N° 393

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 26 janvier 2022

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture ,

Par M. Laurent DUPLOMB,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas , présidente ; M. Alain Chatillon, Mme Dominique Estrosi Sassone, M. Patrick Chaize, Mme Viviane Artigalas, M. Franck Montaugé, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Jean-Pierre Moga, Bernard Buis, Fabien Gay, Henri Cabanel, Franck Menonville, Joël Labbé , vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, MM. Rémi Cardon, Pierre Louault , secrétaires ; MM. Serge Babary, Jean-Pierre Bansard, Mmes Martine Berthet, Florence Blatrix Contat, MM. Michel Bonnus, Denis Bouad, Yves Bouloux, Jean-Marc Boyer, Alain Cadec, Mme Anne Chain-Larché, M. Patrick Chauvet, Mme Marie-Christine Chauvin, M. Pierre Cuypers, Mmes Marie Evrard, Françoise Férat, Amel Gacquerre, M. Daniel Gremillet, Mme Micheline Jacques, M. Jean-Marie Janssens, Mmes Valérie Létard, Marie-Noëlle Lienemann, MM. Claude Malhuret, Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Mme Guylène Pantel, MM. Sebastien Pla, Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Mme Patricia Schillinger, MM. Laurent Somon, Jean-Claude Tissot .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

4758 , 4874 et T.A. 741

Sénat :

350 , 386 et 394 (2021-2022)

ESSENTIEL

Nos agriculteurs sont les premiers concernés par le défi climatique car la nature est leur environnement et la terre leur outil de travail. Or le changement climatique les expose partout à des aléas de plus en plus fréquents, créant des dommages croissants.

S'ils se sont dotés d'outils de gestion des risques depuis longtemps, ces derniers sont fragilisés par l'ampleur de la recrudescence des calamités agricoles. Le système actuel, reposant sur un pilier assurantiel à promouvoir pour les cultures éligibles et un système d'indemnisation publique pour les cultures non assurables, n'est plus suffisamment robuste. C'est pourquoi plusieurs initiatives sénatoriales transpartisanes appelaient ces dernières années à une réforme du dispositif d'indemnisation des risques climatiques en agriculture.

Tout en soulignant que la réforme proposée par le Gouvernement va dans le bon sens, la commission des affaires économiques regrette le flou autour de cette loi, laissant de larges marges de manoeuvre au pouvoir réglementaire ou à une ordonnance, et déplore l'absence de soutien aux solutions de bon sens proposées par le Sénat de longue date.

Elle a ainsi modifié le texte du Gouvernement pour y inscrire des garde-fous et préciser des principes clairs autour de cinq axes :

1) Appeler le Gouvernement à agir pour adapter les textes européens à la réalité du changement climatique et utiliser d'ores et déjà toutes les possibilités offertes par ces textes pour mieux couvrir les exploitants agricoles ;

2) Lever les freins au recours à l'assurance, tout en valorisant davantage les outils de prévention mis en oeuvre par l'agriculteur ;

3) Mieux prendre en compte les réalités territoriales de notre agriculture ;

4) Placer les professionnels au coeur du pilotage du nouveau système ;

5) Sécuriser le dispositif au regard du droit de la concurrence et donner de la visibilité aux acteurs par des engagements pluriannuels du Gouvernement garantissant la stabilité du dispositif.

I. LE CHANGEMENT CLIMATIQUE MET EN PÉRIL LA VIABILITÉ DU SYSTÈME DE GESTION DES RISQUES EN AGRICULTURE

A - Le système actuel combine indemnisation publique en cas de calamités agricoles et aide à la souscription d'un contrat d'assurance récolte

Au-delà des outils de prévention mis en oeuvre de longue date pour limiter les effets des aléas climatiques, le monde agricole s'est peu à peu doté d'outils d'indemnisation des pertes de production lors d'un aléa climatique.

Depuis 2010, pour accroître encore les incitations à basculer vers une assurance récolte généralisée, outre une hausse du taux de subvention à la prime afférente aux contrats d'assurance multirisque climatique (MRC), les deux systèmes d'indemnisation cohabitent mais sont devenus pour certains exclusifs : seuls peuvent bénéficier des indemnisations publiques versées par le système des calamités agricoles les risques dits assurables . Ainsi, les pertes de récoltes dans les grandes cultures comme dans la viticulture ne sont plus éligibles.

Aujourd'hui, les taux de diffusion de l'assurance sont très hétérogènes par nature de production , avec des ratios satisfaisants (supérieurs à 30 % des surfaces couvertes) mais ne progressant plus en grandes cultures et en viticulture, et des taux quasi nuls en arboriculture et en prairies (inférieurs à 3 %). À l'inverse, les indemnisations publiques sont principalement mobilisées en faveur de ces éleveurs et arboriculteurs, le fonds réalisant en cela une péréquation des contributions au financement du fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA) des exploitants en grandes cultures ou en viticulture, qui n'y sont pas éligibles, vers les cultures les moins assurables.

B - Un système à l'épreuve du changement climatique

a - Les agriculteurs sont en première ligne pour mesurer les effets du changement climatique

En raison du changement climatique, les agriculteurs sont davantage exposés notamment :

- Au gel tardif en raison de cultures plus précoces : les vendanges ont lieu 18 jours plus tôt qu'il y a 40 ans, la tendance étant identique pour certains semis (le maïs par exemple) ou la floraison d'arbres fruitiers ;

- Aux tempêtes, grêles et excès d'eau : certaines zones du sud-est ont connu une augmentation des épisodes de pluies extrêmes de 20 % depuis le milieu du XX è siècle ;

- À la sécheresse : les simulations effectuées à l'aide de modèles climatiques mettent en évidence une augmentation continue des sécheresses du sol en moyenne annuelle dans les prochaines décennies, avec une « normale » qui se rapprochera de la situation de « l'extrêmement sec » de la période de 1961 à 1990.

Bien que le système historique ait plutôt bien fonctionné depuis les années 1960, l'accélération du changement climatique dans les fermes l'expose à une pression financière de plus en plus importante . Le coût des sinistres pour les assureurs sur les pertes de récolte (MRC et grêle) a plus que doublé pour la période 2016-2020 par rapport à la période 2010-2015 pour atteindre un niveau de 500 M€ par an. De même, les dépenses publiques engagées par le FNGRA sont passées de 108 M€ par an entre 2010 et 2015 à 169 M€ par an entre 2018 et 2020.

b - L'accélération du changement climatique fragilise un système à bout de souffle

Avec la hausse de la fréquence et de l'intensité des aléas climatiques et l'extension géographique des zones concernées, l'équilibre financier du système n'est plus assuré et le système est à bout de souffle .

« Le gel du printemps de 2021 a permis une plus grande prise de conscience de la vulnérabilité des agriculteurs aux risques catastrophiques »

À cet égard, l'épisode de gel du printemps 2021 a clairement montré les limites du dispositif actuel. L'État a dû exceptionnellement annoncer un financement d'un milliard d'euros et rendre éligibles aux indemnisations les zones viticoles touchées, malgré leur exclusion du système des calamités agricoles depuis 2010. La dualité du système laisse sans réponse des pans entiers de l'agriculture française en cas d'évènement climatique majeur.

Cette mise en tension du système par des dommages liés aux événements climatiques de plus en plus importants aboutit à mettre en avant les faiblesses du système actuel :

- Une rentabilité insuffisante des assureurs en raison d'une trop faible diffusion de l'assurance dans les fermes empêchant une mutualisation satisfaisante des risques chez les opérateurs du marché et d'un taux de sinistres sur primes en dégradation depuis des années en raison de la hausse de la sinistralité (105 % en moyenne, alors que le taux pour dégager une rentabilité est estimé entre 70 et 80 %) ;

- Des primes jugées trop chères par les exploitants , malgré un subventionnement public fort, pour des produits ne répondant pas de manière satisfaisante à leurs besoins ;

- Une concurrence entre les deux systèmes d'indemnisation pour les risques et cultures jugés non assurables, entraînant une complexité pour les agriculteurs ainsi qu'une faible incitation à s'assurer ;

- Un régime des calamités très onéreux , et de plus en plus contesté au regard de la variabilité des indemnisations proposées en raison des conditions d'éligibilité.

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