B. ASSUMER ENFIN LE CHANGEMENT DE CAP POUR PERMETTRE UNE SORTIE DE CRISE DURABLE
« Pour plus de souveraineté, d'attractivité et d'adaptation au changement climatique, la ferme France devra d'abord regagner en compétitivité, condition sine qua non de ces trois objectifs. »
Laurent Duplomb et Franck Menonville, rapporteurs
a) Consacrer la souveraineté alimentaire en s'inspirant des ressources des territoires
Si l'article 1er tel qu'issu des débats à l'Assemblée nationale comportait de premières avancées sur le front de la reconnaissance de l'enjeu de souveraineté alimentaire, la commission a souhaité, à l'initiative de ses rapporteurs, procéder à une réécriture complète de cet article pour conforter la place que la Nation entend donner à sa souveraineté alimentaire et ses dépositaires que sont les agriculteurs.
Aussi, l'article 1er tel qu'adopté par la commission, affirme que « la souveraineté alimentaire est un intérêt fondamental de la Nation » au sens du code pénal (art. 410-1), et qu'à ce titre, « l'agriculture, la pêche et l'aquaculture sont d'intérêt général majeur ». La commission s'inscrit donc dans la lignée de ses précédents travaux et notamment dans ceux de la « PPL ferme France ».
En outre, est consacré un principe de non-régression de la souveraineté alimentaire entendant sanctuariser le potentiel agricole de la Nation, sur le principe de non-régression environnementale, utile à la protection de l'environnement, et disposant d'une portée normative réelle. Le principe de non-surtransposition des normes européennes, d'origine sénatoriale (PPL ferme France) et utilement ajouté par les députés, est par ailleurs conservé.
Enfin, conscients que la longue litanie des objectifs assignés aux politiques agricoles ne permettait pas de dégager des orientations claires, les rapporteurs ont souhaité affirmer, dans cet article 1er, que la politique en faveur de la souveraineté alimentaire a quatre priorités :
Disposition majeure : réécrire l'article 1er pour clarifier les priorités de la politique en faveur de la souveraineté alimentaire et renforcer la portée normative de la notion, pour consacrer l'intérêt général majeur s'attachant à l'agriculture et poser un principe de non-régression de la souveraineté alimentaire de la Nation.
Les rapporteurs ont aussi souhaité renforcer l'assise juridique de l'article 1er quater adopté à l'Assemblée nationale sur l'étiquetage des produits pour donner au Gouvernement un objectif crédible et précis de révision du règlement européen « INCO » (information du consommateur) à horizon 2025, incluant l'obligation d'afficher l'origine des produits sur l'emballage des denrées alimentaires et l'obligation d'y faire figurer l'information que des pratiques interdites au sein de l'UE ont été utilisées, lorsque cela a été le cas.
Disposition majeure : miser sur le levier de l'information du consommateur, notamment sur l'origine des produits, pour stimuler l'approvisionnement local.
Enfin, les rapporteurs ont voulu préserver nos agriculteurs de « fausses bonnes idées », en maintenant la suppression, actée à l'Assemblée nationale, des groupements fonciers agricoles d'investissement (GFAI) (art. 12, suppression conforme). Alors que le très protecteur statut du fermage, acquis de haute lutte par le monde agricole, est l'un des rares avantages comparatifs de la France, cet instrument financier faisait craindre un éloignement de la propriété foncière de l'exploitation agricole et donc une potentielle financiarisation, voire l'ajout de contraintes supplémentaires demandées par les propriétaires à l'égard des agriculteurs.
Initiatives sénatoriales, productions locales
Les rapporteurs se sont, autant que faire se peut, appuyés sur l'ancrage territorial de leurs collègues, afin de mieux valoriser les productions locales, dans cet objectif de souveraineté alimentaire :
Amendement de M. Laurent, sénateur de la Charente-Maritime et président du groupe d'études Vigne et vin (et de MM. Pla et Hervé, et Mme Lassarade, sénateurs de départements viticoles) : création d'espaces de transition végétalisés entre espaces agricoles et espaces ruraux, à la charge des aménageurs et non plus des agriculteurs, inspirée de retours de terrain dans ces territoires (art. 14 quinquies).
Proposition de loi de M. Chevrollier et de Mme Sollogoub, sénateurs de la Mayenne et de la Nièvre : reconnaissance des services écosystémiques des étangs et de la pisciculture d'étang, éléments d'origine anthropique constitutifs du paysage, en particulier dans le centre de la France, et témoignages de la possibilité d'une conciliation apaisée des usages de l'eau (article 17 bis).
Amendement de M. Anglars, sénateur de l'Aveyron : simplification des normes environnementales pour favoriser la valorisation des produits lainiers sous forme de fertilisants (à l'art. 16).
Proposition de loi de M. Salmon, sénateur d'Ille-et-Vilaine : les rapporteurs se sont engagés à donner un avis favorable à l'ajout, par amendement en séance, de ce texte consacrant une stratégie nationale avec objectifs chiffrés de linéaire de haie et mettant en place d'une certification de gestion durable, sur laquelle s'appuierait un crédit d'impôt (dans le projet de loi de finances), pour que les agriculteurs changent de regard sur la haie bocagère, et y voient, davantage qu'une contrainte, une ressource économique à valoriser (énergie).
b) Créer les conditions d'installations économiquement viables
La commission a maintenu les objectifs de nombre d'exploitations et d'exploitants à horizon 2030 (art. 8), très largement soutenus à l'Assemblée nationale, bien qu'ils paraissent aux rapporteurs étroitement quantitatifs et déjà irréalistes au regard des prévisions de la Cour des comptes. Alors qu'il serait tentant de céder à une logique de « l'installation pour l'installation », ils ont souhaité maintenir une attention particulière avant tout au sérieux des projets et à la viabilité économique des installations.
Aussi, ils ont accueilli favorablement le volet enseignement agricole du PLOA, notamment le « Bachelor agro » (art. 5) dont ils ont rétabli l'appellation pour plus de visibilité. Ce diplôme généralise en quelque sorte les certificats de spécialisation, gagnant en homogénéité sur le territoire national. Ils ont proposé de généraliser la formation à l'entrepreneuriat dans l'enseignement technique, les chefs d'exploitation étant d'abord et avant tout des gestionnaires.
Disposition majeure : orienter les dispositions relatives à l'enseignement agricole vers des savoirs techniques et des compétences entrepreneuriales, pour former les exploitants de demain, capables d'opérer des choix difficiles dans un environnement économique et climatique de plus en plus incertain.
Les rapporteurs saluent également le volet installation du projet de loi. S'agissant de la mise en place d'un guichet unique départemental, baptisé par le Gouvernement « France services agriculture », et renommé « France installations-transmissions » pour décrire plus clairement son rôle. Pour renforcer son efficacité, les rapporteurs l'ont recentré sur les seuls cédants et repreneurs, plutôt que sur l'ensemble des actifs agricoles, car son élargissement voté à l'Assemblée nationale aurait pu engendrer des flux matériellement difficiles à absorber pour le réseau des chambres d'agriculture.
Il est par ailleurs proposé de tenir compte du fait que l'installation comme agriculteur reste bien souvent une aventure familiale, et, en parallèle, d'une autre évolution structurante de l'agriculture, à savoir le développement des entreprises de travaux agricoles et plus largement de la sous-traitance : les rapporteurs ont donc étendu le guichet unique à ces nouveaux publics.
Disposition majeure : tout en recentrant le guichet unique, rebaptisé « France installation-transmission » (FIT), sur ces moments charnières du début et de la fin de carrière, l'étendre aux conjoints des candidats à l'installation et à l'ensemble des actifs agricoles (salariés, techniciens) sous la forme allégée d'un « point de contact ».
Les rapporteurs ont par ailleurs introduit plus de souplesse et de lisibilité dans le dispositif et misé sur les incitations, plutôt que sur l'obligation, pour favoriser la mise en relation entre cédants et repreneurs, ne croyant pas en l'efficacité de contraintes administratives supplémentaires autour de la déclaration d'intention de cesser l'activité agricole (Dicaa).
Ils ont entendu donner au « diagnostic modulaire des exploitations » (art. 9) une tonalité davantage économique, pour en faire un outil orienté sur les préoccupations des agriculteurs (« diagnostics de viabilité économique et de vivabilité » des projets agricoles). Ce diagnostic serait gratuit pour les agriculteurs en début ou en fin de parcours, s'ils suivent le parcours d'accompagnement à l'installation-transmission, dans cette même logique d'incitation.
La commission a enfin décidé renforcé l'articulation des diagnostics et du guichet unique en prévoyant la transmission anonymisée des données des premiers aux acteurs du second, afin de renforcer la pertinence de l'action de ce dernier.
Une proposition phare : pour favoriser les installations viables, donner une tonalité davantage économique au diagnostic des exploitations, et le rendre gratuit à des périodes clés à condition que la déclaration d'intention de cesser l'activité agricole ait été transmise.
S'agissant du conseil aux agriculteurs - et aux acteurs de la politique d'installation -, les rapporteurs ont souhaité faire du marché à horizon 20 ans le principe directeur de la politique d'installation, afin d'orienter les candidats à l'installation qui le souhaitent vers les spécialisations les plus prometteuses. Il s'agit du complément, à une échelle « macro », du diagnostic de viabilité des exploitations, à une échelle « micro ».
Disposition majeure : une cartographie des opportunités et risques de marché à horizon 20 ans pour présenter aux acteurs de la politique de formation et d'installation les contraintes actuelles et à venir sur les aptitudes productives et les tendances de consommation.
Ils ont également conservé dans son principe, tout en en réécrivant le dispositif, la possibilité de percevoir des revenus non agricoles pour des sociétés dont l'objet principal est agricole, à la condition que ces revenus soient issus d'activités connexes s'inscrivant dans le prolongement de l'acte de production (art. 12 bis).
c) Passer des réflexes de (sur-)administration et de sanctions à une dynamique d'information, d'incitations et d'innovation
Plutôt que d'imposer un mouvement aux agriculteurs, il s'agit ainsi de mettre des outils à leur disposition ; plutôt que de leur ajouter des contraintes, de leur offrir des opportunités nouvelles.
Également dans l'optique d'emporter l'adhésion du monde agricole, l'article 13 de la loi, complété par un droit à l'erreur en matière environnementale, à l'initiative du groupe Les Républicains de l'Assemblée nationale (art. 13 bis), a été complètement réécrit en commission, pour que certaines infractions environnementales, en l'absence de négligence grave ou d'intentionnalité, passent dans le champ de la répression administrative et non plus pénale. De même, l'infraction à une règle résultant de l'application d'une autre réglementation, situation ubuesque, est dépénalisée.
Disposition majeure : la dépénalisation de certaines infractions environnementales non intentionnelles ou résultant d'un conflit de normes.
À l'article 14, sur la destruction des haies, les rapporteurs ont entendu s'appuyer sur le principe de déclaration/autorisation unique porté par le ministère de l'agriculture en lieu et place des multiples réglementations existantes, en le complétant de deux manières :
- d'abord en lui donnant une définition unifiée à l'échelle nationale et en apportant plus de transparence et d'information, par la mise à disposition, en ligne, d'une cartographie des réglementations applicables aux haies, à une échelle fine ;
- ensuite, à des fins de répartition équitable des efforts entre territoires et de ciblage sur les haies comportant l'intérêt écologique le plus fort, la compensation pourrait varier en fonction de l'évolution passée du linéaire et du type de haie visé par la demande.
Disposition majeure : une cartographie des réglementations applicables aux haies, pour plus de clarté et de sécurité juridique, et la reconnaissance des us et coutumes sur le territoire du département, pour une application circonstanciée des règles, tenant compte notamment de la densité de haies sur un territoire donné et de son évolution passée.