EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 2 juillet 2025, sous la présidence de M. Cédric Perrin, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. Hugues Saury sur le projet de loi n°651 (2024-2025) autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Panama et de la convention d'extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Panama, adopté par l'Assemblée nationale en première lecture.
M. Cédric Perrin, président. - Nous examinons maintenant le rapport de M. Hugues Saury sur le projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Panama et de la convention d'extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Panama.
M. Hugues Saury, rapporteur. - Ce projet de loi vise à autoriser l'approbation de deux conventions, qui ont toutes les deux été signées le 11 juillet 2023 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Panama : la première concerne l'entraide judiciaire en matière pénale ; la seconde est relative aux procédures d'extradition.
Ce texte, qui a été déposé au Sénat le 22 mai dernier, après avoir été adopté à l'Assemblée nationale, est pour nous le troisième de ce type en quinze jours concernant l'Amérique du Sud. Notre commission a en effet adopté le 18 juin dernier une convention relative à l'entraide judiciaire avec le Suriname, dont le rapporteur était Ludovic Haye, et un avenant à la convention d'entraide judiciaire en matière pénale du 28 mai 1996 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil, dont le rapporteur était Guillaume Gontard. Enfin, une convention d'extradition avec la Colombie sera prochainement à notre ordre du jour.
Une telle série est tout sauf un hasard. Elle témoigne d'une stratégie globale de renforcement de notre coopération judiciaire avec la région latino-américaine, dans un contexte de montée en puissance de la criminalité organisée transnationale.
Avant d'aborder la relation bilatérale puis le contenu de ces conventions, permettez-moi d'insister sur l'importance stratégique du Panama, à la fois dans sa dimension géopolitique et sur le plan sécuritaire.
Le Panama est un petit pays par sa taille, mais il occupe une position centrale dans les équilibres régionaux et globaux, notamment en raison de l'existence du canal de Panama, qui représente, sans solution de substitution, au moins à moyen terme, une voie de passage essentielle pour le commerce maritime mondial, mais aussi, le cas échéant, pour les bâtiments militaires. En cas de conflit, sa maîtrise revêtirait une importance opérationnelle majeure.
La rétrocession du canal au Panama, intervenue en 1999 à la suite des traités Torrijos-Carter, a attiré les convoitises des investisseurs chinois et hong-kongais. De plus, Pékin a mis à profit le relatif isolement international du pays après l'affaire des Panama papers, en 2016, pour y asseoir son influence. C'est ainsi que le conglomérat CK Hutchison a acquis les ports de Cristobal et Balboa, situés très stratégiquement de part et d'autre du canal, et que le Panama a été le premier pays d'Amérique latine à intégrer les nouvelles routes de la soie.
Cependant, récemment, en raison du progressif assèchement du canal, l'autorité indépendante qui le gère a dû prendre des mesures de régulation de trafic et de hausse tarifaire. Le Panama est devenu alors le théâtre d'un épisode critique de la rivalité sino-américaine, marqué par un retour en force du compétiteur états-unien. C'est ainsi que le président Donald Trump a fait part de son intention de « récupérer le canal ». Il semblerait que, dans ce contexte géopolitique délicat et à la suite d'importantes pressions américaines, le président José Raúl Mulino, élu en mai 2024, ait clairement choisi son camp. L'annulation du mémorandum des nouvelles routes de la soie, le rapprochement assumé avec les États-Unis et leurs alliés, ainsi que l'autorisation donnée aux forces armées américaines de se déployer autour du canal, témoignent de cette réorientation de la diplomatie panaméenne vers Washington. Enfin, s'agissant des ports de Cristobal et Balboa, le président Mulino soutient le projet de leur acquisition par les fonds d'investissement américains BlackRock pour 22 milliards de dollars - opération qui suscite une vive opposition de Pékin, qui cherche à repousser sa conclusion.
Le Panama fait également face à deux défis sécuritaires majeurs, dont la gestion réclame des coopérations internationales. En effet, sa situation géographique, en tant qu'étape incontournable sur l'axe terrestre nord-sud et interface maritime entre l'océan Pacifique et la mer des Caraïbes, fait de ce pays un point de passage obligé pour le narcotrafic comme pour les flux migratoires.
Notre collègue Étienne Blanc, dans son excellent rapport au nom de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, a récemment dressé un état des lieux particulièrement préoccupant et mis en lumière la redoutable organisation logistique des criminels.
Porte d'entrée de la cocaïne en provenance d'Amérique du Sud et à destination des marchés de consommation d'Amérique du Nord et d'Europe, le Panama abrite une cinquantaine de cartels mexicains et colombiens qui y orchestrent une armée silencieuse de passeurs, tirant profit des atouts logistiques du pays. S'il est difficile d'estimer le volume effectif de ce flux de stupéfiants, on peut en juger par celui des saisies, qui ont atteint en 2024 un volume de 117 tonnes dans le pays. Le Panama est aujourd'hui l'un des cinq premiers pays exportateurs de la cocaïne saisie en Europe.
Le second défi sécuritaire majeur auquel est confronté le pays est constitué par les tensions suscitées par le flux de migrants - ils étaient 500 000 en 2024 - venus principalement du Venezuela et d'Haïti, cherchant à rejoindre les États-Unis via l'incontournable isthme panaméen. À cette fin, ils empruntent, à la frontière entre le Panama et la Colombie, la jungle du Darién, particulièrement inhospitalière et difficile d'accès, qui constitue l'un des corridors migratoires les plus dangereux au monde. Or ce flux, stoppé net depuis l'arrivée au pouvoir de Donald Trump, s'est maintenant inversé, les mêmes réseaux monnayant à présent le trajet de retour, tout aussi dangereux.
Enfin, les États-Unis font pression sur le Panama pour qu'il joue le rôle de pont pour l'expulsion des migrants, non sans mettre le président Mulino en difficulté sur le plan intérieur. Plusieurs centaines d'émigrés se trouvent ainsi actuellement piégés au Panama, dans l'attente de leur expulsion définitive. D'autres migrants ont été envoyés dans des camps en bordure de la forêt tropicale, avec un statut encore mal défini.
Sur le plan bilatéral, nos relations avec le Panama sont solides et se renforcent. Le 21 octobre dernier, le Président Mulino a rendu visite au Président Macron. Les deux pays partagent plusieurs priorités communes, notamment en matière de lutte contre le narcotrafic. Ils affichent tous les deux leurs préoccupations climatiques et environnementales - le Panama est très engagé sur ces questions.
Surtout, le Panama ambitionne de tourner au plus vite la page de l'affaire des Panama papers, qui l'a mis au ban de la communauté internationale pendant plusieurs années. Le pays a ainsi réalisé d'importantes avancées en matière de transparence et de lutte contre le blanchiment, grâce auxquelles il sort, peu à peu, des différentes listes de pays non coopératifs en matière fiscale. La France accompagne le Panama dans ses progrès en la matière, dans le cadre notamment, depuis 2019, d'un groupe de travail bilatéral.
Dans le domaine judiciaire, nos échanges sont prêts à monter en puissance, à la suite de l'arrivée d'un magistrat de liaison français basé en Colombie, qui est compétent pour le Panama. Il serait d'ailleurs intéressant que notre commission auditionne l'un des dix-neuf magistrats de liaison en exercice français.
Actuellement, en l'absence de cadre conventionnel, l'entraide judiciaire et l'extradition s'effectuent au cas par cas, sur la base du principe de réciprocité. Cette approche a montré ses limites. Depuis 2014, les autorités françaises, en particulier le parquet national financier (PNF), n'ont adressé que 49 demandes d'entraide, 3 demandes d'extradition et une demande d'extension. Les délais de traitement, souvent excessifs, compromettent la bonne exécution des procédures ainsi que leur sécurisation juridique, et se révèlent bien souvent rédhibitoires.
Ces deux conventions, dont la négociation a débuté dès 2012, sont donc très attendues par les autorités judiciaires des deux pays. Elles visent à instaurer le cadre juridique solide indispensable à une coopération fluide et efficace.
Elles comptent respectivement 36 et 27 articles, tous conformes aux standards juridiques internationaux et aux principes du droit pénal français, qu'ils soient constitutionnels, législatifs ou jurisprudentiels. Leurs clauses sont toutes classiques au regard des conventions de même type soumises à notre commission.
La convention d'entraide judiciaire en matière pénale prévoit, dès son article 1er, une coopération aussi large que possible dans toutes les procédures visant des infractions relevant de la compétence des autorités judiciaires. Cette coopération inclut le domaine fiscal, enjeu majeur de l'entraide franco-panaméenne qui concerne pour l'essentiel des faits de blanchiment et de fraude fiscale. Classiquement, elle exclut en revanche les infractions politiques, militaires, ou de discrimination.
L'article 9 prévoit que l'exécution des demandes s'effectue conformément à la législation de l'État requis, tandis que l'article 19 encadre la restitution des biens saisis ou confisqués. L'article 20 permet les auditions par vidéoconférence, ce qui représente une facilité appréciable s'agissant d'une coopération transcontinentale. Enfin, les articles 22, 23 et 26 autorisent les techniques d'enquête modernes - interceptions, livraisons surveillées, infiltrations -, qui sont indispensables dans la lutte contre les réseaux organisés et les flux financiers illicites.
La convention d'extradition, quant à elle, précise, aux articles 1 et 3, que toute personne recherchée ou condamnée pour des infractions passibles d'au moins deux ans d'emprisonnement pourra être livrée à l'État requérant.
Elle comporte les clauses dites « garde-fous » habituelles, excluant les ressortissants français ou binationaux, les infractions politiques, militaires, ou soupçonnées de discrimination, ainsi que les procédures devant des tribunaux d'exception. Elle prévoit la clause dite « humanitaire », permettant de refuser l'extradition d'une personne en raison de son âge ou de son état de santé. Elle interdit enfin la prononciation de la peine capitale, ce qui constitue une précaution assez théorique, la peine de mort n'ayant jamais existé au Panama.
Mes chers collègues, compte tenu de ces éléments, je vous propose d'approuver ces deux textes. Ils s'inscrivent dans une dynamique de coopération bilatérale renforcée, dans un contexte régional en pleine évolution, et permettront d'apporter une réponse judiciaire plus efficace à la criminalité transnationale, sous toutes ses formes - narcotrafic, homicides, blanchiment de capitaux, fraude fiscale...
Le Parlement panaméen a d'ores et déjà ratifié ces accords dès 2024. Leur entrée en vigueur est donc désormais entre nos mains. L'examen de ce projet de loi en séance publique est prévu le 10 juillet 2025, selon la procédure simplifiée, ce à quoi la conférence des Présidents, ainsi que votre rapporteur, a souscrit.
M. Cédric Perrin, président. - Ce texte est l'occasion pour notre commission de s'intéresser à la situation d'un pays stratégique que l'on évoque trop rarement dans le cadre de nos travaux.
M. Olivier Cadic. - Je remercie notre rapporteur pour cette excellente description de la situation. J'ai rencontré voilà trois mois le vice-ministre des affaires étrangères du Panama. Il connaît très bien la France.
Le Panama fait preuve de beaucoup de pragmatisme et de résilience face à la pression américaine pour mettre la main sur les ports du canal. Ils ont su être adroits. N'oublions pas que le Panama a été créé grâce au soutien des États-Unis d'Amérique. Cela explique beaucoup de choses.
Nous pouvons saluer les résultats du Panama dans la lutte contre le narcotrafic. Le pays se classe ainsi quatrième dans le monde en termes de saisies de cocaïne. J'ai pu constater sur place, il y a trois ans, le volontarisme des autorités en matière de lutte contre le crime organisé. Il faut soutenir ces pays qui sont dans une situation géographique très complexe et qui s'efforcent d'oeuvrer au renforcement du droit.
Examen des articles
Le projet de loi est adopté sans modification.