AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
La fraude aux prestations sociales constitue une atteinte à l'équilibre de notre pacte républicain. La solidarité nationale, qui s'exerce à l'égard de tout bénéficiaire dont les ressources ou l'état de santé ne lui permettent pas d'assurer lui-même la couverture de ses frais, est un devoir hérité de notre histoire dont notre pays a tout lieu de s'enorgueillir.
C'est pourquoi la prévention et la sanction de tout acte visant sciemment à solliciter de manière abusive des prestations servies au titre de la solidarité nationale doivent figurer en bonne place parmi les objectifs de nos politiques publiques.
La plupart des personnes auditionnées par votre rapporteure ont convenu que, par le préjudice financier, la fraude à la carte Vitale n'était pas la plus significative ; elle est en revanche l'une de celles dont l'occurrence est la plus fréquente et celle qui porte le plus visiblement atteinte au pacte républicain qui fonde la solidarité nationale. C'est donc à un dommage autant financier que symbolique que la présente proposition de loi entend s'atteler.
L'instauration d'une carte Vitale biométrique permettrait la vérification immédiate de l'identité du bénéficiaire au moment de la présentation de la carte, lors du paiement d'un acte médical, ce dispositif assurerait la disparition de toute forme de fraude à la carte Vitale.
La solution retenue est à mettre en regard des sommes fraudées et strictement rattachables à l'usage de la carte Vitale. Par ailleurs, l'introduction d'un élément biométrique au sein d'un titre ouvrant le droit à des prestations sociales suppose la création d'un traitement spécifique de données, dont le caractère particulièrement sensible suppose d'importantes précautions.
À ce titre, la commission des affaires sociales du Sénat, qui s'est toujours prononcée en faveur d'une lutte contre la fraude proportionnée aux enjeux financiers de cette dernière, fondée sur une analyse et une gestion des risques préalables, a souhaité ajuster le dispositif proposé. Elle en conserve le principe, tout en en aménageant les contours afin d'assurer sa réalisation.
EXPOSÉ GÉNÉRAL
I. LA FRAUDE À LA CARTE VITALE AU SEIN DE LA FRAUDE SOCIALE
A. LA CARTE VITALE : UN OUTIL LIMITÉ À LA FACILITATION DU REMBOURSEMENT DES FRAIS DE SANTÉ DES ASSURÉS SOCIAUX
L'article L. 161-31 du code de la sécurité sociale (CSS) dispose que « les organismes d'assurance maladie délivrent une carte électronique individuelle inter-régimes à tout bénéficiaire de l'assurance maladie qui comporte une photographie de celui-ci. Cette carte est valable partout en France et tout au long de la vie de son titulaire, sous réserve que la personne bénéficie de prestations au titre d'un régime d'assurance maladie ».
Les prestations sociales auxquelles la détention ou l'usage d'une carte Vitale ouvre droit ne couvrent donc que le champ des prestations d'assurance maladie versées aux assurés sociaux . Ces prestations sont de natures diverses. Elles désignent pour l'essentiel :
- au titre des articles L. 160-1 et suivants du CSS, la prise en charge des frais de santé (en établissement ou au titre des soins de ville) de toute personne travaillant ou, lorsqu'elle n'exerce pas d'activité professionnelle, résidant en France de manière stable et régulière. Par exception, les personnes résidant à l'étranger et n'exerçant pas d'activité professionnelle peuvent bénéficier de la couverture de leurs frais de santé à la condition d'être titulaire d'une pension ou d'une allocation servie par un régime de base de la sécurité sociale ;
- au titre de l'article L. 321-1 du CSS, le versement d' indemnités journalières en cas d'une incapacité physique constatée par le médecin traitant de continuer ou de reprendre le travail. Le versement de ces prestations ne passe néanmoins pas par la carte Vitale.
Ainsi, toute action ambitionnant de lutter contre la fraude aux prestations sociales, avec la sécurisation de l'attribution de la carte Vitale pour seul vecteur , ne viserait potentiellement qu'un seul type de fraude, strictement imputable aux bénéficiaires : la fraude aux prestations d'assurance maladie en obtention des droits , autrement dit par l'utilisation d'un titre (comme la carte Vitale) permettant la délivrance ou le remboursement de prestations d'assurance maladie sans en être bénéficiaire.
À cet égard, il faut rappeler que la fraude aux prestations d'assurance maladie, qui ne constitue qu'une partie de la fraude aux prestations sociales, n'est elle-même que très partiellement approchée par la fraude en obtention des droits . À ses côtés, figurent notamment la fraude aux prestations pratiquées par les établissements de santé (fraude à la T2A), la fraude aux prestations en nature pratiquées en ville (actes fictifs) ou encore la fraude aux prestations en espèces (versement indu d'indemnités journalières).
D'après les données récemment publiées par la caisse nationale d'assurance maladie (Cnam), la lutte contre la fraude aux prestations d'assurance maladie en 2018 a permis de détecter et de recouvrer 261,2 millions d'euros de préjudices. La Cnam prend soin de distinguer le type de fraude du responsable de la fraude : si les assurés représentent plus de la moitié des cas de fraudes en volume , le préjudice financier constaté qui leur est imputable ne concerne que 22,12 % des sommes en jeu , qui concernent pour 30 % les établissements de santé et pour 47 % les professionnels de santé.
Par ailleurs, la fraude en obtention des droits, comme le montre le graphique suivant, ne représente qu'un montant de 11 millions d'euros , faiblement variable depuis trois ans, soit moins de 5 % du montant total des fraudes détectées aux prestations d'assurance maladie. Lors de son audition par votre rapporteure, le directeur général de la Cnam a indiqué que la part de la fraude en obtention des droits strictement liée à l'usurpation de la carte Vitale avait donné lieu au recouvrement d' un million d'euros en 2018 , soit 0,5 % de la fraude à l'assurance maladie.
Source : Cnam
Mais ces montants, qui ne désignent que les sommes effectivement détectées au titre des fraudes, n'ont par conséquent qu'une valeur indicative. Pour le cas spécifique des fraudes en obtention de droits à prestations d'assurance maladie, il est toutefois admis que :
- l'usurpation de droits en matière d'assurance maladie, notamment pour la couverture des frais de santé, ne peut être que d' occurrence relativement marginale compte tenu de la législation en vigueur , très largement favorable au remboursement des soins. La protection universelle maladie (Puma) couvre toute personne qui travaille ou réside en France de manière stable et régulière, l'aide médicale d'État (AME) assurant la couverture des soins des personnes en situation irrégulière. La Cnam a ainsi précisé à votre rapporteure que l'usurpation des droits ne pouvait, en l'état actuel, bénéficier qu'aux personnes en situation irrégulière, au cours du délai de trois mois préalable à leur admission à l'AME et qui n'auraient aucun accès à un service d'hospitalisation d'urgence, ou bien à des personnes en séjour temporaire utilisant les droits d'assurés pour des prestations pharmaceutiques ;
- par ailleurs, les deux tiers de la dépense d'assurance maladie concernant le traitement de pathologies lourdes, dont on peut difficilement soupçonner qu'elles soient frauduleuses, le phénomène de fraude à l'obtention des droits se trouve de facto limité par le seul volume des prestations qu'elle pourrait concerner.
Il est enfin important de préciser que, bien que sa délivrance à tout assuré social soit rendue obligatoire par la loi, la production d'une carte Vitale par le bénéficiaire n'est pas indispensable à l'ouverture de ses droits aux prestations de l'assurance maladie , l'article L. 161-33 du CSS disposant que cette dernière « est subordonnée à la production de documents dont le contenu, le support ainsi que les conditions et délais de transmission à la caisse du bénéficiaire sont fixés par décret en Conseil d'État ». Ces documents prennent couramment la forme d'une attestation d'affiliation à un régime obligatoire de base (en format papier), qui suffit à déclencher la couverture des soins.