III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : UNE APPROBATION SANS RÉSERVES DE LA PROPOSITION DE LOI
Votre commission des lois, qui a maintes fois affirmé son attachement à l'existence et au rôle du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, ne peut qu'approuver sans réserves la présente proposition de loi, qui permettra de consolider l'action de cette institution qui a su faire la preuve de son utilité et de sa légitimité.
À l'issue des auditions conduites par votre rapporteure, quelques évolutions du texte sont toutefois apparues nécessaires. Sur sa proposition, votre commission a adopté quatre amendements , ainsi qu' un amendement de Mme Esther Benbassa.
• Tout d'abord, votre commission des lois a introduit dans la proposition de loi un nouvel article 1 er A afin d'étendre la compétence du Contrôleur général à l'exécution des mesures d'éloignement forcé d'étrangers en situation irrégulière .
À l'heure actuelle, le Contrôleur général est compétent pour contrôler le respect des droits fondamentaux des personnes placées en zones d'attente ou en centres de rétention administrative, mais sa compétence s'arrête aux portes de ces établissements.
Or, la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 dite « directive retour » impose aux États membres de « prévoir un système efficace de contrôle du retour forcé », incluant l'ensemble des phases de transferts forcés vers le pays de destination.
Le nouvel article 1 er A remédie à cette lacune, en confiant au Contrôleur général des lieux de privation de liberté, déjà compétent pour contrôler le respect des droits fondamentaux dans les centres de rétention administrative, le contrôle de l'exécution de l'ensemble de la mesure d'éloignement, jusqu'à la remise de l'intéressé aux autorités de l'État de destination.
Concrètement, lorsque le retour s'effectue par voie aérienne, les équipes du Contrôleur général auront la possibilité d'être présentes dans l'avion ou d'enquêter sur des faits s'y étant éventuellement déroulés.
Dans un souci de cohérence et d'efficacité du contrôle, votre commission n'a pas souhaité limiter le champ de cette extension aux éloignements vers les seuls pays tiers à l'Union européenne, comme l'aurait conduit à le faire une interprétation stricte de la directive « retour », mais a prévu l'extension de la compétence du CGLPL à l'ensemble des mesures d'éloignement exécutées par les autorités françaises , y compris vers des pays membres de l'Union européenne.
• Par ailleurs, votre commission a souhaité préciser les dispositions de la proposition de loi permettant au Contrôleur général de prendre connaissance, dans certaines conditions, d'informations couvertes par le secret médical .
L'interdiction faite à l'heure actuelle au Contrôleur général de prendre connaissance de telles informations constitue dans certains cas un réel frein à l'exercice de son contrôle. Comme l'ont notamment rappelé lors de leur audition M. Xavier Ronsin, membre français du CPT, et Mme Catherine Paulet, expert auprès de ce comité, il est dans l'intérêt même des personnes privées de liberté que le secret médical, « institué dans l'intérêt des patients » (article R. 4127-4 du code de la santé publique), ne soit pas opposable au Contrôleur général des lieux de privation de liberté, par ailleurs lui-même soumis au secret professionnel en vertu de l'article 5 de la loi du 30 octobre 2007.
Les avancées en ce domaine suscitent toutefois l'inquiétude d'une partie des professionnels de santé exerçant dans les établissements relevant du contrôle du CGLPL, qui y voient un risque de dérives possibles, en particulier dans le cas où ces informations seraient communiquées à des professionnels n'appartenant pas au corps médical.
Sans doute le secret médical connaît-il des limites, justifiées notamment par la nécessité, pour les pouvoirs publics, de pouvoir exercer un contrôle sur les structures de soins. La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a par exemple prévu que les membres de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) titulaires d'un diplôme de médecin pourraient avoir accès aux informations, couvertes par le secret médical, nécessaires à l'exercice de leur mission 13 ( * ) .
Les professionnels de santé jouent un rôle essentiel dans les lieux de privation de liberté et contribuent à la préservation des droits des personnes qui y sont détenues ou retenues. Il est à cet égard indispensable de préserver la qualité des relations que le Contrôleur général peut avoir avec eux.
C'est la raison pour laquelle, sur proposition de votre rapporteure, votre commission a souhaité préciser, sur le modèle des dispositions introduites par la loi du 4 mars 2002 précitée, que seuls les collaborateurs du Contrôleur général titulaires d'un diplôme de médecin auraient la faculté de prendre connaissance d'informations couvertes par le secret médical, à charge pour eux d'en extraire les éléments nécessaires à l'exercice du contrôle.
À l'heure actuelle, l'équipe du Contrôleur général compte trois praticiens hospitaliers.
En l'état de la réflexion, votre commission n'a toutefois pas souhaité aller plus loin que le dispositif applicable au Défenseur des droits et a maintenu le principe de l'accord de la personne concernée à la communication de son dossier médical au CGLPL - ce consentement n'étant toutefois pas requis lorsque les faits concernent des sévices infligés à un mineur ou une personne incapable de se protéger.
• Par ailleurs, votre commission a supprimé de la proposition de loi les dispositions reconnaissant expressément l'existence des chargés d'enquête dans la loi du 30 octobre 2007.
En l'état du droit, cette loi mentionne certes l'existence de « contrôleurs » et ponctuellement de « collaborateurs », mais pour l'essentiel, les modalités d'organisation interne des services du CGLPL, le statut de ses personnels, leurs obligations et les modalités de leur rémunération sont définies par le décret n° 2008-246 du 12 mars 2008 ainsi que par le Règlement de service du CGLPL pris pour son application.
En outre, le fait de mentionner concomitamment dans la loi l'existence de « contrôleurs » et de « chargés d'enquête » sans davantage de précisions semble indiquer que leur statut, leurs prérogatives et leurs obligations respectives pourraient être différents.
Enfin, M. Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté, a craint que l'introduction d'une distinction, dans la loi, entre contrôleurs et chargés d'enquête ne conduise à rigidifier excessivement le fonctionnement du CGLPL, alors qu'aujourd'hui, des contrôleurs peuvent se voir confier la réalisation d'enquêtes et qu'inversement des chargés d'enquête peuvent être amenés à effectuer des visites dans le cadre d'un contrôle.
Au total, estimant qu'en tout état de cause les modalités d'organisation interne du CGLPL relèvent du pouvoir réglementaire , votre commission des lois a supprimé, sur proposition conjointe de votre rapporteure et de Mme Esther Benbassa, les dispositions de la proposition de loi introduisant dans la loi l'existence des « chargés d'enquête ».
• Enfin, votre commission a adopté un amendement de sa rapporteure tendant à permettre l'application de la proposition de loi dans les collectivités d'outre-mer soumises au principe de spécialité législative.
Au-delà, votre commission souhaite appeler l'attention sur deux points essentiels :
- d'une part, votre rapporteure a pu mesurer lors de l'audition des représentants des directeurs et des personnels de l'administration pénitentiaire l'extrême sensibilité de ces derniers à certaines prises de position du CGLPL, certains d'entre eux ressentant les critiques formulées sur le fonctionnement d'un établissement comme une mise en cause de leur travail. Ce sentiment d'amertume ne doit pas être négligé, car le bon fonctionnement des établissements recevant des personnes privées de liberté repose avant tout sur les personnels qui y travaillent, et dont une grande majorité s'acquitte de ses fonctions avec conscience professionnelle et probité ;
- d'autre part, il paraît essentiel de mieux faire connaître les fonctions du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, en particulier auprès des auxiliaires de justice. Dans son rapport d'activité pour 2012, le Contrôleur général regrette ainsi la faible part des avocats, des associations et des autorités administratives indépendantes dans les saisines qui lui sont adressées 14 ( * ) , alors que ces différents acteurs pourraient sans doute faire parvenir au Contrôle des éléments d'information fort utiles à l'exercice de sa mission. Une évolution de cet état de fait paraît souhaitable.
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Votre commission des lois a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.
* 13 Article 42 de la loi n°96-452 du 28 mai 1996 portant diverses mesures d'ordre sanitaire, social et statutaire.
* 14 CGLPL, rapport d'activité pour 2012, page 308.