marc Laménie, Serge Larcher, André Lardeux, Dominique Leclerc, Jacky Le Menn, Jean-Louis Lorrain, Alain Milon, Mmes Isabelle Pasquet, Anne-Marie Payet, M. Louis Pinton, Mmes Janine Rozier, Michèle San Vicente-Baudrin, MM. René Teulade, François Vendasi, René Vestri, André Villiers. |
Voir le(s) numéro(s) :
Assemblée nationale ( 13 ème législ.) : |
1672 , 1729 et T.A. 307 |
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Sénat : |
504 rectifié (2008-2009) et 413 (2009-2010) |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Les offres de reclassement à l'étranger sur des postes rémunérés quelques dizaines d'euros, proposées à des salariés français menacés de licenciement économique, ne sont pas acceptables.
Croyant de bonne foi accorder de nouveaux droits aux salariés, c'est pourtant le législateur qui, emboîtant le pas à la Cour de cassation, a légalement contraint les entreprises à présenter aux salariés l'ensemble des postes libres dont elles disposent dans le monde.
Soucieux d'agir rapidement pour apporter une réponse à l'augmentation des licenciements économiques, le Parlement a adopté en 2002, sans doute dans la précipitation, un dispositif qui s'est révélé porteur d'effets pervers et sur lequel il est impératif de revenir aujourd'hui.
La proposition de loi votée par l'Assemblée nationale se propose de remédier à une situation qu'il n'est pas soutenable d'imposer à des salariés confrontés à la menace imminente de perte de leur emploi.
Adoptée en première lecture en juin 2009, à l'unanimité des suffrages exprimés, elle a pour objectif d'encadrer les propositions de reclassement envisagées par l'entreprise.
L'intention est évidemment excellente. Le dispositif est néanmoins perfectible si l'on souhaite que ce texte remplisse pleinement son but.
I. LES EFFETS PERVERS D'UNE OBLIGATION INCONDITIONNELLE DE RECLASSEMENT À L'ÉTRANGER
A. UN FLUX RÉGULIER DE LICENCIEMENTS ÉCONOMIQUES
Depuis la fin des années soixante-dix, la libéralisation des échanges conjuguée au développement de nouveaux moyens de communication a accéléré les mutations économiques.
Dans les pays de l'OCDE, celles-ci prennent malheureusement parfois la forme de licenciements économiques : pour maintenir leur compétitivité ou accroître leur rentabilité, ou encore parce qu'elles font l'objet d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, les entreprises se séparent de tout ou partie de leurs personnels.
Licenciements pour motif économique |
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(en milliers) |
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2004 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
478,9 |
413,4 |
306,9 |
253,5 |
254,7 |
Source : direction générale de l'emploi et de la formation professionnelle |
Bien que leurs compétences et leur loyauté ne soient pas en cause, les salariés ne peuvent pas vivre autrement ces licenciements pour motif économique que comme des drames personnels leur laissant souvent pour seule perspective celle d'une reconversion difficile.
B. LA DOUBLE PEINE DES OFFRES INDÉCENTES
Le sentiment de colère et d'injustice est d'autant plus fort lorsque l'employeur propose des offres de reclassement à l'étranger sur des postes dont la rémunération est parfois inférieure à une centaine d'euros.
Les salariés sont alors soumis, pour reprendre la percutante expression de Philippe Folliot, rapporteur du texte à l'Assemblée nationale, à « une double peine » : peur d'être licencié et dévalorisation professionnelle.
Les exemples récents de ce type de situation ne manquent pas :
- en mars 2008, des salariés de l'entreprise Staf, filiale du groupe italien Sinterama, se sont vu proposer des offres de reclassement au Brésil pour 315 euros et en Turquie pour 230 euros mensuels ;
- en juin 2009, l'entreprise de textile Carreman, à Castres, a transmis à ses ouvriers menacés de licenciement économique des propositions de reclassement en Inde sur des postes rémunérés 69 euros par mois ;
- en mars 2010, les salariés de l'usine Continental de Clairoix ont reçu des offres de reclassement en Tunisie assortis d'une rémunération de 137 euros mensuels.
Les employeurs eux-mêmes, dans l'immense majorité des cas, ne se soumettent à l'obligation légale de présenter aux salariés l'ensemble des propositions de reclassement disponibles dans le groupe qu'à contrecoeur car la médiatisation des offres indécentes ne peut que nuire gravement à l'image de l'entreprise.
C. L'AMBIGUÏTÉ D'UNE OBLIGATION SANS PRÉREQUIS
Imposée à l'origine par la Cour de cassation dans les années quatre-vingt-dix, l'obligation mondiale et inconditionnelle de reclassement visait essentiellement à empêcher certains grands groupes internationaux de délaisser leurs cadres devenus moins rentables : un manager dont l'entreprise avait encouragé la mobilité internationale devait pouvoir bénéficier de la totalité des offres du groupe, dans l'ensemble des pays hébergeant un établissement ou une filiale, avant d'être éventuellement licencié.
Avec le temps, l'obligation a pu apparaître ensuite comme un moyen de pression donné aux salariés en cas de licenciement économique : difficile à mettre en oeuvre 1 ( * ) , elle a souvent placé l'employeur en situation de fragilité juridique et permis aux salariés de contester avec succès la procédure de licenciement.
Présentée comme un encouragement au reclassement des salariés dans une économie mondialisée, la loi a donc plutôt fonctionné comme un outil de sanction indirecte des entreprises recourant aux délocalisations.
D. LE BILAN NÉGATIF DE LA RÈGLE
Quinze ans après son énonciation par la Cour de cassation et huit ans après sa consécration par le législateur, l'obligation mondiale et inconditionnelle de reclassement présente un bilan négatif :
- elle n'a pas favorisé le reclassement des salariés qui a lieu, dans la quasi-totalité des cas, dans le même bassin d'emploi ;
- elle a pu souvent blesser des salariés choqués par les offres jugées, à juste titre, humiliantes qui leur étaient faites ;
- elle a considérablement nui à l'image des grandes entreprises, même lorsque celles-ci se sont efforcées loyalement et efficacement de mettre en place des plans de reclassement.
II. LES APPORTS ET LES LIMITES DE LA PROPOSITION DE LOI
A. LE QUESTIONNAIRE PRÉALABLE : PROTÉGER LES SALARIÉS ET LES EMPLOYEURS
Pour mettre un terme aux offres jugées « indignes », le texte propose de légaliser la procédure du questionnaire préalable pour les offres de reclassement à l'étranger.
Dans ce cadre, l'employeur ne sera plus tenu de transmettre au salarié la totalité des offres disponibles, mais uniquement celles correspondant à ses aspirations. Par exemple, si le salarié signale dans le questionnaire qu'il ne souhaite pas être reclassé sur un poste moins bien rémunéré, l'employeur ne sera plus dans l'obligation de lui proposer les postes dont la rémunération est inférieure à la limite indiquée.
Ainsi, salariés comme employeurs devraient être protégés d'une règle humiliante pour les premiers et néfaste pour les seconds.
B. UN TEXTE FRAGILE : FAUT-IL PRIVILÉGIER L'URGENCE OU LA SÉCURITÉ JURIDIQUE ?
S'il est impératif de modifier la loi, il est tout aussi nécessaire de s'assurer, dans la mesure du possible, des effets des changements proposés.
Or, le texte présente au moins quatre difficultés.
1. Un objectif partiellement atteint
Il n'est pas assuré que la rédaction proposée mette un terme aux offres indécentes puisque, contrairement à ce que prévoyait la version initiale du texte, aucun plancher salarial légal n'est institué. Dès lors, il suffit que le salarié donne son accord de principe, dans sa réponse au questionnaire, à une baisse de rémunération pour que l'employeur soit obligé légalement de lui proposer la totalité des offres disponibles, dont celles qui représentent moins de 10 % du Smic français.
De plus, si l'employeur tente d'éviter ce problème en demandant au salarié quel niveau de salaire il est prêt à accepter pour être reclassé, l'employeur se verra inévitablement reprocher d'exercer une forme de chantage sur les salariés qui auront le sentiment que leur chance de retrouver un poste est proportionnelle à la baisse de rémunération consentie dans le questionnaire.
Enfin si, pour tenter de remédier à ces difficultés, le Gouvernement choisissait d'élaborer un questionnaire-type mis à la disposition des entreprises, il fait peu de doute qu'il serait accusé, quelles que soient ses intentions, d'être complice des entreprises qui présentent des offres jugées scandaleuses.
2. Une source abondante de contentieux
Selon le texte voté par l'Assemblée nationale, les caractéristiques des restrictions que le salarié peut apporter aux offres de reclassement à l'étranger qu'il souhaite recevoir ne sont pas limitées.
En conséquence, un salarié peut mentionner toutes sortes de restrictions, y compris les plus difficiles à interpréter juridiquement. Par exemple, quelles conclusions un employeur doit-il tirer, en matière d'offres de reclassement à proposer, de la réponse d'un salarié qui souhaite être reclassé « dans une grande ville », ou sur un emploi « moins pénible » ?
Pour le professeur Jean-Emmanuel Ray 2 ( * ) , il s'agit d'un « nid à contentieux » créé par le législateur, qui pourrait aboutir à ce que la loyauté de l'employeur dans l'exécution de son obligation de reclassement soit facilement, et donc systématiquement, contestée devant le juge.
La clarification et la simplification des procédures espérées par les employeurs et les salariés semblent donc loin d'être assurées.
3. Les droits des salariés potentiellement affaiblis
Le caractère flou du questionnaire pourrait également, dans des situations où les salariés seraient mal informés sur leurs droits, permettre à un employeur peu scrupuleux de se dédouaner de son obligation de reclassement, en orientant le questionnaire de manière à limiter les reclassements possibles. Une réponse négative de la part d'un salarié à une question du type « accepteriez-vous une offre qui ne vous permette pas de garder l'ensemble de vos avantages actuels ? » permettrait ainsi à l'employeur, de fait, de ne plus chercher un reclassement à l'étranger.
4. L'inapplicabilité du texte aux cas de liquidation judiciaire
Les liquidations judiciaires représentent entre 15 % et 25 % des licenciements économiques. Dans ce cas de figure, le mandataire liquidateur dispose de quinze jours pour satisfaire à l'ensemble de ses obligations légales vis-à-vis des salariés licenciés.
D'après le président du Conseil national des administrateurs et mandataires judiciaires, le délai de six jours donné par le texte au salarié pour répondre au questionnaire empêchera, de fait, le liquidateur de remplir l'ensemble de ses obligations. Ceci conduira presque systématiquement les salariés à contester juridiquement, et avec succès, la validité de la procédure suivie.
5. Les améliorations envisageables
L'urgence de la situation, mais aussi la nécessité de combler les failles de la rédaction actuelle, conduisent votre rapporteur à proposer d'apporter trois améliorations au texte afin de :
- fixer un plancher salarial légal pour les offres de reclassement à l'étranger ;
- assécher les sources abondantes de contentieux potentiels ;
- résoudre le problème des licenciements effectués lors d'une liquidation judiciaire.
Certes, modifier la rédaction précédemment adoptée par l'Assemblée nationale aurait l'inconvénient de retarder l'entrée en vigueur du texte, puisque cela supposerait de procéder à, au moins, une lecture supplémentaire.
Ceci étant, cette formule présenterait l'avantage considérable de mieux protéger les salariés et les employeurs contre les effets pervers de l'obligation de reclassement et donc d'éviter au législateur de se pencher à nouveau, et peut-être très vite, sur ce problème.
Indéniablement, le texte proposé à notre assemblée va dans le bon sens. Incontestablement, il est largement perfectible.
Il est donc demandé au Sénat de répondre à la question suivante : vaut-il mieux adopter rapidement une loi, quitte à ce qu'elle ne s'applique pas bien, ou préparer un texte sécurisé et opérationnel, quitte à ce qu'il n'entre en vigueur que dans quelques mois ?
EXAMEN DES ARTICLES
Article unique
(art.
L. 1233-4 et art. L. 1233-4-1 (nouveau) du code du
travail)
Garanties salariales dans le cadre des procédures de
reclassement
Objet : Cet article légalise, dans les cas de reclassement des salariés, le recours au questionnaire préalable pour les offres d'emploi situées à l'étranger.
I - Le dispositif de la proposition de loi initiale
Pour être légal, un licenciement doit, en application du code du travail, être justifié soit par un motif personnel, propre à la personne du salarié, soit par une cause économique.
Le licenciement pour motif économique est « le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques » 3 ( * ) .
Il est conditionné à un certain nombre de règles, dont celle du respect par l'employeur de l'obligation de reclassement du salarié : l'employeur ne peut licencier un salarié pour motif économique s'il a la possibilité de le reclasser sur un emploi compatible avec ses capacités.
Posé en 1992 par la Cour de cassation 4 ( * ) , ce principe a vu son champ d'application géographique précisé trois années plus tard, toujours par sa chambre sociale : le reclassement du salarié doit être recherché non seulement dans l'entreprise mais également à l'intérieur du groupe « parmi les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation leur permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel » 5 ( * ) .
D'origine jurisprudentielle, la règle est devenue législative en 2002 : l'article L. 1233-4 du code du travail dispose désormais que « le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient ».
On le sait, l'étendue universelle de l'obligation de reclassement a entraîné un effet pervers : se pliant à la législation, les entreprises ont adressé à leurs salariés menacés de licenciements économiques des offres de reclassements dans tous leurs établissements, y compris ceux, situés à l'étranger, dans lesquels les salaires sont très inférieurs aux rémunérations françaises.
Pour remédier à cette difficulté, le texte initial de la proposition de loi prévoyait donc que « lorsque les emplois proposés pour le reclassement sont situés à l'étranger, ils doivent assurer au salarié le respect des règles d'ordre public social français en matière de rémunération ».
Les auteurs entendaient ainsi garantir au salarié reclassé un niveau de rémunération au moins équivalent au Smic français, y compris dans les cas de postes situés à l'étranger.
II - Le texte adopté par l'Assemblée nationale
L'Assemblée nationale a entièrement modifié la rédaction initiale du texte.
Reconnaissant lui-même que le contenu de l'« ordre public social français » n'était pas défini et que la notion n'était donc pas opérationnelle, le rapporteur a proposé un autre moyen d'éviter l'envoi d'offres de reclassement jugées « humiliantes » par les salariés : la procédure du questionnaire préalable .
Le texte adopté prévoit donc que « lorsque l'entreprise ou le groupe auquel elle appartient est implanté hors du territoire national, l'employeur demande au salarié, préalablement au licenciement, s'il accepte de recevoir des offres de reclassement hors de ce territoire, dans chacune des implantations en cause, et sous quelles restrictions éventuelles quant aux caractéristiques des emplois offerts, notamment en matière de rémunération et de localisation ».
A compter de la réception de la proposition de l'employeur, le salarié dispose de six jours pour manifester son accord. Sa réponse peut inclure « les restrictions éventuelles » qu'il entend formuler sur son reclassement à l'étranger. L'absence de réponse vaut refus.
Dès lors, l'obligation de reclassement incombant à l'employeur ne porte plus que sur les offres à l'étranger compatibles avec les restrictions apportées par le salarié dans le questionnaire ou sur les offres situées sur le territoire national.
A première vue, on peut donc supposer que le texte mettra fin aux offres jugées « indignes », car il est probable que le salarié déclarera, dans son questionnaire, qu'il ne souhaite pas partir à l'étranger ou être reclassé sur un poste dont la rémunération est inférieure à celle de son poste actuel.
III - Le texte adopté par votre commission
S'il partage pleinement l'objectif poursuivi par le texte, votre rapporteur estime cependant que la rédaction issue de l'Assemblée nationale soulève quatre problèmes :
- en raison de l'absence de plancher salarial légal s'appliquant aux offres de reclassement à l'étranger, le texte ne garantit que partiellement les salariés contre les offres de reclassement « indignes » : un employeur aura toujours l'obligation légale de transmettre au salarié ayant accepté le principe d'une baisse de rémunération l'ensemble des offres disponibles dans le groupe, quel que soit le montant du salaire correspondant ;
- le manque d'encadrement des restrictions recevables que le salarié peut apporter aux offres à l'étranger risque de conduire à une augmentation des contentieux : ni les salariés ni les employeurs ne pourront en effet distinguer avec certitude les motifs de restriction légaux de ceux qui ne le sont pas. Il reviendra à la jurisprudence de trancher motif par motif ou de proposer des critères ;
- du point de vue de la technique juridique, le choix de la rédaction actuelle pourrait conduire la Cour de cassation à priver la loi de son effet . Dans un arrêt du 4 mars 2009, elle a en effet estimé que l'employeur « ne peut limiter ses recherches de reclassement et ses offres en fonction de la volonté de ses salariés, exprimés à sa demande et par avance, en dehors de toute proposition concrète ». Il s'agit d'un attendu de principe que la chambre sociale tire de la rédaction actuelle de l'article L. 1233-4 du code du travail. Or, la proposition de loi ne modifie pas substantiellement cette rédaction, mais introduit le questionnaire dans un nouvel article L. 1233-4-1. La Cour de cassation pourrait donc considérer que le législateur n'a pas modifié l'article dont découle l'attendu de principe et que celui-ci reste valable. Cela obligerait les entreprises à continuer de devoir faire parvenir l'ensemble des offres concrètes au salarié, quels que soient les souhaits formulés à l'occasion des réponses au questionnaire, ce qui priverait la loi de son effet utile ;
- enfin, le texte n'est pas applicable aux cas de liquidation judiciaire . En vertu de l'article L. 3253-8 du code du travail, le mandataire liquidateur dispose, dans ce genre de situation, de quinze jours pour remplir l'ensemble des obligations légales vis-à-vis des salariés. Or, le délai de six jours donné au salarié pour répondre au questionnaire conduira systématiquement le mandataire à dépasser le délai ou à ne pas respecter la totalité des procédures pour tenter de ne pas outrepasser les deux semaines légales.
Votre rapporteur a donc proposé une nouvelle rédaction du texte, permettant d'apporter selon lui les trois améliorations suivantes :
- fixer un plancher salarial légal pour les offres de reclassement : l'employeur n'aurait plus ni l'obligation ni le droit d'adresser au salarié des offres de reclassement à l'étranger dont la rémunération est inférieure au Smic, Néanmoins, le salarié aurait toujours le droit, s'il le demande lui-même par écrit à l'employeur, de recevoir des offres à l'étranger inférieures au Smic, de manière à ne pas priver de possibilité de reclassement des salariés expatriés en France qui seraient disposés à retourner dans leur pays d'origine, même au prix d'une faible rémunération ;
- sécuriser juridiquement le texte en supprimant les références aux notions sources de contentieux telles que « notamment » et « restrictions éventuelles » et en évitant le risque de jurisprudence « contra legem » de la Cour de cassation ;
- résoudre le problème des licenciements dans le cadre des liquidations judiciaires , en prévoyant que la procédure du questionnaire ne s'applique pas dans ces situations.
Ceci étant, après un débat auquel ont pris part Catherine Procaccia, Gérard Dériot, Annie David, Guy Fischer, Claude Jeannerot et Jacqueline Alquier, il est apparu préférable à la commission de ne pas modifier le texte sans avoir obtenu l'accord du rapporteur à l'Assemblée nationale et du Gouvernement et de privilégier la perspective d'une adoption rapide de ce texte, sans doute utile en dépit de ses imperfections.
C'est pourquoi votre commission a adopté cet article sans modification.
TRAVAUX DE LA COMMISSION
Réunie le mardi 27 avril 2010 , sous la présidence de Muguette Dini, présidente, la commission a examiné la proposition de loi n° 504 rectifié (2008-2009) visant à garantir de justes conditions de rémunération aux salariés concernés par une procédure de reclassement.
Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur - Cette proposition de loi tend à mettre fin aux scandales des offres d'emploi indécentes. En cas de licenciement économique, les entreprises ont aujourd'hui l'obligation légale de présenter tous les emplois disponibles dans le groupe, ce qui les conduit à faire des propositions que les salariés estiment choquantes, par exemple celle de l'entreprise Carreman de Castres offrant à ses ouvriers des postes en Inde rémunérés 69 euros par mois.
Guy Fischer - C'est scandaleux !
Mme Catherine Procaccia - C'est nous qui avons fait la loi !
Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur - Pour tenter de mettre un terme à ces situations inacceptables, la proposition de loi de notre collègue député Philippe Folliot légalise, dans la procédure de licenciement, le recours au questionnaire préalable. Ce dispositif, que la Cour de cassation a censuré en 2009, évitera le renouvellement de tels scandales puisque l'employeur ne sera plus tenu de faire parvenir aux salariés que les offres correspondant à leurs aspirations.
Si l'idée est particulièrement pertinente, les auditions que j'ai menées et auxquelles le rapporteur à l'Assemblée nationale n'avait pas eu le temps de procéder, notamment celles de la Cour de cassation et de professeurs du droit du travail, ont révélé quatre difficultés.
Le point le plus embarrassant est qu'il n'est pas évident que le texte mette un terme aux scandales : aucun plancher de salaire n'étant prévu, il suffit que le salarié donne son accord de principe à une baisse de rémunération pour que l'employeur reste tenu de lui proposer toutes les offres disponibles, y compris celles à 69 euros que le salarié continuera de juger humiliantes. Si l'employeur essaie d'éviter ce problème en demandant au salarié quel niveau de salaire il est prêt à accepter pour être reclassé, le scandale risque de se reporter sur le questionnaire et l'on reprocherait à l'employeur d'exercer une forme de chantage : plus la baisse acceptée dans le questionnaire est importante, plus le salarié aura de chances d'être reclassé. Si le Gouvernement élabore un questionnaire-type par circulaire, il sera accusé d'accompagner le dumping social.
La deuxième difficulté tient au caractère flou de la rédaction actuelle. Le qualificatif « éventuelles », appliqué aux restrictions portant sur les caractéristiques de l'emploi, laisse le champ libre aux interprétations, facilement contestables. Le salarié pourra, par exemple, souhaiter être reclassé « dans une grande ville » ou sur un métier « moins pénible ». Ce serait créer un « nid à contentieux ».
Troisièmement, le texte ne saurait, de l'avis formel du président du conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires, s'appliquer aux entreprises en liquidation judiciaire : le mandataire liquidateur ne disposant que de quinze jours pour remplir sa mission, si l'on défalque les six jours de réponse au questionnaire, il ne pourra effectuer toutes les démarches et la procédure suivie pourra être contestée par les salariés, et avec succès.
Quatrièmement, les syndicats de salariés ont fait valoir qu'un tel questionnaire permettrait à un employeur, si les questions sont orientées à cette fin, de se dédouaner de ses obligations de reclassement, en posant par exemple la question : « accepteriez-vous une offre qui ne reprend pas vos avantages actuels ? ».
Ces difficultés ne sont pas mineures. Si l'on veut mettre un terme au scandale des offres indécentes, il est inévitable d'introduire un plancher salarial légal pour les offres de reclassement. L'employeur ne doit plus avoir ni l'obligation ni le droit d'adresser au salarié des offres de reclassement à l'étranger dont la rémunération est inférieure au smic. Il ne faut pas pour autant empêcher les salariés expatriés en France qui y sont prêts, à travailler dans leur pays d'origine, même avec une rémunération moindre. Dans ce cas, ils pourront, s'ils le demandent par écrit, recevoir des offres à l'étranger à un salaire inférieur au smic. Nous protègerions ainsi l'immense majorité des salariés et des employeurs contre l'obligation de recevoir ou d'envoyer des offres choquantes, tout en conservant la souplesse nécessaire.
Pour purger les sources de contentieux, je propose donc de retirer du texte les termes « notamment » et « éventuelles ». Le champ du questionnaire ne serait plus illimité mais porterait uniquement sur le souhait d'aller travailler à l'étranger.
Enfin, il est difficile de ne pas tenir compte des remarques sur l'inapplicabilité du texte aux cas de liquidation judiciaire. Le président du Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires est très favorable à ce que la procédure du questionnaire ne s'applique pas dans ces situations.
Ceci étant, je vous indique que le Gouvernement préfèrerait que nous ne touchions pas au texte actuel. Il s'agit d'un arbitrage entre l'urgence et le règlement au fond du problème. Vaut-il mieux adopter un texte rapidement, quitte à ce qu'il ne s'applique pas bien, ou construire un dispositif opérationnel et sécurisé, quitte à retarder sa mise en oeuvre de quelques mois ? J'ai tendance à penser que pour répondre à cette question très médiatique, il est de l'intérêt de tous de la traiter au fond.
Catherine Procaccia - Je découvre un peu le texte. Les arguments présentés suscitent beaucoup d'interrogations : par exemple, bien que le problème soit médiatique, j'ignorais qu'il durait depuis quinze ans. Il faut modifier la loi.
Paul Blanc - Le principe de précaution, ça suffit !
Catherine Procaccia - En France, nous avons un salaire-plancher, c'est le smic. Cependant, nos règles ne s'appliquant pas à l'étranger, comment jouera ce seuil salarial ? Par ailleurs, en quoi consistent des offres qui correspondent aux aspirations des salariés : doivent-elles assurer le même salaire et correspondre au même travail ? Que peut-on faire en cas de liquidation judiciaire ? On ne doit pas construire le texte sur des cas douloureux, mais ponctuels. Enfin, si l'on ne vote pas ce texte conforme, le risque n'est-il pas réel qu'il soit reporté de six à huit mois, voire plus ?
Annie David - Parlons d'abord de ces offres qui s'adressent à des salariés victimes d'un licenciement économique à qui l'on propose des emplois à 69 euros en Inde. Notre priorité doit être de penser surtout aux hommes et aux femmes concernés. La proposition de loi initiale avait l'avantage de se limiter à prévoir que les offres d'emploi seraient d'une rémunération équivalente. Nous l'aurions alors votée. Cependant, elle a été complétée à l'Assemblée et j'avais relevé plusieurs inconvénients de sa rédaction actuelle, à commencer par le fait qu'elle ne mettra pas fin au scandale des offres à 69 euros alors que les actionnaires continueront de percevoir des dividendes - n'est-ce pas l'objectif des licenciements ? Il est vrai qu'un salaire du niveau du smic versé à un salarié français travaillant en Inde serait susceptible de donner des idées aux employés locaux...
J'attends, bien sûr, l'examen des amendements, mais je remarque que vous maintenez le questionnaire préalable. Vous enlevez ainsi un petit droit aux salariés qui leur permet aujourd'hui de gagner devant les prudhommes parce que l'employeur n'a pas respecté ses obligations. Nous ne pourrons pas voter cela. Plutôt que de se précipiter sur un texte de circonstance qui créera d'autres contentieux, prenons le temps de travailler.
Jacqueline Alquier - J'ai vécu cette situation car l'entreprise Carreman est implantée près de Castres. Cette décision était une forme de provocation ; on ne pouvait pas la tolérer. Accepter un déracinement est difficile, surtout quand il s'agit de partir vers un pays inconnu, dont on ignore le niveau de vie. Proposer le smic est le strict minimum. Les grandes entreprises font des propositions intéressantes à leurs cadres quand elles veulent s'implanter dans ces pays. Mais il s'agit ici de délocaliser : si tout est permis au patronat, pourquoi se gêner ?
Quant aux jeunes issus des minorités et qui pourraient trouver des opportunités dans les pays émergents, on trouve le moyen de rogner sur leurs salaires ! Non, je le répète, nous sommes extrêmement réservés à l'égard de ce texte.
Claude Jeannerot - Je découvre le texte, je n'ai pas eu le temps de la réflexion, mais je m'interroge sur la nécessité de ce questionnaire préalable. Le droit du travail impose surtout une bourse des offres d'emploi, mise à disposition des salariés. A eux ensuite de se déterminer ! Pourquoi encadrer ainsi les relations ultérieures entre le salarié et l'employeur ? La référence au smic ne me satisfait pas. La seule exigence qui vaille est celle d'un salaire équivalent à la rémunération antérieure.
Guy Fischer - Parlons de ce qui est au coeur des préoccupations du plus grand nombre des salariés confrontés à la perspective du chômage - car les demandeurs d'emploi seront 300 000 de plus d'ici la fin de l'année...
Le rapport de Jean-Marie Vanlerenberghe est clair : il s'agit d'assécher les sources, aujourd'hui inépuisables, de contentieux. Mais l'écrasement des rémunérations, qui préoccupe tous les sénateurs de gauche, ne saurait laisser insensibles les autres membres de la commission. Les profits commandent et l'emploi devient la variable d'ajustement ; cela mène à des catastrophes. Les occupations des locaux d'entreprises sont de plus en plus dures : souvenez-vous des bombonnes de gaz ! Je suis étonné qu'on n'ait pas vu encore d'incidents plus graves.
Ce texte ne fait que créer un pare-feu et me semble très insuffisant. Nous verrons d'ici la séance publique comment nous nous déterminerons.
Catherine Procaccia - La loi de modernisation du dialogue social a prévu une concertation avec les partenaires sociaux pour tout texte de loi en matière de droit du travail - disposition que nous devons au président Gérard Larcher, alors ministre, et qui a depuis pris l'initiative d'une procédure expérimentale assez semblable pour les propositions de loi. Ce dispositif ne trouve-t-il pas application en l'espèce ?
Muguette Dini , présidente - Cette proposition de loi n'entre pas dans le champ du protocole car le texte a déjà été voté à l'Assemblée nationale. Si l'initiative en avait été prise au Sénat, en revanche, nous aurions dû effectivement organiser une telle concertation.
Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur - Cette proposition de loi n'est pas essentielle mais elle touche à l'essentiel... La loi sur le reclassement a été votée en 2002 et des gouvernements de droite et de gauche y ont contribué. La volonté du législateur était d'offrir aux salariés une diversité de propositions en cas de licenciement. Or cette obligation légale a entraîné des effets pervers, je veux parler de ces offres à 69 euros. Le questionnaire préalable ne fait que limiter ce risque ; et je souhaite, pour ma part, le supprimer entièrement. Nous pourrions voter la proposition de loi telle quelle, en estimant qu'elle va dans le bon sens. Mais je plaide pour la border juridiquement. Si nous y apportons des modifications, nos collègues députés pourront la réexaminer, à l'initiative du Gouvernement, ce qui est tout à fait possible ! Le ministre m'a indiqué que cela serait difficile avant juillet mais possible ensuite.
Le plancher salarial peut tout à fait s'appliquer aux offres à l'étranger : il suffit que les entreprises se dotent du système d'information nécessaire, et personne ne peut croire que c'est très compliqué. Les liquidations judiciaires représentent 15 % à 25 % des licenciements économiques, on ne peut pas ignorer le problème, comme le fait pourtant le texte actuel.
Certes, le texte a recueilli un large consensus à l'Assemblée nationale puisqu'il a été voté par tous les groupes, hors l'abstention des députés communistes. Pour autant, sa rédaction n'est pas pleinement satisfaisante. J'ai eu le souci de parvenir à un texte juridiquement plus sûr et plus opérationnel. Si le sujet est jugé suffisamment important, l'Assemblée trouvera bien un créneau horaire pour l'examiner à nouveau ! Nulle remise en cause du fond de notre part. Du reste, ce que nous ajoutons, l'Assemblée l'avait envisagé. On ne saurait voir dans notre rédaction une intrusion menaçante.
Muguette Dini , présidente - L'amendement présenté par le rapporteur propose une nouvelle rédaction de cet article :
Rédiger ainsi cet article :
Le code du travail est ainsi modifié :
1° L'article L. 1233-4 est ainsi rédigé :
« Art. L. 1233-4. - Le licenciement pour motif économique ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement du salarié ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient.
« Lorsque l'entreprise ou le groupe auquel elle appartient est implanté hors du territoire national, l'employeur demande au salarié, avant l'entretien prévu à l'article L. 1233-11 ou après la dernière réunion des représentants du personnel prévue aux articles L. 1233-29 et L. 1233-30, s'il accepte de recevoir des offres de reclassement hors de ce territoire. Le salarié manifeste son accord dans un délai de six jours à compter de la réception de la proposition de l'employeur. L'absence de réponse vaut refus.
« L'employeur adresse par écrit au salarié les seules offres précises de reclassement correspondant aux mobilités géographiques que ce dernier a acceptées.
« Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi similaire assortis d'une rémunération au moins équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, il s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure, dont la rémunération est au moins égale au salaire minimum de croissance défini à l'article L. 3231-2.
« En cas de liquidation judiciaire, les deuxième et troisième alinéas du présent article ne s'appliquent pas. » ;
2° Après l'article L. 1233-4, il est inséré un article L. 1233-4-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1233-4-1. - Par dérogation à l'article L. 1233-4 et sur demande écrite du salarié, adressée à l'employeur dans un délai de six jours à compter de la réception de la proposition mentionnée au deuxième alinéa du même article, l'employeur transmet par écrit au salarié les offres de reclassement situées en dehors du territoire national dont la rémunération est inférieure au salaire minimum de croissance défini à l'article L. 3231-2. Avec l'accord du salarié, son reclassement s'effectue sur un des emplois correspondant à ces offres. »
Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur - Cet amendement réécrit l'article unique, pour remédier aux quatre difficultés que j'ai évoquées : il introduit un plancher salarial légal, il supprime les mentions qui peuvent déboucher sur un contentieux, il resserre le champ du questionnaire, il précise les délais. Enfin, il exclut le cas de la liquidation judiciaire.
Gérard Dériot - Si nous réécrivons entièrement l'article, comment imaginer que nous pourrons nous mettre d'accord avec les députés sur cette rédaction ? Le texte de l'Assemblée nationale constitue déjà un progrès !
Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur - Il est dans les habitudes de travail du Sénat de toujours chercher à améliorer les textes, s'il y a lieu. Ici, il convient de retenir une rédaction juridiquement plus claire. Ceci étant, si cet amendement, techniquement, se présente sous la forme d'une rédaction globale du texte, il en reprend intégralement plusieurs alinéas, sans changement, et procède à quelques aménagements. J'ajoute que d'ici le 4 mai, date du passage du texte en séance publique, nous aurons toute possibilité de négocier avec l'Assemblée nationale et le ministre des affaires sociales, Eric Woerth. Si un accord ne devait pas être trouvé, si l'on nous demande alors d'adopter conforme la proposition, chers collègues, vous en déciderez !
Annie David - Nous ne voterons pas le texte du rapporteur. Il est incontestablement meilleur sur le plan juridique mais identique sur le fond à celui de l'Assemblée nationale. Et surtout, le salarié ne pourra plus s'appuyer sur les failles actuelles de la rédaction pour aller aux prud'hommes ! Le texte s'appliquera plus facilement, ce que nous ne voulons pas !
En outre, le délai de réflexion est insuffisant. Comment imaginer que le salarié, assommé par la nouvelle de son licenciement, puisse répondre sous six jours ? L'absence de réponse valant refus, l'employeur aura gagné, il sera dégagé de toute obligation. Et à quoi correspond la « mobilité acceptée » ? La proposition visait à protéger le salarié contre les offres d'emploi indécentes. Mais la conséquence de votre rédaction, c'est que personne n'aura connaissance de la situation de l'entreprise et que celle-ci pourra délocaliser tranquillement pour satisfaire les appétits des actionnaires.
Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur - Nous ne nous plaçons pas sur le même terrain. Notre souci est de protéger le salarié licencié ; vous refusez tout licenciement. Un syndicaliste nous a même suggéré de changer toute la loi sur le licenciement : je siège au Conseil d'orientation sur l'emploi et je peux vous indiquer que nous travaillons sur la question du reclassement, mais certainement pas à tout remettre en cause ! Annie David rêve qu'il n'y ait plus un seul licenciement.
Annie David - Je n'ai jamais dit cela : je refuse les licenciements sans fondement économique réel. Caterpillar à Grenoble a mis plus de huit cents personnes au chômage et dans le même temps le dividende des actionnaires a augmenté ! Pendant ce temps, un contrat de revitalisation est mis en oeuvre, les réunions se succèdent à la préfecture et l'Etat verse des indemnités aux chômeurs.
Catherine Procaccia - Le rapporteur pense pouvoir trouver d'ici la semaine prochaine un compromis avec les députés. Peut-être vaudrait-il mieux que nous n'adoptions pas son amendement aujourd'hui, et qu'il nous soumette en séance, en son nom ou au nom de la commission si elle en décide ainsi, un amendement reprenant la teneur de ce compromis.
Muguette Dini , présidente - Si nous rejetons aujourd'hui l'amendement du rapporteur, la commission ne pourra le soutenir en séance.
Catherine Procaccia . - Mais peut-être est-il possible de trouver une rédaction qui satisfasse tout le monde.
Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur - Il me semble préférable d'adopter aujourd'hui cet amendement. Le Gouvernement aura toute latitude d'en déposer un autre en séance afin de revenir à la rédaction initiale, mais il devra s'en justifier et répondre à nos inquiétudes sur la sécurité juridique du texte et l'obligation de reclassement.
Gérard Dériot - Si nous modifions le texte de l'Assemblée nationale, jamais il ne sera réinscrit à l'ordre du jour.
L'amendement n'est pas adopté.
La commission adopte le texte de la proposition de loi tel que transmis par l'Assemblée nationale.
Muguette Dini , présidente - Nous nous réunirons la semaine prochaine pour examiner les amendements extérieurs, qui devront être déposés avant le lundi 3 mai à midi.
Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur - Libre à nos collègues de déposer un amendement semblable à celui que vous venez de rejeter, mais ce serait peu cohérent... Peut-être trouverons-nous un terrain d'entente avec le Gouvernement et l'Assemblée nationale : je crois que vous n'avez pas été insensibles à mes arguments.
Catherine Procaccia - Seulement, nous n'avons pas eu le temps d'étudier convenablement ce texte !
Paul Blanc - Le rapporteur a fait un travail remarquable. Mais je hasarderai une comparaison. Je suis bricoleur et j'aime peindre. Lorsque mon pinceau dévie, plus j'essaie de rectifier l'erreur, plus je gâche l'ensemble. Il en va de même de cette proposition de loi : à trop vouloir l'améliorer, on risque de perdre beaucoup de temps. Si un accord est trouvé avec les députés et le Gouvernement, rien n'empêchera ce dernier de présenter la semaine prochaine un amendement en séance.
Muguette Dini , présidente - Mais le texte devra alors faire l'objet d'une deuxième lecture à l'Assemblée nationale.
Paul Blanc - Une rédaction consensuelle serait adoptée sans modification.
Janine Rozier - Que Paul Blanc me permette de lui rappeler qu'avant de peindre, il faut préparer le support !
* 1 Par exemple, on imagine la difficulté, si ce n'est l'impossibilité, pour un directeur des ressources humaines d'un établissement de l'entreprise Siemens situé en France à recenser les offres d'emploi disponibles, au moment du licenciement, dans les 1 224 filiales du groupe.
* 2 Professeur de droit du travail à l'Université de Paris I et à l'Institut d'études politiques de Paris, auditionné par votre rapporteur.
* 3 Article L. 1233-3 du code du travail.
* 4 Chambre sociale, 25 février 1992, n°89-41634
* 5 Chambre sociale, 22 février 1995, n°93-43404