II. LE PREMIER INSTRUMENT INTERNATIONAL JURIDIQUEMENT CONTRAIGNANT ET SPÉCIFIQUE POUR LUTTER EFFICACEMENT CONTRE CE FLÉAU
Avant la convention MÉDICRIME , les organisations internationales spécialisées avaient déjà réalisé des travaux importants dans le domaine de la lutte contre la contrefaçon des produits médicaux sous l'angle de la protection des droits de la propriété industrielle, mais n'avaient pas abordé la question de la mise en danger de la santé.
Répondant par écrit aux questions de votre rapporteur, les services du Ministère des affaires étrangères et du développement international 3 ( * ) ont fait état notamment des travaux de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), d'Interpol, de l'Office des Nations unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC) ainsi que de l'Organisation mondiale des douanes (OMD).
Une résolution (la résolution WHA 65.19), adoptée lors de la soixante-cinquième assemblée mondiale de la santé en 2012, a rétabli un mandat sur l'OMS pour combattre les produits médicaux de qualité inférieure, faux, faussement étiquetés, falsifiés ou contrefaits, s'inscrivant dans son rôle fondamental de protection de la santé publique. Pour ce faire, un nouveau « dispositif des États membres » (non contraignant) a été instauré, qui vise à protéger la santé publique et à promouvoir l'accès à des produits médicaux de qualité, sûrs, efficaces et d'un prix abordable. Il a également pour objet d'instaurer une collaboration entre les États membres et le secrétariat de l'OMS, pour prévenir et contrôler les produits médicaux contrefaits et les activités associées.
Le « dispositif des États membres » a initié un plan de travail en 8 points :
- renforcement des capacités des autorités et laboratoires de contrôle qualité (au niveau national et régional) ;
- coopération et collaboration entre autorités nationales (mais aussi régionales) ;
- communication, éducation et sensibilisation ;
- consultation, coopération et collaboration transparente et coordonnée ;
- recensement des mesures, activités et comportements à risque ;
- renforcement des capacités nationales et régionales garantissant l'intégrité des chaînes d'approvisionnement ;
- collaboration en matière de surveillance et de suivi ;
- collaboration sur l'accès à des produits médicaux de qualité, sûrs, efficaces et d'un prix abordable.
En 2006 , après avoir déclaré que « la contrefaçon de médicaments est un crime grave et ignoble qui met en danger la vie des êtres humains et mine la crédibilité des systèmes de santé », l'OMS a mis en place un groupe de travail international pour combattre la contrefaçon des produits médicaux, dénommé IMPACT 4 ( * ) . Ce groupe de travail, qui réunissait des représentants des organisations internationales et des organisations non gouvernementales (ONG), de l'industrie pharmaceutique et d'agences de régulations ainsi que des représentants d'Interpol a contribué' a` faire connaître la problématique de la contrefaçon pharmaceutique et a` dessiner les contours des infrastructures juridiques nécessaires a` la lutte. La définition de « la contrefaçon » adoptée par le groupe était assez large, et certains ont pu y voir une prédominance des aspects de propriété intellectuelle sur les questions de qualité, de sûreté et d'efficacité des médicaments. Ce groupe de travail a assez rapidement fait l'objet de critiques, notamment en raison de possibles conflits d'intérêts en son sein même. Les ONG et la plupart des pays du Sud ont donc demandé à l'OMS d'observer un certain retrait à l'égard d'IMPACT et de se concentrer sur les conséquences strictement sanitaires des faux médicaments. En 2011, l'OMS n'a pas renouvelé' le mandat du groupe IMPACT.
En janvier 2010 a été créée l'unité Medical Products Counterfeiting and Pharmaceutical Crime (MPCPC) d'Interpol qui a pour mission de :
- coordonner des opérations de terrain visant à déstabiliser les réseaux criminels transnationaux ;
- dispenser des formations visant à renforcer les compétences et les connaissances au sein de tous les organismes participant à la lutte contre la criminalité pharmaceutique ;
- et d'établir des partenariats dans différents secteurs.
Depuis 2010, l'Organisation mondiale des douanes a développé des IPM ( Interfaces Public Members ) qui permettent aux entreprises du secteur pharmaceutique de rassembler au sein d'une banque de données l'ensemble des informations relatives à leurs produits et ce, afin de faciliter le travail d'identification des médicaments contrefaits par les douaniers sur le terrain. Ceux-ci disposent ainsi de « fiches produits » en ligne qui sont sécurisées, traduites et mises à jour en temps réel par les titulaires des droits de propriété intellectuelle. Cet outil permet également d'effectuer la consolidation des saisies réalisées
En 2011 , lors de la 20e session de la Commission pour la Pre'vention du Crime et la Justice Pe'nale des Nations unies, les membres ont adopté' la re'solution 20/6 « Lutte contre les médicaments frauduleux, en particulier leur trafic » qui définit le rôle de l'Office des Nations unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC) dans la lutte contre les me'dicaments frauduleux. L'Office est ainsi invité à collaborer avec d'autres organismes des Nations unies, des organisations internationales telles que l'OMS, l'Organisation mondiale des douanes et INTERPOL et des autorite's nationales, afin de lutter, a` tous les niveaux, contre la criminalité' organisée active dans le secteur des produits pharmaceutiques. Depuis 2013, un programme spécifique de l'ONUDC s'attache à l'élaboration de dispositions législatives types susceptibles de guider les Etats vers un système de justice criminelle efficace et transparent, à même de les soutenir pour combattre toute forme de criminalité organisée.
Le Parlement européen et le Conseil ont adopté, le 8 juin 2011, une nouvelle directive 2011/62/UE modifiant la directive 2001/83/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, en ce qui concerne la prévention de l'introduction dans la chaîne d'approvisionnement légale de médicaments falsifiés dite directive « Médicaments falsifiés ». Cette directive vise « à faciliter la détection de médicaments falsifiés, d'améliorer la qualité des vérifications et des contrôles de la chaîne de production et de distribution, pour, à terme, éviter l'introduction de produits falsifiés au sein de la chaîne légale de médicaments. Elle intègre également de nouvelles exigences auxquelles vont devoir répondre les pharmacies en ligne, et ce, afin de contrer la vente illégale de médicaments via Internet » . 5 ( * ) Elle ne vise que les médicaments à usage humain et donc pas les médicaments vétérinaires et n'oblige pas expressément les Etats membres à prendre des dispositions pénales.
Le Conseil de l'Europe, quant à lui, suit depuis longtemps la question de la contrefaçon des produits médicaux et des autres menaces pour la santé publique, dans la mesure où il s'agit d'atteintes au droit à la vie consacré par l'article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. À cet égard, la Convention du Conseil de l'Europe de 1964 relative à l'élaboration d'une pharmacopée européenne participe à la protection de la santé publique en fournissant des normes de qualité des médicaments et de leurs composants. La Direction européenne de la qualité du médicament et des soins de santés (DEQM) créée en 1994 « coordonne un programme de travail concret visant à protéger la santé publique des dangers de la contrefaçon des médicaments et la criminalité connexe grâce à une bonne gestion des risques, à des mesures de prévention et à l'amélioration de la coopération entre les Etats membres et les autres acteurs concernés en Europe et au-delà. Elle collabore également avec des organisations nationales et internationales aux efforts visant à lutter contre la contrefaçon des produits médicaux et les infractions similaires ». 6 ( * )
Le rapport sur les médicaments contrefaits dit « rapport Harper » publié par le Conseil de l'Europe, en janvier 2006 , a mis en lumière les lacunes des dispositions législatives et règlementaires des États membres Parties à l'accord partiel dans le domaine social et de la santé publique. Par la suite, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a apporté un important soutien aux travaux du Conseil de l'Europe par ses recommandations 1673 (2004) « La contrefaçon : problèmes et solutions » et 1794 (2007) « Qualité des médicaments en Europe ». Son rapport, présenté en 2007, a souligné la nécessité de prévoir un instrument juridique international définissant des infractions spécifiques en matière de contrefaçon de médicaments compte tenu d'un vide juridique au plan international et de la faiblesse des autorités nationales compétentes.
Le Groupe de spécialistes sur les produits pharmaceutiques contrefaits (PC-S-CP) créé par le Comité des ministres du Conseil de l'Europe, sous l'autorité du Comité européen pour les problèmes criminels (CDPC) 7 ( * ) a reçu mandat, en 2007, de préparer un rapport sur les éléments susceptibles d'être intégrés dans un instrument international contraignant pour lutter contre ce type de criminalité. Ce rapport a été remis en avril 2008 .
En juillet 2008, le Comité des ministres a demandé à ce groupe d'experts (PC-S-CP) de rédiger un avant-projet de convention. La France , très favorable à ce projet, y a activement participé . Les négociations ont abouti à l'adoption d'un projet définitif lors du Comité européen pour les problèmes criminels, le 14 octobre 2011, puis à sa signature à Moscou, le 28 octobre 2011 .
* 3 Source : réponses au questionnaire écrit de la commission.
* 4 IMPACT : International Medical Products Anti-counterfeiting Taskforce
* 5 Site de l'Institut de Recherche Anti-Contrefaçon de Médicaments (IRACM).
* 6 Site www.edqm.eu.fr
* 7 Le CDPC créé en 1958 a la responsabilité de superviser et de coordonner les activités du Conseil de l'Europe en matière de prévention et de contrôle du crime.