B. UNE PRÉCIPITATION FAUTIVE, PAR MANQUE D'ATTENTION AUX RÉALITÉS SOCIALES, HUMAINES ET ÉCONOMIQUES DES ÉTUDES NOTARIALES
Votre rapporteur, qui a aussi eu l'honneur d'être celui de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques ne peut que regretter que le Gouvernement et les députés, aveugles aux réalités des études notariales aient aussi été sourds aux avertissements qu'il leur a adressés à l'époque.
En effet, la commission spéciale du Sénat ne s'était pas opposée à la suppression de l'habilitation des clercs assermentés. Elle s'était seulement limitée à proposer de maintenir l'effet de ces habilitations pendant au moins cinq ans afin de donner aux intéressés le temps de réaliser leur reconversion.
Ce délai lui était apparu nécessaire tant en raison de la situation professionnelle d'une partie des clercs concernés que de l'incertitude économique dans laquelle les études notariales allaient être placées du fait de la réforme des règles d'installation et du tarif applicable à la profession.
Votre rapporteur observait ainsi « qu'on ne peut exclure que cette suppression prive certains clercs, qui ne souhaitent pas, ou ne peuvent pas prétendre à devenir notaire, d'une part importante de leur activité.
« En outre, dans les premiers temps, la réforme tarifaire risque de placer les offices dans une situation d'incertitude sur l'évolution de leur rémunération. Une telle situation n'est manifestement pas favorable à l'investissement ni au recrutement de nouveaux salariés ou d'associés.
« On ne peut exclure que ce contexte contrecarre l'effet d'appel d'air que la suppression de l'habilitation tente de susciter en forçant les notaires à recruter des notaires salariés afin de maintenir le même niveau d'activité que précédemment. »
Cette analyse a déterminé le choix de la commission spéciale « d'étaler dans le temps les effets de cette réforme, afin d'éviter qu'elle manque son but, faute d'avoir pris le temps nécessaire pour l'atteindre correctement » et de retenir le délai de cinq ans précité. Ce dernier devait, selon elle, « être suffisant aux titulaires d'offices pour faire des choix d'investissement ou de recrutement conformes aux nouvelles conditions de la rentabilité de leurs structures. Il dev[ait] aussi permettre aux clercs qui n'auraient pas encore le diplôme de notaire de préparer les conditions de leur recrutement en qualité de notaire salarié ou leur installation » 4 ( * ) .
Les faits semblent avoir confirmé l'analyse de la commission spéciale.
Le Gouvernement a certes tenté d'hâter la conversion des clercs habilités en prévoyant de dispenser certains clercs habilités de l'obligation d'être titulaire, d'une part, d'un diplôme national de master en droit ou équivalent et, d'autre part, du diplôme de notaire 5 ( * ) .
Cette dispense, prévue par l'article 17 du décret du 20 mai 2016 relatif aux officiers publics ou ministériels 6 ( * ) concerne les clercs habilités depuis plus de quinze ans ou ceux qui le sont depuis moins longtemps (cinq ans voire quatre ans s'ils sont aussi titulaires du diplôme de premier clerc ou du diplôme de l'institut des métiers du notariat) à la condition, pour ces derniers, de leur réussite à un examen de leurs connaissances techniques.
Or, 14 % des clercs habilités (1 330 pour un effectif total, au 1 er janvier, de 9 558 personnes) ne remplissaient aucune des conditions requises. 28 % (soit 2 662 clercs) ne remplissaient que celle de détention d'un diplôme de premier clerc ou de l'institut des métiers du notariat.
En outre la réussite à l'examen de connaissance technique n'est pas une formalité : la pratique professionnelle de certains les a conduits à une forte spécialisation qui ne leur a pas permis d'acquérir un degré de connaissance suffisant dans d'autres domaines d'activité du notariat.
On constate, à cet égard, que la profession des clercs habilités est diverse et que si, pour une part d'entre eux - souvent les plus jeunes -, il ne s'agit que d'une étape vers la profession de notaire, pour une autre part, - les plus anciens - il s'agit, au contraire, d'une consécration de carrière, après dix ou quinze années en qualité de clercs. La réforme a manifestement été plus conçue en fonction des premiers que des seconds.
Comment ne pas déplorer non plus la date tardive du décret précité, publié à peine deux mois avant la fin des habilitations ?
À ces difficultés de reconversion s'ajoutent des questions économiques. Selon les indications fournies à votre rapporteur par le Conseil supérieur du notariat, un notaire salarié gagne, en début de carrière, 30 % de plus qu'un clerc habilité. Pour l'étude notariale, le recrutement de l'ancien clerc en qualité de notaire salarié représente donc un surcoût non négligeable, qui ne peut être assumé qu'à la condition que le chiffre d'affaires le permette. Or la rentabilité économique de certaines études est mise à mal par la réforme des tarifs : plusieurs années s'écouleront avant que la situation se stabilise.
Surtout, il convient d'observer qu'au 1 er janvier 2015, l'effectif des clercs habilités représentait le double de celui des notaires salariés, ce qui donne une idée du choc de recrutement attendu par le Gouvernement. Il est peu vraisemblable que tous les clercs habilités parviendront à être recrutés. Une large part d'entre eux se verra privée, sans compensation, des prérogatives qu'ils détenaient ou, pire, licenciée.
La proposition de loi tente d'éviter l'échec annoncé de la réforme, en lui donnant enfin le temps qui lui fut refusé initialement.
* 4 Rapport n° 370 (2014-2015) de Mmes Catherine Deroche, Dominique Estrosi Sassone et M. François Pillet, sur le projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques , fait au nom de la commission spéciale, déposé le 25 mars 2015, p. 189 (disponible à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/l14-370-1/l14-370-1.html).
* 5 Cette exigence de diplôme est définie au 5° et au 6° de l'article 3 du décret du 5 juillet 1973 relatif à la formation professionnelle dans le notariat et aux conditions d'accès aux fonctions de notaire .
* 6 Décret n° 2016-661 du 20 mai 2016 relatif aux officiers publics et ministériels .