SYNTHÈSE DES TRAVAUX DE LA COMMISSIONLes Français manifestent, depuis plusieurs années, un intérêt croissant pour la protection du patrimoine . Sa sauvegarde et sa valorisation contribuent à l'attractivité des territoires, ce qui explique qu'elles soient devenues, en quelques années, de véritables enjeux de politique publique. Créée en 1996 pour mobiliser les entreprises et le grand public en faveur du patrimoine, en particulier le patrimoine non protégé au titre des monuments historiques sur lequel l'action de l'État est moins centrée, la Fondation du patrimoine suscite de nombreuses attentes. Pour lui permettre de répondre plus efficacement aux enjeux actuels , la présente proposition de loi prévoit de réformer les critères d'octroi de son label, de moderniser sa gouvernance et son fonctionnement et de lui donner de nouvelles marges de manoeuvre financières. Lors de sa réunion du jeudi 17 octobre, la commission de la culture, de l'éducation et de la communication a examiné ce texte selon la procédure de législation en commission prévue par l'article 47 ter du règlement du Sénat. Elle a estimé qu'il était de nature à améliorer la pertinence du label, tout en donnant un nouveau souffle à la Fondation. Elle a adopté 11 amendements et 2 sous-amendements pour conforter la mission de la Fondation en matière de protection du patrimoine de proximité et aligner son fonctionnement sur le droit commun des fondations reconnues d'utilité publique. Les principales modifications qu'elle a apportées sont les suivantes : - en ce qui concerne le label (art. 1 er ) : • faculté d'octroi de celui-ci aux immeubles non bâtis ; • suppression de toute condition géographique pour la labellisation des immeubles non habitables ; • obligation pour la Fondation de délivrer chaque année une majorité de labels à des immeubles appartenant au patrimoine rural ; - en ce qui concerne la gouvernance (art. 3) : • détermination des trois collèges composant le conseil d'administration (les fondateurs, mécènes et donateurs ; les personnalités qualifiées ; les collectivités territoriales), auxquels s'ajoute un représentant des associations nationales de sauvegarde du patrimoine ; • extension du collège des collectivités territoriales à la représentation des communes rurales ; - en ce qui concerne le contrôle opéré par le Parlement sur la Fondation du patrimoine, transmission chaque année d'un rapport d'activité comprenant également les grandes orientations pour l'année à venir (nouvel art. 6 bis ). |
EXPOSÉ GÉNÉRAL
I. UNE FONDATION CHARGÉE DE LA SAUVEGARDE ET DE LA VALORISATION DU PATRIMOINE FRANÇAIS
A. UNE FONDATION AUX STATUTS DÉROGATOIRES
1. Aux origines de la Fondation du patrimoine
La Fondation du patrimoine a été instituée par la loi n° 96-590 du 2 juillet 1996 afin d'améliorer la protection du patrimoine français, en particulier du patrimoine non protégé au titre des monuments historiques, que l'État soutient peu. Au moment de la création de la fondation, des crédits étaient inscrits chaque année au budget de l'État en faveur du patrimoine rural non protégé (5,5 millions d'euros par an en moyenne). Ils ont été transférés aux départements dans le cadre de l'acte II de la décentralisation en 2004, qui en assurent désormais la gestion.
L'idée de créer une fondation privée chargée de mobiliser le secteur privé pour compléter l'action de l'État en matière de protection du patrimoine trouve son origine dans un rapport du sénateur et maire de Saumur, Jean-Paul Hugot, remis en 1994 au ministre de la culture de l'époque, Jacques Toubon, qui s'est largement inspiré du modèle du National Trust britannique. Cette proposition s'inscrivait dans un contexte où les marges de manoeuvre de l'État et des collectivités territoriales, très sollicités par ailleurs par l'entretien et la mise en valeur du patrimoine protégé, étaient déjà très étroites. Une partie substantielle des ressources de la Fondation du patrimoine provient pourtant aujourd'hui de concours publics (fraction du produit des successions en déshérence, subventions des collectivités territoriales).
Le National Trust britannique Le National Trust for Places of Historic Interest or Natural Beauty , dit National Trust est un organisme associatif (« charity ») britannique indépendant du gouvernement dédié à la préservation du patrimoine naturel et bâti. Son budget annuel est de 475 millions d'euros pour 5 000 salariés. Fondé en 1895, le National Trust est le deuxième propriétaire foncier du Royaume-Uni derrière la Couronne. Il a une mission de conservation large qui concerne à la fois des monuments bâtis de toute nature (manoirs, châteaux, anciennes manufactures, moulins, etc.), à l'instar du Centre des Monuments Nationaux français et des espaces naturels (parcs, jardins, bois), y compris les espaces côtiers qui sont, en France, de la compétence du Conservatoire du littoral. En plus de la gestion de ces espaces, le National Trust assure l'accueil des visiteurs dans ces lieux et l'animation de ces sites (programmation culturelle, services aux visiteurs). Près de 17 millions de visiteurs fréquentent chaque année les sites du National Trust . Enfin, le National Trust se caractérise par le mécanisme d'adhésion (« membership ») qui soutient son fonctionnement. En 1996, au moment de la création de la Fondation du patrimoine, 2,2 millions de personnes cotisaient annuellement au National Trust ; ils étaient 3,8 millions d'adhérents en 2011. Le statut d'adhérent donne accès, en contrepartie, à l'entrée gratuite dans les 300 sites de l'organisme. Source : Rapport public annuel de la Cour des comptes de février 2013 |
L'article L. 143-2 du code du patrimoine confie à la Fondation du patrimoine une mission d'intérêt général de promotion de « la connaissance, la conservation et la mise en valeur du patrimoine national », qui a justifié la reconnaissance de son utilité publique par un décret du 18 avril 1997.
Sa mission prioritaire porte sur la protection et la valorisation du patrimoine de proximité , c'est-à-dire les biens qui, sans justifier une protection au titre des monuments historiques, présentent un intérêt artistique, historique ou ethnologique suffisant pour contribuer à l'attractivité des territoires et rendre souhaitable leur conservation. Le législateur l'a autorisée à délivrer un label destiné à distinguer ce patrimoine.
La loi l'investit aussi d'une mission de sauvetage des monuments patrimoniaux ou des sites naturels menacés de disparitions, et d'une mission de valorisation et de présentation au public du patrimoine national.
À ces fins, la Fondation du patrimoine est chargée de favoriser la mobilisation des initiatives et des volontés publiques et privées , à la fois en jouant un rôle d'intermédiaire entre les acteurs du terrain et les pouvoirs publics, en permettant aux particuliers et aux entreprises d'exprimer leur solidarité en faveur du patrimoine, en contribuant à l'acquisition, à l'entretien, la restauration et à la présentation au public de biens publics et privés, en étant autorisée à acquérir elle-même les biens en péril.
2. Un fonctionnement dérogatoire au droit commun des fondations reconnues d'utilité publique
La Fondation du patrimoine s'est immédiatement vue doter d'un statut largement dérogatoire aux statuts-types des fondations reconnues d'utilité publique pour mener à bien sa mission et garantir son autonomie vis-à-vis des pouvoirs publics, dans l'espoir de susciter davantage l'adhésion de la sphère privée .
Les statuts-types imposent que les entreprises fondatrices n'occupent pas plus du tiers des sièges. La gouvernance des fondations reconnues d'utilité publique est en effet régie par le principe d'indépendance par rapport aux fondateurs, justifié par le fait que ces derniers ont accepté de se dessaisir définitivement de leurs fonds au profit d'une oeuvre d'intérêt général. Au contraire, la loi du 2 juillet 1996 a prévu de confier la majorité des voix au sein du conseil d'administration aux entreprises fondatrices , afin de les impliquer fortement dans le fonctionnement et le financement de la fondation.
Cette loi a également ouvert aux personnes physiques ou morales, publiques ou privées, la possibilité d'adhérer directement à la Fondation du patrimoine moyennant le versement d'une cotisation annuelle, comme c'est généralement le cas pour les associations. Cette faculté devait permettre de fédérer massivement les associations, les collectivités territoriales, les entreprises et les particuliers autour de la sauvegarde du patrimoine et de générer de nouvelles ressources pour la Fondation du patrimoine, à l'exemple du National Trust .
Deux types de personnes morales de droit privé
à but non lucratif :
La fondation et l'association obéissent à un régime juridique différent et, a priori, antinomique. La fondation est un groupement de biens personnifié constitué par l'affectation irrévocable de biens, droits ou ressources à la réalisation d'une oeuvre d'intérêt général. Sa création est subordonnée à autorisation administrative. Elle est gérée par un conseil d'administration, qui échappe au contrôle des fondateurs, et est chargé d'administrer la fondation conformément aux objectifs qui ont présidé à sa création. La fondation a vocation à la perpétuité. C'est la raison pour laquelle le Conseil d'État exige, pour formuler un avis favorable à la déclaration d'utilité publique qui conditionne son accession à la personnalité morale, un apport en capital conséquent, les revenus de la dotation initiale devant suffire à financer durablement ses activités. L'association est au contraire un groupement de personnes . Sa constitution n'est subordonnée à aucune formalité , la liberté d'association figurant parmi les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et protégés par le Conseil constitutionnel. L'association tire l'essentiel de ses ressources des cotisations annuelles versées par ses adhérents. Sa politique est définie par une assemblée générale, émanation de la volonté de ses membres. La dissolution d'une association peut être décidée à tout moment par une décision de l'assemblée générale.
Source : Rapport n° 273 (1995-1996) de
M. Jean-Paul Hugot, fait au nom de la commission
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