B. LE CHOIX D'UNE AUTORITÉ LOCALE DE LA CONCURRENCE EN NOUVELLE-CALÉDONIE
Le contrôle du respect de ces nouvelles règles, fortement inspirées du droit applicable en métropole, repose sur le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Cependant, les autorités calédoniennes ont choisi de confier, à terme, cette responsabilité à une autorité administrative indépendante. Cette solution a été privilégiée par rapport à une simple autorité consultative chargée d'assister le gouvernement ou à un partenariat ponctuel avec des autorités administratives ou publiques indépendantes nationales. À titre transitoire, ses pouvoirs restent exercés par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie jusqu'à la réunion constitutive du collège de l'autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie.
L'option d'une autorité administrative indépendante dotée de pouvoirs décisionnels imposait, sur le modèle de la faculté ouverte à la Polynésie française dès 2011 13 ( * ) , de modifier les dispositions organiques formant le statut de la Nouvelle-Calédonie.
1. L'autorisation du législateur organique de créer une autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie
Comme le Conseil d'État le rappelait dans un avis du 22 décembre 2009 sollicité par M. Philippe Gomès, alors président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, aucun obstacle constitutionnel n'existe à la création par le congrès de la Nouvelle-Calédonie d'autorités administratives indépendantes dans les domaines relevant de sa compétence. Cependant, l'exercice par cette dernière d'un pouvoir de règlementation, de sanction ou de transaction appelait une modification de la loi organique du 19 mars 1999 pour doter le congrès de la Nouvelle-Calédonie de la faculté de créer un organe exerçant des compétences normalement dévolues au gouvernement local.
Répondant au souhait du comité des signataires, le Parlement ouvrait cette voie, par un vote unanime, avec l'article 1 er de la loi organique n° 2013-1027 du 15 novembre 2013. Au cours de la discussion parlementaire, le Parlement s'est attaché à fixer les conditions de l'indépendance et de l'impartialité des membres appelés à siéger au sein de cette autorité.
À l'initiative de notre collègue Catherine Tasca, rapporteure, le Sénat a inscrit le principe de l'irrévocabilité du mandat de tout membre de cette autorité, en n'autorisant sa révocation « qu'en cas d'empêchement ou de manquement à ses obligations, constaté par une décision unanime des autres membres de l'autorité » (article 27-1 de la loi organique du 19 mars 1999). Pour asseoir leur autorité, notre Haute assemblée a prévu, toujours à l'initiative de sa rapporteure, que le gouvernement local ne peut procéder à leur nomination que si, après une audition publique du candidat proposé, le Congrès de la Nouvelle-Calédonie approuve, par un avis adopté à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés, cette candidature (article 93-1 de la loi organique du 19 mars 1999).
Parallèlement, l'Assemblée nationale, suivant la proposition de son rapporteur M. René Dosière, a soumis les membres de cette autorité à un régime d'incompatibilité stricte : « La fonction de membre d'une autorité administrative indépendante est incompatible avec tout mandat électif, tout autre emploi public et toute détention, directe ou indirecte, d'intérêts dans une entreprise du secteur dont ladite autorité assure la régulation » (article 27-1 de la loi organique du 19 mars 1999).
2. La création d'une autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie par le congrès de la Nouvelle-Calédonie
La loi du pays n° 2014-12 du 24 avril 2014 portant création de l'autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie et modifiant le livre IV de la partie législative du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie a marqué une nouvelle étape. Cette loi du pays, finalement adoptée à l'unanimité, crée une autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie au statut d'autorité administrative indépendante.
Cette autorité « veille au libre jeu de la concurrence en Nouvelle-Calédonie et au fonctionnement concurrentiel des marchés en Nouvelle-Calédonie ». À compter de son installation, elle exercera les prérogatives actuellement détenues par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.
Elle comprendra un président et trois autres membres nommés pour une durée de cinq ans et parmi lesquels sera désigné un vice-président. S'il est prévu que « le président exerce ses fonctions à plein temps », les autres membres seront « non permanents ».
L'autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie délibérera sous la forme de collège comprenant le président et deux autres membres. Cette règle doit permettre au collège de statuer, à la majorité des membres, tout en permettant à un membre, au besoin, de ne pas participer à la délibération.
En effet, chaque membre de l'autorité est tenu à une règle de déport lorsqu' « il a un intérêt ou s'il représente ou a représenté une des parties intéressées ». Il doit également informer le président de l'autorité des intérêts détenus ou acquis et des fonctions exercées dans une activité économique, ainsi que de toute fonction rémunérée au cours des cinq années précédentes (fonctions au sein d'une entreprise exerçant, directement ou indirectement, une activité à but lucratif en Nouvelle-Calédonie et fonction de conseil exercée, directement ou indirectement, au bénéfice d'une telle entreprise).
Les candidats pressentis à ces fonctions devront non seulement se soumettre à la procédure précédemment rappelée mais aussi disposer de compétences reconnues en matière de concurrence. Il est ainsi expressément prévu que : « Le président est nommé en raison de ses compétences dans les domaines juridique et économique, ainsi qu'en raison de son expérience significative en droit et en pratique en matière de concurrence. [...] Outre son président, le collège comprend trois membres non permanents désignés en raison de leur expérience significative en matière juridique ou économique. »
Sur le modèle de l'autorité nationale de la concurrence, l'autorité locale disposera d'un rapporteur général qui dirigera le service d'instruction. Cette distinction permet d'assurer la séparation, exigée par le juge constitutionnel, des autorités de poursuite et des formations de jugement.
Le rapporteur général est soumis aux mêmes obligations que les membres du collège en termes d'incompatibilités et de nomination (désignation par le gouvernement après audition publique et approbation à la majorité qualifiée du congrès de la Nouvelle-Calédonie). La fin de ses fonctions ne pourra, hors le cas de démission, être provoquée par le gouvernement que sur avis conforme, à la même majorité, du congrès de la Nouvelle-Calédonie.
En contrepartie de cette indépendance, les conditions du contrôle de l'autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie par l'autorité politique sont prévues. Si « le président de l'autorité rend compte des activités de celle-ci devant le congrès de la Nouvelle-Calédonie, à sa demande », un rapport public est également adressé, chaque année, avant le 30 juin, au gouvernement et au congrès de la Nouvelle-Calédonie.
3. Des nominations des membres de l'autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie en suspens
Bien que l'ensemble des textes législatifs et règlementaires aient été pris par les autorités locales et nationales pour mettre en place l'autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie, cette instance n'a toujours pas été installée à ce jour . Interrogée le 17 juin 2014 par notre collègue Catherine Tasca, la ministre des outre-mer n'indiquait aucune date pour la désignation des membres de l'autorité. Quelques mois plus tard, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, autorité de nomination, a fait savoir ses difficultés à recruter des membres au regard des incompatibilités prévues par le législateur organique.
Cette situation a été exposée, en séance publique à l'Assemblée nationale le 15 juillet 2015, par le député Philippe Gomès : « Le problème est que, si cette incompatibilité ne soulève pas de difficultés s'agissant du président et du rapporteur de cette autorité administrative indépendante - car ils exercent ces fonctions à temps plein -, il n'en va pas de même pour les autres membres, qui ne peuvent pas vivre uniquement des vacations qui leur sont allouées au titre des délibérations » 14 ( * ) .
Comme notre collègue Catherine Tasca, à l'occasion de l'examen de la loi organique n° 2015-987 du 5 août 2015 relative à la consultation sur l'accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté, notre collègue député Philippe Gomès souhaitait modifier, à la faveur du texte examiné, la loi statutaire. Au regard de l'objet de la réforme débattue, votre commission des lois, par la voix de son président, et le Gouvernement, par la voix de la ministre des outre-mer, étaient convenus de la difficulté soulevée, tout en appelant à examiner une telle disposition au sein d'un texte dédié.
Au Sénat, comme le rappelle l'auteur de la présente proposition de loi organique, le Gouvernement s'était engagé à soutenir une initiative parlementaire en ce sens, ce qui avait conduit notre collègue Catherine Tasca à retirer son amendement. En conséquence, elle a, avec les collègues de son groupe, déposé, dès le 30 juin 2015, la proposition de loi organique que votre commission est appelée à examiner. À l'Assemblée nationale, deux propositions de loi organiques, au dispositif différent de l'initiative sénatoriale, ont également été déposées avec la même finalité.
* 13 L'article 30-1 de la loi organique n° 2004-192 portant statut d'autonomie de la Polynésie française a été introduit par l'article 8 de la loi organique n° 2011-918 du 1 er août 2011 relative au fonctionnement des institutions de la Polynésie française.
* 14 Assemblée nationale (XIVème législature - session extraordinaire 2014-2015), compte-rendu intégral de la deuxième séance du mercredi 15 juillet 2015.