Rapport n° 668 (2020-2021) de Mmes Pascale GRUNY et Laurence HARRIBEY , fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 3 juin 2021
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AVANT-PROPOS
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I. EN RÉPONSE À LA PANDÉMIE,
DES ACCORDS TEMPORAIRES PRÉSERVANT LE RÉGIME SOCIAL ET FISCAL DES
TRAVAILLEURS FRONTALIERS EN TÉLÉTRAVAIL
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A. LE DROIT EXISTANT POUR LES TRAVAILLEURS
FRONTALIERS EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ SOCIALE ET D'IMPOSITION
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B. DES ACCORDS TEMPORAIRES DÉCIDÉS
POUR PRÉSERVER LE RÉGIME SOCIAL ET FISCAL DES FRONTALIERS
PROLONGÉS JUSQU'AU 30 SEPTEMBRE 2021
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A. LE DROIT EXISTANT POUR LES TRAVAILLEURS
FRONTALIERS EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ SOCIALE ET D'IMPOSITION
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II. PÉRENNISER DE TELS ACCORDS : UN
ENJEU DE DROIT EUROPÉEN POUR LE VOLET « SÉCURITÉ
SOCIALE » ET DE CONVENTIONS BILATÉRALES POUR LE VOLET
FISCAL
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I. EN RÉPONSE À LA PANDÉMIE,
DES ACCORDS TEMPORAIRES PRÉSERVANT LE RÉGIME SOCIAL ET FISCAL DES
TRAVAILLEURS FRONTALIERS EN TÉLÉTRAVAIL
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EXAMEN EN COMMISSION
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PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
MODIFIÉE VISANT À RENDRE PÉRENNE L'AUGMENTATION DU TEMPS
DE TÉLÉTRAVAIL AUTORISÉ POUR LES TRAVAILLEURS
FRONTALIERS
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LA RÉSOLUTION EN CONSTRUCTION
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LISTE DES PERSONNES ENTENDUES ET
CONTRIBUTIONS ÉCRITES
N° 668
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021
Enregistré à la Présidence du Sénat le 3 juin 2021
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la proposition de résolution européenne en application de l'article 73 quinquies du Règlement, visant à rendre pérenne l' augmentation du temps de télétravail autorisé pour les travailleurs frontaliers ,
Par Mmes Pascale GRUNY et Laurence HARRIBEY,
Sénateurs
et TEXTE DE LA COMMISSION
(Envoyé à la commission des affaires sociales.)
(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Rapin , président ; MM. Alain Cadec, Cyril Pellevat, André Reichardt, Didier Marie, Mme Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, André Gattolin, Henri Cabanel, Pierre Laurent, Mme Colette Mélot, M. Jacques Fernique , vice-présidents ; M. François Calvet, Mme Marta de Cidrac, M. Jean-Yves Leconte, Mme Catherine Fournier , secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jean-Michel Arnaud, Jérémy Bacchi, Mme Florence Blatrix Contat, MM. Philippe Bonnecarrère, Pierre Cuypers, Gilbert-Luc Devinaz, Laurent Duplomb, Christophe-André Frassa, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Daniel Gremillet, Mmes Pascale Gruny, Véronique Guillotin, Laurence Harribey, MM. Ludovic Haye, Patrice Joly, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Pierre Louault, Victorin Lurel, Franck Menonville, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Louis-Jean de Nicolaÿ, Mme Elsa Schalck, M. Richard Yung .
Voir le numéro :
Sénat : |
565 (2020-2021) |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Conformément à l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat, la commission des affaires européennes est saisie d'une proposition de résolution européenne (n° 565 ; 2020-2021), présentée par M. Cyril Pellevat, visant à rendre pérenne l'augmentation du temps de télétravail autorisé pour les travailleurs frontaliers.
Cette proposition de résolution, objet du présent rapport, appelle à une modification de la législation de l'Union européenne et des conventions fiscales bilatérales , afin que les travailleurs frontaliers puissent exercer jusqu'à deux jours de télétravail par semaine, sans changement d'État d'affiliation au régime de sécurité sociale et d'imposition
Si la problématique concernant le volet « sécurité sociale » relève du droit de l'Union européenne, la question fiscale ressort de conventions bilatérales , qui n'entrent normalement pas dans le champ de compétence de la commission des affaires européennes. Toutefois, les rapporteures formuleront quelques observations sur le volet fiscal puisque la proposition de résolution traite des deux volets et que le sujet fiscal demeure étroitement lié à celui de l'affiliation au régime de sécurité sociale pour les travailleurs frontaliers.
État des lieux du travail frontalier
Les données relatives à la pluriactivité figurant dans la base SIRDAR (Système Informatisé de Recherche des Détachements Autorisés et Réguliers) tenue par le Centre des Liaisons Européennes et Internationales de Sécurité Sociale (CLEISS) ne permettent pas d'identifier et d'isoler parmi les données sur la mobilité, celles concernant les seuls travailleurs frontaliers, au sens des règlements européens.
Toutefois, selon l'étude de l'INSEE du 4 juin 2019, plus de 360 000 habitants des zones frontalières françaises travaillaient dans un pays limitrophe en 2015 .
Le dynamisme économique des pays voisins tels que le Luxembourg, la Suisse et Monaco , ainsi que les salaires offerts, incitent les actifs résidant en France près des frontières à aller y travailler. Dans ces pays, la part de frontaliers venant de France dans l'emploi est élevée à proximité des frontières (28 % dans le canton de Genève par exemple).
Malgré une croissance de l'emploi en Allemagne et en Belgique, les flux de travailleurs frontaliers vers ces pays, davantage tournés vers les secteurs industriels, sont moins nombreux.
Certaines zones frontalières françaises attirent des résidents, grâce au possible travail frontalier. Mais elles bénéficient rarement de retombées positives sur l'emploi, hormis celles situées autour du lac Léman.
Source : direction de la Sécurité sociale
I. EN RÉPONSE À LA PANDÉMIE, DES ACCORDS TEMPORAIRES PRÉSERVANT LE RÉGIME SOCIAL ET FISCAL DES TRAVAILLEURS FRONTALIERS EN TÉLÉTRAVAIL
A. LE DROIT EXISTANT POUR LES TRAVAILLEURS FRONTALIERS EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ SOCIALE ET D'IMPOSITION
1. Une affiliation au régime de sécurité sociale de l'État de résidence au-delà de 25 % du temps de travail exercé dans cet État
Les règlements européens de coordination des systèmes de sécurité sociale - à savoir un règlement de base datant de 2004 et son règlement d'application de 2009 1 ( * ) - déterminent la législation applicable au travailleur mobile, dans l'Union européenne, en matière de sécurité sociale .
Des négociations sur une proposition de règlement modifiant ces deux règlements sont en cours depuis plusieurs années . Le 16 e trilogue qui s'est tenu, sous présidence portugaise, n'a malheureusement pas permis d'aboutir à un accord. Les points d'achoppement principaux demeurent la notification préalable avant l'envoi d'un travailleur aux autorités compétentes de l'État membre d'accueil, ainsi que le régime d'indemnisation chômage des travailleurs transfrontaliers.
Les travailleurs frontaliers - définis, en matière de protection sociale, comme des personnes exerçant une activité dans un État et résidant dans un autre État où elles retournent en principe chaque jour ou au moins une fois par semaine 2 ( * ) - sont ainsi soumies aux règles de droit commun en matière d'affiliation , prévus par les règlements précités. Ces derniers s'appliquent aux États membres de l'Union européenne, et de l'Espace Économique Européen (EEE) et à la Suisse.
Le principe défini par les règlements est celui de la lex loci labori , c'est-à-dire de l'affiliation du travailleur au régime de sécurité sociale de l'État dans lequel il exerce son activité 3 ( * ) . Par dérogation à ce principe général, les règlements de coordination déterminent la législation applicable en cas d'exercice d'activités dans deux ou plusieurs États membres 4 ( * ) .
En cas de pluri-activité, la détermination de la législation applicable se fonde ainsi sur la notion d'activité substantielle , dont le seuil a été fixé à 25 % du temps de travail ou de la rémunération annuels. Il résulte de l'application combinée des articles 13 du règlement n° 883/2004 et 14 du règlement n° 987/2009 que le travailleur exerçant une part substantielle de son activité dans son État de résidence, c'est-à-dire au-delà de 25 % de son temps de travail ou de sa rémunération, sera affilié au régime de sécurité sociale de son État de résidence.
Les règlements ne prévoyant pas de dispositions spécifiques à la situation de télétravail, si un travailleur résidant en France et travaillant au Luxembourg, télétravaille depuis son domicile, il demeurera affilié au régime de sécurité sociale luxembourgeois tant que son télétravail depuis son domicile n'excède pas 25 % de son temps de travail ou de sa rémunération . Si le taux de 25% est dépassé, il sera alors affilié au régime français pour l'ensemble de son activité.
Cas de Monaco et d'Andorre :
application de
conventions bilatérales de sécurité sociale
Les relations avec Monaco et Andorre sont régies par des conventions bilatérales de sécurité sociale.
Monaco
La convention bilatérale avec Monaco contient une disposition spécifique au télétravail (article 3 § 2 h) : les salariés résidant en France ou à Monaco , qui exercent une activité en télétravail depuis le territoire d'un de ces deux États, restent soumis à la législation de l'autre État où leur employeur a son siège, à condition d'effectuer au moins un tiers de leur temps de travail hebdomadaire dans les locaux de l'employeur.
Au 31 décembre 2020, les autorités monégasques ont validé 142 dispositifs, permettant ainsi à autant d'entreprises de mettre en oeuvre le télétravail pour leurs salariés, hors cas de télétravail dû à la covid-19. Pour autant, seules 77 sociétés l'ont effectivement mis en oeuvre.
Ainsi, on dénombre un total de 1 290 télétravailleurs , dont :
- 3,64 % sont domiciliés en Principauté ;
- 12,71 % sont domiciliés dans les communes limitrophes (La Turbie, Cap d'Ail, Roquebrune Cap Martin et Beausoleil) ;
- 83,64 % sont domiciliés en France, hors communes limitrophes.
S'agissant du lieu d'exécution de leur activité, 100 % de ces télétravailleurs effectuent leur travail depuis leur domicile. Le télétravail a concerné principalement (96,2 %) des transformations de poste
Andorre
La convention bilatérale avec Andorre ne contient pas de disposition spécifique au télétravail. Selon la convention (article 4 §1), les travailleurs exerçant une activité en France et à Andorre, sont soumis aux deux régimes de sécurité sociale.
Source : direction de la Sécurité sociale
2. Des régimes spécifiques prévoyant l'imposition dans l'État de résidence, sauf pour le Luxembourg, Andorre et certains cantons suisses
Les standards internationaux, traduits dans le modèle de convention fiscale de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), prévoient que les revenus tirés d'une activité salariée sont imposés au lieu d'exercice de celle-ci . Cette règle figure dans la très grande majorité des conventions fiscales conclues par la France.
Toutefois, pour tenir compte des problématiques frontalières , notamment au regard de la mobilité des travailleurs frontaliers, plusieurs conventions fiscales prévoient des mesures dérogatoires pour les travailleurs frontaliers.
a) Des régimes spécifiques d'imposition pour l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, l'Italie et la Suisse
Les conventions fiscales conclues par la France avec ces pays prévoient des régimes spécifiques d'imposition pour les travailleurs résidant et travaillant dans la zone frontalière .
Afin de simplifier leurs démarches administratives, ces régimes permettent l'imposition exclusive de leurs salaires dans l'État de résidence , soit la France pour les frontaliers qui y résident, à condition de ne pas dépasser un certain nombre de jours travaillés hors de la zone frontalière de l'autre État.
Les régimes frontaliers allemands, belges et suisses prévoient cependant une compensation financière versée par l'État de résidence à l'État d'exercice de l'activité qui a renoncé à son droit à taxation. Ainsi, en échange de leur renonciation à imposer les salaires des travailleurs frontaliers travaillant chez eux et qui résident en France, ces trois États se voient compensés par la France à hauteur de la perte fiscale qui en découle pour eux .
Toutefois, s'agissant de la Suisse qui est une confédération dans laquelle chaque canton décide de sa fiscalité, certains d'entre eux, comme celui de Genève, appliquent la règle de l'imposition dans l'État d'emploi, à savoir la Suisse.
Par ailleurs, des mesures de tolérance ont été introduites avec le Luxembourg, la Belgique et l'Allemagne afin d'assouplir la condition liée à l'exercice de l'activité dans la zone frontalière de ces États.
Ainsi, le protocole additionnel à l'actuelle convention fiscale franco-belge du 10 mars 1964 , relatif aux travailleurs frontaliers, garantit, pour ceux résidant dans la zone frontalière française, le bénéfice du régime frontalier à condition de ne pas exercer leur activité professionnelle hors de la zone frontalière belge plus de 30 jours par année civile.
Par ailleurs, l'accord franco-allemand du 16 février 2006 sur le régime des travailleurs frontaliers autorise quant à lui la pratique du télétravail en assimilant les activités exercées dans la zone frontalière de l'État de résidence du salarié à celles exercées dans la zone frontalière de l'autre pays.
S'agissant des travailleurs frontaliers ne bénéficiant pas des régimes spécifiques d'imposition tels que décrits précédemment , ils sont donc imposés dans leur État d'activité et les jours télétravaillés à domicile sont normalement taxables dans leur État de résidence.
b) Les cas du Luxembourg, d'Andorre, de certains cantons suisses et de Monaco
Les conventions conclues par la France avec le Luxembourg et Andorre ne prévoient pas de régime spécifique pour les travailleurs frontaliers. C'est la règle générale d'imposition des salaires au lieu d'activité qui prévaut, soit au Luxembourg ou à Andorre pour les travailleurs frontaliers résidents de France.
Toutefois, depuis l'entrée en vigueur de la nouvelle convention fiscale franco-luxembourgeoise, les frontaliers français peuvent télétravailler depuis la France au profit de leur employeur luxembourgeois, jusqu'à 29 jours, sans que la rémunération afférente ne soit imposée en France.
Concernant la Suisse, comme indiqué précédemment, certains cantons suisses, comme celui de Genève, appliquent également la règle de l'imposition dans l'État d'emploi.
S'agissant de Monaco , en application de l'article 7-1 de la convention fiscale signée le 18 mai 1963, les personnes physiques de nationalité française sont assujetties en France à l'impôt sur le revenu , sauf si ces personnes font partie ou relèvent de la maison souveraine ou si elles ont le statut de fonctionnaires, agents et employés des services publics de la Principauté ayant établi leur résidence habituelle à Monaco antérieurement au 13 octobre 1962.
B. DES ACCORDS TEMPORAIRES DÉCIDÉS POUR PRÉSERVER LE RÉGIME SOCIAL ET FISCAL DES FRONTALIERS PROLONGÉS JUSQU'AU 30 SEPTEMBRE 2021
En raison de l'épidémie de covid-19, un certain nombre de salariés ont exercé ou exercent encore leur activité professionnelle à distance depuis la France pour le compte d'un employeur établi dans un État frontalier. Ce recours accru au télétravail aurait pu modifier le régime fiscal et social applicable aux travailleurs frontaliers, au regard des règles précédemment exposées.
Toutefois, la France s'est accordée avec les pays frontaliers afin de permettre le maintien des régimes existants , en raison des circonstances exceptionnelles liées à la pandémie.
1. Des mesures de flexibilité adaptées à la période ont été prises assez rapidement s'agissant du volet « sécurité sociale »
Les mesures prises par les pays membres, en matière de confinement, ont entraîné un recours massif au télétravail pour les travailleurs frontaliers, au-delà du seuil de 25 % de l'activité, inscrit dans les règlements européens précités.
Dans le cas d'un travailleur frontalier résidant en France et employé en Suisse, cette situation aurait pu conduire à un changement de son affiliation à la sécurité sociale , la compétence devant passer en théorie de l'État d'emploi - la Suisse - à celui de résidence - la France.
Dans ce contexte assimilé à un cas de force majeure, la France et les autorités nationales des autres États membres de l'UE, de l'EEE, ainsi que la Suisse et Monaco, se sont entendus pour neutraliser les effets de ces mesures prises sur l'affiliation du travailleur habituellement mobile.
Ces mesures de flexibilité ont fait l'objet d'échanges entre ces États au sein de la commission administrative de la coordination des systèmes de sécurité sociale (CACSSS ). La CACSSS réunit les experts de la sécurité sociale de ces États - pour la France, il s'agit de la direction de la Sécurité sociale. À l'initiative de l'Allemagne et de la France, la CACSSS a ainsi adopté, en mai 2020, une note d'orientation sur la pandémie de covid-19 reprenant cette approche souple sur les questions de législation applicable.
Cette flexibilité n'est cependant pas limitée aux travailleurs frontaliers , résidant dans une zone frontalière et exerçant leur activité dans un pays limitrophe, mais concerne l'ensemble des travailleurs mobiles.
Comme cela a été précisé aux rapporteures lors des auditions, cette entente entre États n'a pas fait l'objet d'accord formel dans un souci d'efficacité et de souplesse ; à l'inverse sur le volet fiscal, les conventions ont dû être adaptées par le biais d'accords amiables. Des communiqués de presse à destination des travailleurs et employeurs concernés ont été diffusés sur le site des autorités compétentes en matière de sécurité sociale, notamment ceux du ministère et du Centre des Liaisons Européennes et Internationales de Sécurité Sociale (CLEISS) côté français.
Afin de ne pas alourdir la charge administrative des employeurs et travailleurs concernés, aucun formalisme particulier n'a été introduit pour régulariser ces situations . Les services concernés ne disposent donc pas d'éléments chiffrés concernant l'utilisation de cette flexibilité.
Les rapporteures saluent la réactivité des services et le choix fait de ne pas complexifier les procédures administratives, en cette période déjà difficile pour les salariés et employeurs.
Au regard de l'évolution de la situation sanitaire, et afin de permettre aux employeurs et aux travailleurs de mieux gérer les incertitudes générées, une première échéance de cette flexibilité avait été fixée au 31 août 2020, prolongée jusqu'au 31 décembre dernier, puis à nouveau étendue jusqu'au 30 juin 2021 . Selon les informations communiquées aux rapporteures lors des auditions réalisées, cette échéance devrait être prolongée jusqu'au 30 septembre 2021 ( cf. encadré ci-dessous).
La prolongation des mesures de
flexibilité :
des négociations en cours
Des échanges sont actuellement en cours sur la nécessité de prolonger à nouveau cette flexibilité : certains des États frontaliers, le Luxembourg, l'Allemagne et la Suisse, souhaitent l'étendre jusqu'au 31 décembre 2021 . La prolongation de la période de flexibilité sera examinée lors de la prochaine session de la CACSSS les 16 et 17 juin prochain.
Côté français , selon les informations transmises aux rapporteures, cette flexibilité est justifiée par l'état d'urgence sanitaire, et n'a pas vocation à être pérennisée au-delà de cette situation exceptionnelle de force majeure .
S'agissant du cas d'Andorre, la direction de Sécurité sociale a contacté ses homologues andorrans dès le 12 mars 2020 pour demander que le télétravail des travailleurs frontaliers, dans ces circonstances exceptionnelles de force majeure, ne donne pas lieu à une modification de l'affiliation du travailleur concerné à son régime habituel de sécurité sociale. La convention bilatérale de sécurité sociale permet en effet aux autorités compétentes des deux États de prendre des décisions communes pour déroger au principe de territorialité. La direction de Sécurité sociale n'a toutefois pas encore eu, à ce jour, de retour des autorités compétentes andorranes.
Concernant la mise en oeuvre et les prolongations des mesures de flexibilité, il a été indiqué aux rapporteures que la direction de la Sécurité sociale veille à se coordonner avec la direction de la législation fiscale sur le volet fiscal dans un souci de cohérence pour les travailleurs concernés.
Source : direction de la Sécurité sociale
2. Des accords amiables conclus, en matière fiscale, avec les États frontaliers
a) Les accords conclus avec l'Allemagne, la Belgique, l'Italie et la Suisse
En mars dernier, des accords amiables ont été conclus avec l'Allemagne, la Belgique, l'Italie, la Suisse afin que les personnes bénéficiant des régimes spécifiques d'imposition, prévus pour les travailleurs résidant et travaillant dans les zones frontalières (« régimes frontaliers »), puissent continuer à en bénéficier même si elles sont conduites à demeurer chez elles pendant la crise sanitaire liée à la covid-19.
Ces accords dérogatoires ont été conclus , comme pour le volet social, pour des durées limitées de quelques mois, renouvelées en fonction de l'évolution de la pandémie dans l'attente de la fin des mesures sanitaires. Les accords actuels s'appliquent ainsi jusqu'au 30 juin 2021.
Des accords ont également été conclus avec ces mêmes États concernant les travailleurs transfrontaliers non éligibles au bénéfice de ces régimes frontaliers d'imposition . Les accords prévoient que les jours travaillés à domicile du fait des recommandations et consignes sanitaires liées à l'épidémie de covid-19, pourront, sur option, être considérés comme des jours travaillés dans l'État où ils exercent habituellement leur activité et donc y demeurer imposables. En raison du contexte sanitaire actuel, la France et ces États sont également convenus que les accords continueront de s'appliquer jusqu'au 30 juin 2021.
b) L'accord conclu avec le Luxembourg
Concernant le Luxembourg, l'accord amiable en date du 16 juillet 2020 est venu préciser que l'épidémie de covid-19 constitue un cas de force majeure en dehors de la volonté de l'employeur et du travailleur. Ainsi, selon le dernier accord en date du 27 août 2020, la période comprise entre le 14 mars 2020 et le 30 juin 2021 inclus n'est pas prise en compte pour le calcul du décompte des 29 jours, au-delà desquels l'État d'imposition devrait normalement changer, selon les termes de la convention.
II. PÉRENNISER DE TELS ACCORDS : UN ENJEU DE DROIT EUROPÉEN POUR LE VOLET « SÉCURITÉ SOCIALE » ET DE CONVENTIONS BILATÉRALES POUR LE VOLET FISCAL
A. RELEVER LE SEUIL DE 25 % À 40 % POUR LES TRAVAILLEURS FRONTALIERS, SUR LE VOLET SOCIAL
Les rapporteures considèrent, comme l'auteur de la proposition de résolution ici examinée, qu'il est nécessaire d'encourager, tout en l'encadrant, l'évolution de l'organisation du travail permise dans le contexte de la pandémie.
Selon les informations communiquées aux rapporteures, la France avait proposé à l'Allemagne , sous la présidence allemande au second semestre 2020 dans le cadre des négociations du nouveau règlement de sécurité sociale, d'initier un débat entre la Commission et les États membres sur ce sujet et de lancer une étude d'impact.
Il avait été alors proposé d'introduire dans le règlement de coordination de sécurité sociale une disposition spécifique au télétravail, distincte de celles existantes en matière de pluriactivité, afin de ne pas bouleverser des règles de détermination de la législation de sécurité sociale pour les autres situations de pluriactivité. Cette proposition n'a toutefois pas abouti dans un contexte de négociations difficiles voire tendues , en particulier sur les dispositions visant à encadrer le détachement et celles portant sur l'assurance chômage.
Les rapporteures se montrent ainsi plutôt favorables au principe, proposé dans la proposition de résolution, d'un seuil fixé à 40 %, qui s'apprécierait de manière hebdomadaire (soit deux jours par semaine), en cohérence avec la définition du travailleur frontalier. Au-delà de ce seuil, le principe de la lex loci labori , c'est-à-dire l'affiliation au régime de sécurité sociale de l'État de résidence, s'appliquerait.
Il leur semble toutefois raisonnable, d'une part, de ne pas aller au-delà de ces deux jours de télétravail par semaine et, d'autre part, de limiter ce dispositif aux frontaliers, pour éviter des effets d'aubaine ou d'optimisation . Ce dispositif spécifique serait ainsi à dissocier des règles générales déjà complexes liées à la pluriactivité, qu'il convient de ne pas remettre en question.
Réserver ce dispositif aux travailleurs frontaliers ne constituerait pas une mesure discriminatoire , selon les informations communiquées aux rapporteures. En effet, des mesures spécifiques pour les frontaliers sont déjà prévues par les règlements européens ou le droit national , sans que ces mesures ne soient qualifiées de discriminatoires : droit d'option pour la Suisse, spécificité en termes d'assurance-chômage, contribution sociale généralisée (CSG) ne s'appliquant pas aux travailleurs domiciliés en France et exerçant leur activité dans un autre État membre... Sur ce dernier point, la Cour de justice des communautés européennes, dans un arrêt du 15 février 2000, avait pu juger que la différence de traitement qui en résulte n'était pas discriminatoire.
Bien que le travail frontalier puisse constituer une charge pour l'État français, les rapporteures estiment que la France pourrait retirer, d'un recours accru des frontaliers au télétravail, des avantages économiques certains .
Il convient ainsi de noter que l'indemnisation du chômage des frontaliers (cotisation dans un pays de l'UE, indemnisation en France sur la base du salaire perçu à l'étranger), coûte environ 600 millions d'euros par an à l'Unedic , en grande partie du fait des frontaliers travaillant en Suisse. Toutefois, encourager le télétravail des travailleurs frontaliers permettrait notamment, à la France, d'éviter des investissements coûteux en termes d'infrastructures, et de bénéficier du fort pouvoir d'achat des frontaliers qui consommeraient davantage sur le territoire. Cela permettrait également de retenir des frontaliers qui souhaiteraient déménager dans leur État d'emploi . Par ailleurs, les rapporteures estiment qu'une telle réglementation pourrait inciter à une contractualisation des travailleurs indépendants, et constituer une forme de garantie contre le phénomène d'ubérisation.
Outre cette pérennisation du seuil de télétravail autorisé à 40 %, les rapporteures ont envisagé prévoir, en cas d'urgence et de situation de crise, des possibilités de dérogation aux règlements en vigueur pour tous les travailleurs mobiles . Il semble, toutefois, que de telles dispositions ne soient pas nécessaires : celles relatives au cas de force majeure prévues par lesdits règlements constituent des bases juridiques suffisantes et souples pour gérer les situations de crise, comme l'a confirmé l'audition de la direction de la Sécurité sociale.
Les sénatrices sont donc favorables au dispositif proposé par la proposition de résolution sur le volet social et encouragent le Gouvernement à porter ce sujet dans les discussions au sein du Conseil .
Toutefois, elles s'interrogent sur le fait de savoir si ce sujet devrait être discuté dès à présent dans les négociations en cours - déjà difficiles - des règlements de coordination de sécurité sociale, au risque d'introduire de la complexité supplémentaire dans le jeu des alliances, ou s'il devrait être réintroduit plus tard, à l'occasion d'autres initiatives de la Commission européenne . Ce point pourrait, en effet, être discuté dans le cadre des travaux préparatoires qui sont en cours au sujet d'une initiative prochaine de la Commission sur la facilitation du recours au télétravail et le droit à la déconnexion.
B. ENVISAGER DE RENÉGOCIER LES CONVENTIONS FISCALES, POUR PERMETTRE UN TEMPS ACCRU DE TÉLÉTRAVAIL
Comme indiqué précédemment, si la problématique concernant le volet « sécurité sociale » relève du droit de l'Union européenne, la question fiscale ressort de conventions bilatérales, qui n'entrent normalement pas dans le champ de compétence de la commission des affaires européennes .
Toutefois, l es rapporteures ont proposé à la commission de ne pas modifier les dispositions, en la matière, prévues dans la proposition de Cyril Pellevat . D'une part, elles estiment, en effet, cohérent de lier les volets social et fiscal, et considèrent, d'autre part, que la France aurait des intérêts à voir se développer le télétravail, et notamment celui des frontaliers sur son territoire.
Les sénatrices sont conscientes de la complexité et la sensibilité du sujet , au vu des enjeux associés. Elles souhaitent cependant attirer l'attention du Gouvernement et de la commission des finances du Sénat - compétents pour négocier et se prononcer sur les conventions fiscales - sur les bénéfices possibles pour notre pays d'un recours accru au télétravail de la part des frontaliers . Elles comprennent qu'un tel dispositif nécessiterait des négociations bi- ou multilatérales pouvant être difficiles et devrait probablement s'accompagner d'une révision des règles de compensation et de répartition édictées dans les conventions, afin que la France ne soit pas lésée.
Selon les informations communiquées par le ministère de l'économie et des finances aux rapporteures, ce sujet est d'ailleurs inscrit au futur programme de travail du cadre inclusif de l'OCDE . La France devrait ainsi participer aux travaux visant à définir des critères objectifs de répartition en la matière et édicter des principes partagés et harmonisés au niveau international. Les rapporteures demeureront attentives à ce sujet.
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En conséquence, les rapporteures proposent d'amender la proposition de résolution européenne, déposée par M. Cyril Pellevat, en tenant compte des éléments précités , en vue de son renvoi à la commission des affaires sociales.
EXAMEN EN COMMISSION
La commission s'est réunie le jeudi 3 juin 2021 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par les rapporteurs, le débat suivant s'est engagé :
M. Jean-François Rapin , président. - Je vais revenir sur les propositions d'amendements qui sont faites par les rapporteurs, même si le fond du texte est largement préservé :
- à l'alinéa 5, il est proposé après « sur le revenu et sur la fortune », d'ajouter « et de prévenir la fraude et l'évasion fiscales » ;
- à l'alinéa 9, après « juridique », il est proposé d'ajouter « réciproque » ;
- à l'alinéa 19, il est proposé, après « 25 % de leur temps de travail », de préciser « soit à peine plus d'un jour de télétravail par semaine », à la place de « soit un jour de télétravail par semaine »;
- à l'alinéa 20, il est proposé d'ajouter « notamment » après « à l'exception » ainsi qu'une réécriture de la fin de l'alinéa qui serait ainsi rédigé : « considérant que les conventions et les accords fiscaux conclus par la France avec les États avec lesquels elle partage une frontière, à l'exception notamment de la convention conclue avec le Luxembourg, prévoient qu'un salarié est imposé dans son pays de résidence à condition qu'il travaille dans l'État frontalier mais qu'il rentre au moins une fois par semaine dans son pays de résidence, et qu'il travaille ou réside dans la zone transfrontalière définie conventionnellement, en ne dépassant pas un certain nombre de jours travaillés hors de la zone frontalière de l'autre État »;
- à l'alinéa 22, il est proposé de procéder à une modification rédactionnelle puisqu'il s'agit de remplacer « s'est » par « a été » ;
- après l'alinéa 23, il est proposé d'ajouter un considérant ainsi rédigé : « considérant qu'à condition de mener, en parallèle, un contrôle plus strict sur les adresses de domiciliation des entreprises, notamment au Luxembourg, pour éviter tout phénomène de fraude, la France pourrait retirer d'un recours accru au télétravail des frontaliers des avantages économiques certains, notamment en évitant des investissements coûteux en termes d'infrastructures, en encourageant les frontaliers à ne pas quitter la France pour emménager dans l'État d'emploi, et en bénéficiant du fort pouvoir d'achat des frontaliers qui consommeraient davantage sur le territoire » ;
- à l'alinéa 27, il s'agit de remplacer « plus d'un jour » par « jusqu'à deux jours » ;
- enfin, à l'alinéa 28, il est proposé de procéder à une modification rédactionnelle.
Mme Pascale Gruny , rapporteur. - Je voudrais préciser que, concernant certains régimes d'imposition spécifiques aux frontaliers qui payent leurs impôts en France, la France verse une compensation aux pays d'emploi pour leur perte de recettes fiscales. Sur ce point, nous ne disposons pas d'éléments chiffrés mais nous allons essayer d'en avoir prochainement car cette compensation représente aussi un coût certain. Nous sommes conscients des réticences de Bercy comme de la commission des finances du Sénat, qui ne sont pas très favorables à l'adoption de cette proposition de résolution. Je pense qu'il serait utile de mener une étude complète sur le sujet, et notamment sur les départs des cadres à haut revenu dans les pays frontaliers et notamment au Luxembourg. J'ai pu en discuter longuement avec un membre du cabinet PWC, qui a rédigé une étude sur le sujet.
Les travailleurs frontaliers - dont le pouvoir d'achat est 20 à 30 % plus élevé que les personnes travaillant en France - pourraient davantage consommer en France si le télétravail était plus largement autorisé, d'ailleurs ils dépensent déjà une partie de leurs revenus dans la région de Thionville-Metz plutôt qu'au Luxembourg.
Un recours accru au télétravail de la part des frontaliers permettrait également de décongestionner les flux routiers et de faire, par la même occasion, des économies en termes d'infrastructures routières et immobilières. Aujourd'hui, un projet d'aménagement autoroutier est actuellement en cours dans la région de Thionville dont le coût s'élèverait à 1,4 milliard d'euros.
M. Cyril Pellevat , auteur de la proposition de résolution européenne. - Merci Monsieur le Président. Je voudrais remercier Pascale Gruny et Laurence Harribey pour leur travail. La crise sanitaire a effectivement conduit de nombreux frontaliers à recourir au télétravail, c'est le cas encore aujourd'hui. Les travailleurs frontaliers souhaiteraient continuer de bénéficier de ce mode d'organisation de travail de façon pérenne. L'autorisation de recourir au télétravail, dans les conditions prévues par la proposition de résolution, constitue, par ailleurs, une question d'équité par rapport aux travailleurs français. Cette proposition de résolution concernerait 500 000 personnes essentiellement sur des emplois de bureaux ; elle est donc réellement attendue.
Concernant les sujets fiscaux, je me demande si porter le seuil de 25 % à 40 % aurait un sérieux impact financier pour la France. Concernant la Suisse, le régime fiscal est un peu différent selon les cantons : pour les travailleurs frontaliers des cantons hors celui de Genève, il y a une compensation financière de la France équivalant à 4,5 % de la masse salariale. Cette somme est souvent reversée avec beaucoup de retard. L'inverse est, en revanche, observable dans le canton de Genève où il existe un prélèvement à la source et où la Suisse reverse 3,5 % du montant de la masse salariale correspondante à la France.
J'espère que la commission des affaires sociales du Sénat accueillera favorablement cette proposition de résolution, qui est attendue. Elle répond aux enjeux soulevés par la crise sanitaire et à des problématiques de déplacements, d'environnement, d'infrastructures, ou de qualité de vie des personnels.
Je suis désolé du peu de temps laissé aux rapporteures pour étudier cette proposition de résolution, qui mériterait effectivement d'être affinée. Mais j'ai souhaité la déposer rapidement, l'échéance du 30 juin de fin des accords temporaires se rapprochant.
M. Jean-François Rapin , président. - Merci. Je précise que les délais d'examen d'une proposition de résolution européenne relèvent du Règlement du Sénat et ne sont pas le fait des auteurs du texte.
Mme Laurence Harribey , rapporteure. - Sur le sujet de l'équité soulevé par cette proposition de résolution, il y a effectivement une question d'égalité de traitement entre les travailleurs frontaliers et ceux employés en France, mais également par rapport aux personnes travaillant et résidant dans les pays frontaliers. En comparaison des travailleurs du Luxembourg, pour lesquels le télétravail pourrait être systématisé, les travailleurs français ne pourraient faire que 25 % de télétravail. Cette distinction poserait de vraies difficultés en termes d'égalité de traitement au sein d'une même entreprise, et pourrait être jugée discriminatoire au vu de la règlementation européenne.
M. André Gattolin . - Je remercie les deux rapporteures pour leur travail et je partage très largement l'analyse exposée par Laurence Harribey dans sa présentation. Le sujet est complexe et n'est pas délaissé par les autorités françaises puisqu'il a été mis sur la table pendant la présidence allemande du Conseil de l'Union européenne. Nous n'avions alors pas eu de soutien sur ce sujet. Toutefois, cette proposition de résolution pose deux difficultés selon moi : d'abord, le choix de la PPRE puisqu'une partie de son contenu relève du domaine fiscal et entre donc dans le champ des conventions bilatérales. Pour avoir passé un peu de temps à la commission des finances, qui est compétente en la matière, j'aurais préféré le recours à une proposition de résolution sur le fondement de l'article 34-1 de la Constitution. En effet, si nous commençons à utiliser les PPRE pour des enjeux mixtes, relevant des affaires européennes et d'autres sujets, cela pourrait s'avérer délicat. Il est, en effet, plus facile de déposer et de faire examiner une proposition de résolution européenne qu'une résolution fondée sur l'article 34-1 de la Constitution. Or, nous tendons vers une inflation de propositions de résolution européennes qu'il ne faudrait pas encourager.
Ensuite, sur l'augmentation du seuil de télétravail de 25 à 40 %, nous sommes tous d'accord en théorie sur ce principe, mais comme cela a été expliqué par les deux rapporteures, cette évolution engendre un certain nombre de complexités et de difficultés de calcul. Il s'agit donc, selon moi, d'une « PPRE d'appel » à une autorité gouvernementale, qui est très concernée par le sujet car c'est la France qui a abordé ce point pendant la présidence allemande. Toutefois, il ne faut pas oublier que ce sujet du travail frontalier recouvre un certain nombre de problématiques difficiles, dont notamment l'indemnisation du chômage de ces travailleurs.
Mme Pascale Gruny , rapporteur. - Je rejoins les propos de ma collègue rapporteure sur le risque de traitement différencié entre les emplois occupés par des frontaliers et par des nationaux. Certains travailleurs frontaliers pourraient ainsi être conduits à revenir complètement en France car ils n'auraient plus accès à la souplesse permise par le télétravail, et c'est finalement la France qui devrait alors payer leurs indemnités chômage, le cas échéant. Les enjeux fiscaux et sociaux, sur ce sujet, sont donc liés, même s'ils ne relèvent effectivement pas des mêmes bases juridiques. Je ne suis pas convaincue que la France y gagne vraiment à rester rigide sur le sujet fiscal. La pandémie a certes accéléré le recours au télétravail, mais il constituait déjà une demande des salariés ou de certaines entreprises. Aujourd'hui, on observe qu'un certain nombre de personnes apprécient le télétravail, qui est à lier aux enjeux environnementaux que nous connaissons et dont nous aurons notamment à débattre dans le cadre du projet de loi « Climat et résilience ».
M. Jacques Fernique . - Les auditions menées vous ont-elles permis de savoir si les organisations syndicales des travailleurs transfrontaliers étaient favorables au dispositif proposé dans la PPRE ?
Mme Pascale Gruny , rapporteur. - Malheureusement, les délais contraints ne nous ont pas permis d'auditionner ces organisations. Une étude approfondie serait probablement nécessaire pour étudier les incidences financières d'un tel dispositif de part et d'autre de la frontière. La question de la fraude doit également ne pas être oubliée. Avec ma collègue rapporteure, lors de nos travaux précédents, nous avions pu constater que les adresses de domiciliation, particulièrement au Luxembourg, étaient nombreuses...
M. André Gattolin . - Je suis ravie que vous disiez cela car j'ai entendu un ministre luxembourgeois récemment à la radio qui affirmait qu'il n'y avait pas de société « boîte aux lettres » au Luxembourg.
Mme Pascale Gruny , rapporteur. - Je confirme, la pratique des adresses de domiciliation existe bel et bien au Luxembourg.
M. Cyril Pellevat . - Je souhaitais répondre au point soulevé par notre collègue André Gattolin. L'objet principal de cette PPRE est bien sûr le volet social qui entre pleinement dans le champ de compétence de l'Union européenne et donc de notre commission. Toutefois, il est vrai que j'ai souhaité également aborder le volet fiscal, en étant conscient de la nature hybride du texte. C'est la raison pour laquelle la PPRE ne fait qu'inviter « le Gouvernement à essayer d'harmoniser les conventions fiscales ». Les volets social et fiscal sont étroitement liés. Or, lors de la crise, à un moment, les accords temporaires avaient été prolongés pour le volet social, mais pas encore pour le volet fiscal. Il y a donc eu une incertitude pendant deux ou trois semaines, pour les travailleurs et entreprises. Par conséquent, en tant que parlementaires de Haute-Savoie, nous avons dû solliciter le Ministre Clément Beaune pour obtenir une clarification, qui est intervenue peu de temps après.
Pour répondre à notre collègue Jacques Fernique, le groupement transfrontalier européen - avec qui j'ai discuté de cette PPRE - est clairement favorable à ce texte.
M. Ludovic Haye . - Je voudrais compléter ce que vient de dire mon collègue, Cyril Pellevat. Il s'agit effectivement d'un dossier complexe, face auquel il faut avoir l'humilité de ne pas vouloir tout traiter d'un coup. Effectivement, l'urgence aujourd'hui, est de passer d'un à deux jours de télétravail tout en s'assurant qu'une telle mesure n'ait pas d'incidence fiscale. Je travaille beaucoup avec les entreprises transfrontalières qui voient cela d'un bon oeil, le télétravail permettant de libérer des locaux par une rotation des salariés face à la tension immobilière également présente de l'autre côté du Rhin.
En France, tous les salariés ne sont pas éligibles au télétravail, il en est de même pour les travailleurs frontaliers et transfrontaliers. Selon moi, l'augmentation de 25 à 40 % n'a pas d'incidence. La question des reversions fiscales entre la Suisse et la France, évoquée par Cyril Pellevat, est un sujet connu des agences de défense des transfrontaliers avec lesquelles nous sommes en contact. Je pense que ces organismes pourraient nous fournir des informations complémentaires sur ces différents sujets, si besoin.
M. Jean-François Rapin , président. - Merci à tous pour vos interventions. La commission des affaires sociales pourra se saisir de la PPRE et approfondir la réflexion.
Mme Pascale Gruny , rapporteur. - Il faudrait envisager des études et un travail de fond un peu plus larges.
M. André Gattolin . - Le travail sur les conventions fiscales prend des années. Pour la convention fiscale avec Andorre, nous avons négocié pendant plus de dix ans pour arriver, excusez-moi, à une « coquille de noix ». Andorre a accepté de mettre en place un impôt sur le revenu de 5 % alors que Bercy nous avait présenté cette convention comme une grande victoire. Or, Andorre est une co-principauté, dont le Président de la République française est le co-souverain. Les conventions fiscales sont le fruit de négociations interminables à la suite desquelles il faut passer à la signature puis à la ratification par le Parlement. On dit que la procédure en matière de législation européenne est longue, mais elle est beaucoup plus rapide que celle sur les conventions fiscales.
M. Jean-François Rapin , président. - Merci à tous pour ce débat intéressant. Je vais mettre aux voix la PPRE.
La proposition de résolution européenne ainsi modifiée est adoptée.
M. Cyril Pellevat . - Merci Monsieur le Président et merci aux rapporteures pour leur travail.
La commission a conclu à l'adoption de la proposition de résolution européenne ainsi modifiée.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE MODIFIÉE VISANT À RENDRE PÉRENNE L'AUGMENTATION DU TEMPS DE TÉLÉTRAVAIL AUTORISÉ POUR LES TRAVAILLEURS FRONTALIERS
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu le règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale,
Vu le règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d'application du règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale,
Vu la convention entre la République française et la Confédération suisse en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l'évasion fiscales signée le 9 septembre 1966,
Vu l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relatif à l'imposition des rémunérations des travailleurs frontaliers signé le 11 avril 1983,
Vu la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché du Luxembourg en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et la fortune signée le 20 mars 2018,
Vu la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales signée le 5 octobre 1989,
Vu la convention entre la France et la Belgique tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative et juridique réciproque en matière d'impôts sur les revenus du 10 mars 1964,
Vu la convention entre la France et la Belgique tendant à éviter les doubles impositions et à régler certaines autres questions en matière d'impôts sur les successions et de droits d'enregistrement signée le 20 janvier 1959,
Vu la convention fiscale entre la France et la Principauté de Monaco du 18 mai 1963,
Vu la Convention multilatérale pour la mise en oeuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices,
Vu la convention entre la République française et le Royaume d'Espagne en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune signée le 10 octobre 1995,
Vu la convention entre la République française et République fédérale d'Allemagne en vue d'éviter les doubles impositions et d'établir des règles d'assistance administrative et juridique réciproque en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune ainsi qu'en matière de contributions des patentes et de contributions foncières signée le 21 juillet 1959,
Vu l'accord amiable du 16 février 2006 relatif aux dispositions applicables aux travailleurs frontaliers, dans le cadre de la convention fiscale franco-allemande du 21 juillet 1959 précitée,
Vu la convention fiscale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d'Andorre en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu signée le 2 avril 2013,
Considérant qu'un salarié exerçant son activité dans deux ou plusieurs États est soumis à la législation de l'État de résidence en matière de sécurité sociale, s'il exerce une partie substantielle de son activité dans cet État en application du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale ;
Considérant qu'une activité exercée dans l'État de résidence est qualifiée de substantielle lorsqu'elle représente plus de 25 % du temps de travail ou de la rémunération du salarié, en application du règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 19 septembre 2009 fixant les modalités d'application du règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale ;
Considérant qu'une activité exercée en télétravail par des travailleurs frontaliers depuis leur État de résidence est équivalente à une activité exercée dans deux États au sens du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 précité et ne peut donc représenter plus de 25 % de leur temps de travail, soit à peine plus d'un jour de télétravail par semaine, sans que leurs entreprises doivent verser des cotisations sociales à leur État de résidence ;
Considérant que les conventions et accords fiscaux conclus par la France avec les États avec lesquels elle partage une frontière, à l'exception notamment de la convention conclue avec le Luxembourg, prévoient qu'un salarié est imposé dans son pays de résidence à condition qu'il travaille dans l'État frontalier mais qu'il rentre au moins une fois par semaine dans son pays de résidence, et qu'il travaille ou réside dans la zone transfrontalière définie conventionnellement, en ne dépassant pas un certain nombre de jours travaillés hors de la zone frontalière de l'autre État ;
Considérant que la convention fiscale conclue entre la France et le Luxembourg prévoit qu'un salarié frontalier est imposé dans l'État où il exerce son activité et non pas dans l'État de résidence tant qu'il n'est pas amené à exercer son activité hors de son État d'activité plus de 29 jours par année ;
Considérant que l'épidémie de covid-19 a nécessité la limitation des contacts afin d'éviter la propagation du virus et que cette limitation a été mise en oeuvre par le biais de mesures de confinement et de couvre-feu ainsi que d'un recours accru au télétravail ;
Considérant que cette crise sanitaire a mis en lumière les bienfaits que peut avoir le télétravail sur l'environnement en limitant les déplacements en voiture, ainsi que sur le bien-être et la productivité des travailleurs et sur la compétitivité des entreprises ;
Considérant qu'à condition de mener, en parallèle, un contrôle plus strict sur les adresses de domiciliation des entreprises, notamment au Luxembourg, pour éviter tout phénomène de fraude, la France pourrait retirer d'un recours accru au télétravail des frontaliers des avantages économiques certains, notamment en évitant des investissements coûteux en terme d'infrastructures, en encourageant les frontaliers à ne pas quitter la France pour emménager dans l'État d'emploi, et en bénéficiant du fort pouvoir d'achat des frontaliers qui consommeraient davantage sur le territoire ;
Considérant que, si des accords amiables ont été conclus entre la France et les États qui lui sont frontaliers afin de permettre aux entreprises d'avoir recours au télétravail sans que cela ait d'impact sur le régime d'imposition ou le système de sécurité sociale auquel sont rattachés leurs travailleurs frontaliers, l'ensemble de ces accords prendront fin une fois la crise sanitaire terminée ;
Considérant que plusieurs entreprises françaises comme étrangères ont d'ores et déjà indiqué qu'elles souhaitaient instaurer davantage de télétravail à l'avenir et que les salariés y sont globalement favorables ;
Considérant que la future augmentation du recours au télétravail risquerait de créer des discriminations au sein des entreprises entre les travailleurs qui sont frontaliers et ceux qui ne le sont pas en raison des limitations imposées en matière de sécurité sociale et d'imposition;
Estime nécessaire de permettre aux travailleurs frontaliers d'être placés en télétravail jusqu'à deux jours par semaine sans que cela ait d'incidence sur la détermination de l'État dans lequel ils sont imposés et auquel leurs cotisations sociales doivent être versées ;
Invite en conséquence l'Union européenne à revoir à la hausse le taux à partir duquel une activité est qualifiée de substantielle afin que les travailleurs frontaliers puissent être en télétravail jusqu'à deux jours par semaine sans que cela induise un changement quant à la détermination de l'État auquel doivent être versées leurs cotisations sociales ;
Invite le Gouvernement français à soutenir cette augmentation et à la faire valoir dans les négociations au Conseil ;
Invite le Gouvernement français à essayer d'harmoniser en conséquence les conventions fiscales avec les États qui lui sont frontaliers afin que soient rendus possibles deux jours de télétravail par semaine sans changement de l'État d'imposition.
LA RÉSOLUTION EN CONSTRUCTION
Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la résolution en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :
http://www.senat.fr/tableau-historique/ppr20-565.html
LISTE
DES PERSONNES ENTENDUES ET
CONTRIBUTIONS ÉCRITES
Auditions :
- Mme Armelle BEUNARDEAU , directrice du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale (CLEISS) ;
- Mme Claire JEAN , cheffe de la division des affaires communautaires et internationales à la direction de la sécurité sociale, et Mme Emmanuelle ELDAR , adjointe à la cheffe de la division des affaires communautaires et internationales à la direction de la sécurité sociale ;
- S. E. M. Philippe VOIRY , ambassadeur pour les commissions intergouvernementales, la coopération et les relations transfrontalières.
Contributions écrites :
- Mme Constance DELER , cheffe du secteur Parlements, secrétariat général des affaires européennes (SGAE) ;
- M. Florian DE FILIPPO, chef du bureau E1 sur les règles de fiscalité internationale, direction de la législation fiscale ;
- M. David DION , chef d'unité Coordination de la sécurité sociale, Commission européenne.
* 1 Règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale et règlement (CE) n° 987/2009 fixant les modalités d'application du règlement (CE) n° 883/2004 (COM (2016) 815 final)
* 2 Article 1er f) du règlement (CE) n° 883/2004 précité
* 3 Article 11 du règlement (CE) 883/2004 précité
* 4 Article 13 (relatif à la pluriactivité) du règlement (CE) 883/2004 précité