Rapport n° 22 (1995-1996) de M. Gérard GAUD , fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 11 octobre 1995

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N° 22

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SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 11 octobre 1995

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant la ratification du protocole n° 11 à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, portant restructuration du mécanisme de contrôle établi par la convention (ensemble une annexe).

Par M. Gérard GAUD,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Yvon Bourges, Guy Penne, Jean Clouet, François Abadie, vice-présidents ; Mme Danielle Bidard-Reydet, Michel Alloncle, Jacques Genton, Jean-Luc Mélenchon, secrétaires ; Nicolas About, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Mme Monique ben Guiga, MM. Daniel Bernardet, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Jean-Paul Chambriard, Charles-Henri de Cossé-Brissac, Pierre Croze, Marcel Debarge, Bertrand Delanoë, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André Dulait, Hubert Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Gérard Gaud, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Daniel Goulet , Yves Guéna, Jacques Habert, Marcel Henry, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune, Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain Peyrefitte, Bernard Plasait, Jean-Pierre Raffarin, Michel Rocard, André Rouvière, Robert-Paul Vigouroux, Serge Vinçon.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, également appelée Convention européenne des droits de l'homme, a été signée à Rome le 4 novembre 1950 et est entrée en vigueur le 3 septembre 1953. Depuis lors, le texte original a été complété par dix protocoles additionnels. Le présent projet de loi tend à autoriser la ratification d'un 11e protocole, qui se propose de refondre, assez substantiellement, les modalités de contrôle du respect de la convention et les instances qui en sont chargées, lesquelles depuis l'origine, siègent à Strasbourg.

Après avoir rappelé l'économie générale de la convention et également précisé les conditions dans lesquelles eut lieu l'adhésion -tardive- de notre pays à cet instrument, votre rapporteur précisera la portée du protocole n° 11 et les modalités nouvelles de contrôle qu'il se propose de mettre en oeuvre.

PREMIÈRE PARTIE- LA CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME : UN OUTIL ORIGINAL ET EFFICACE DE PROTECTION DES DROITS INDIVIDUELS

I. UN INSTRUMENT INTERNATIONAL QUI DÉROGE AUX RÈGLES TRADITIONNELLES DES TRAITÉS

A. UN SYSTÈME DE PROTECTION DES DROITS INDIVIDUELS QUI TRANSCENDE LES PRÉROGATIVES HABITUELLES DES ÉTATS

A la différence des autres traités multilatéraux qui créent des obligations entre Etats, lesquelles sont conditionnées par leur observation réciproque, la Convention européenne des droits de l'homme impose à tout Etat partie des obligations à l'égard des particuliers. Ces obligations ont un caractère quasi absolu dans la mesure où le non-respect par un Etat ne dispense pas les autres d'exécuter les dispositions de la convention ; bien plus, il leur donne le droit -droit d'action étatique- d'attaquer l'Etat qui manquerait au respect des dispositions protectrices.

Au surplus, les droits énoncés dans la convention et ses divers protocoles additionnels sont considérés comme étant directement applicables, sans qu'il soit nécessaire qu'intervienne une modalité spécifique de transposition dans le droit interne des Etats, sous réserve toutefois des modalités constitutionnelles propres à chaque Etat en la matière.

Les modalités concrètes de recours contre un manquement, par un Etat, à ses obligations renforcent l'aspect contraignant de la Convention européenne à l'égard des principes traditionnels de souveraineté et de non-ingérence. Ces modalités sont de deux ordres : le droit d'action étatique, le droit de recours individuel.

- le droit d'action étatique : en vertu de cette disposition, tout Etat partie à la convention peut saisir la Commission pour tout manquement à la convention par un autre Etat partie indépendamment de la nationalité de l'individu concerné. Ainsi, comme le relève M. Frédéric Sudre 1 ( * ) , tout Etat partie "peut engager contre une autre partie, au bénéfice de ses propres ressortissants comme au bénéfice d'individus qui ne le sont pas, une procédure relative à la violation d'une obligation conventionnelle par cet Etat". Ainsi, est-il créé un "droit de regard" sur la politique pratiquée par les autres Etats en matière de droits de l'homme. Cela étant, la pratique démontre que cette modalité d'action est assez peu utilisée par les Etats, puisque seulement six requêtes de ce type ont été examinées depuis l'origine. Il n'en va pas de même de la seconde voie de défense des intérêts et des droits protégés.

- le recours individuel : l'article 25 de la convention ouvre à chaque individu la possibilité de saisir la Commission européenne des droits de l'homme (et non la Cour); d'une requête relative à la violation par l'un des Etats parties d'un des droits consacrés par la convention.

Originale dans son principe 2 ( * ) , cette modalité de défense des droits énumérés par la convention et ses divers protocoles l'est également par son efficacité puisqu'elle aboutit éventuellement à une décision ayant un caractère obligatoire, revêtue de l'autorité de la chose jugée.

Ainsi les Etats parties à la convention acceptent-ils, par leur décision d'adhésion, qu'il soit dérogé, d'une façon significative, aux principes qui régissent habituellement les rapports internationaux. Pour autant, la convention ménage-t-elle, par diverses dispositions, la souveraineté des Etats.

B. LA PRÉSERVATION DES SOUVERAINETÉS ÉTATIQUES

La convention préserve tout d'abord la faculté d'émettre des réserves à la convention, ou de formuler des déclarations interprétatives. Plusieurs Etats ont eu recours à cette faculté qui a concerné plus particulièrement l'article 6 de la convention, relatif au droit à un procès équitable ou le droit à l'instruction prévu par le premier protocole.

En second lieu, la convention permet aux Etats parties de ne pas reconnaître la compétence obligatoire de la Cour : ce sont les clauses facultatives d'acceptation de la compétence de la Commission et de la Cour. Le droit de recours individuel, évoqué plus haut, fait ainsi l'objet d'une telle clause facultative d'acceptation qui, dans un premier temps, en a atténué la portée. Aujourd'hui, la totalité des Etats parties reconnaissent la compétence de la Commission en la matière ainsi, que, d'ailleurs, d'une manière générale, celle de la Cour.

Enfin, certains des droits énumérés par la convention et ses protocoles peuvent faire l'objet d'une application modulée en fonction des circonstances : ces droits dits "conditionnels" peuvent faire l'objet de restrictions ou de dérogations, si l'ordre public se trouve menacé par exemple, ou lorsque l'Etat considéré est confronté à des circonstances exceptionnelles. Certaines conditions sont cependant posées : une dérogation à l'exercice normal des droits ne peut intervenir que s'il existe véritablement une situation de crise ou un danger exceptionnel menaçant la survie de l'Etat. Les restrictions doivent être absolument nécessaires et ne pas affecter les droits considérés comme intangibles.

C. LE CONTENU DE LA CONVENTION : UNE ÉNUMÉRATION ÉVOLUTIVE DE DROITS QUI CONSTITUE UN SOCLE COMMUN EUROPÉEN DES DROITS ET LIBERTÉS FONDAMENTALES

Le titre premier de la convention et ses premiers articles sont consacrés aux droits que les Etats parties se devront de respecter.

Cette liste a été successivement enrichie lors de l'adoption de divers protocoles, notamment les protocoles 1, 4, 6 et 7. Il s'agit ainsi du droit à la vie (article 2) ; l'interdiction de la torture (article 3) ; l'interdiction de l'esclavage et du travail forcé (article 4) ; le droit à la liberté et à la sûreté (article 5) ; le droit à un procès équitable (article 6) ; le principe de la légalité des délits et des peines (article 7) ; le droit au respect de la vie privée et familiale (article 8) ; le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion (article 9) ; à la liberté d'expression (article 10) ; la liberté de réunion et d'association (article 11) ; le droit au mariage (article 12) et le droit à un recours officiel (article 13).

Les protocoles ultérieurs ont enrichi cette énumération originelle : le protocole n° 1 a ainsi consacré le droit de la propriété, le droit à l'instruction, le droit à des élections libres. Le protocole n° 4 a proscrit l'emprisonnement pour dette, consacré la liberté de circulation, posé l'interdiction de l'expulsion des nationaux ou l'interdiction des expulsions collectives d'étrangers, principe complété par le protocole n° 7 qui énumère des garanties procédurales spécifiques en cas d'expulsion d'étrangers. Surtout, le protocole n° 6 a posé le principe de l'abolition de la peine de mort.

Comme votre rapporteur l'a déjà évoqué, une certaine hiérarchie est établie entre ces divers droits et libertés : certains ont un caractère absolu, et ne sont pas susceptibles d'être restreints - "dans des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publics ou à la protection et libertés d'autrui" - : ces droits non restrictibles sont le droit à un procès équitable, le droit à la liberté et à la sûreté .

Plus encore, certains des droits énumérés ne peuvent faire l'objet d'aucune dérogation , en application de l'article 15 de la convention prévoyant qu'en cas de circonstances exceptionnelles -guerre ou autre danger public menaçant la vie de la nation-, un Etat partie peut déroger aux obligations prévues par la convention. Ces droits sont le droit à la vie , le droit à ne pas être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains et dégradants, le droit à ne pas être tenu en esclavage ou astreint au travail forcé, la non-rétroactivité de la loi pénale et enfin le droit à ne pas être condamné à la peine de mort 3 ( * ) .

Tous les autres droits énoncés peuvent faire l'objet -sous réserve que des conditions précises affinées par la jurisprudence de la cour soient remplies-, de restrictions ou de dérogations.

II. UN SYSTÈME INSTITUTIONNEL DE CONTRÔLE QUI A FAIT LES PREUVES DE SON EFFICACITÉ

Le système de contrôle du respect, par les Etats parties, des obligations contenues dans la Convention européenne des droits de l'homme est -avec la Convention américaine- le seul qui prévoit une procédure de décisions juridictionnelles à caractère obligatoire. Ce système met en jeu trois instances : la Commission, la Cour, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe. La procédure prévue comprend trois phases : l'examen de la recevabilité de la requête, la procédure de règlement amiable et la décision finale au fond.

A. LES TROIS INSTANCES DU CONTRÔLE

1. La Commission

Organe collégial indépendant, elle est composée d'autant de membres que d'Etats parties à la convention. Ses membres sont élus pour six ans -et rééligibles-, par le Comité des Ministres à la majorité absolue, sur une liste de noms établie par le Bureau de l'Assemblée consultative du Conseil de l'Europe. Les membres de la Commission siègent à titre individuel.

2. La Cour

Elle est composée d'un nombre de juges égal à celui des membres du Conseil de l'Europe -et non au nombre des parties à la convention comme pour la Commission-. Ils sont élus (et rééligibles) pour 9 ans avec renouvellement partiel triennal, par l'Assemblée consultative, à la majorité des voix, sur une liste présentée par les membres du Conseil de l'Europe. La Cour ne peut comprendre plus d'un ressortissant d'un même Etat.

L'indépendance de cette instance est assurée par les immunités dont bénéficient les juges, les qualifications requises d'eux et les incompatibilités prévues par la convention. Elle statue à la majorité.

Le protocole n° 2 a attribué à la Cour la compétence de donner des avis consultatifs. Il n'a toutefois à ce jour jamais été appliqué.

3. Le Comité des Ministres

Le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe est un organe intergouvernemental comprenant un représentant de chaque Etat membre. On notera que, jusqu'à l'entrée en vigueur du protocole n° 11, il peut intervenir dans le processus décisionnel alors même que certains Etats membres du Conseil de l'Europe ne sont pas parties à la Convention. Il est enfin chargé de surveiller l'exécution des arrêts de la Cour (article 54).

B. LES TROIS PHASES DE LA PROCÉDURE DE CONTRÔLE

Les deux premières phases de la procédure concernent l'examen de la recevabilité de la requête et la procédure de conciliation en vue d'un règlement amiable. Ces deux phases se déroulent devant la Commission.

1. La recevabilité des requêtes

Les articles 24 et 25 de la convention prévoient que la Commission peut être saisie par toute partie contractante (art. 24) ou par toute personne physique, toute organisation gouvernementale ou tout groupe de particuliers (art. 25), qui se prétend victime d'une violation par l'une des parties des droits reconnus dans la convention.

Elle constitue, pour assurer le filtrage des requêtes, des comités de trois membres qui peuvent décider, à l'unanimité, de l'irrecevabilité de la requête. La Commission peut éventuellement statuer à nouveau, à la majorité des deux-tiers, sur la décision de recevabilité prise par le Comité.

Les critères de recevabilité sont particulièrement nombreux en ce qui concerne les requêtes individuelles : le droit violé doit être l'un de ceux reconnus par la convention et elle doit concerner un Etat qui a reconnu la compétence de la Commission -clause d'acceptation facultative-.

De plus, la requête doit ne pas être anonyme, ne pas être identique "essentiellement" à une requête précédemment examinée ou déjà soumise à une autre instance internationale d'enquête ou de règlement (ne bis in idem) ; ne pas être incompatible avec les dispositions de la convention, mal fondée ou abusive.

Ceci vaut pour les requêtes individuelles. Celles-ci, comme les requêtes des Etats, ne sont recevables par ailleurs qu'après épuisement des voies de recours internes et après écoulement d'un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive.

2. Le règlement amiable

C'est à la Commission qu'incombe également le rôle d'engager les parties à la conclusion d'un règlement amiable. Au préalable, pour l'établissement des faits, elle procède à un examen contradictoire de la requête et peut procéder à une enquête. Si un règlement amiable est conclu, elle rédige un rapport remis aux Etats concernés, au Comité des Ministres et au Secrétaire général du Conseil de l'Europe, afin d'être publié. Dans le cas contraire, la Commission rédige également un rapport où elle relève les éventuelles violations des droits par l'Etat intéressé ; l'avis ainsi émis n'a pas le caractère d'une décision judiciaire. Transmis au Comité des Ministres et aux parties concernées, il ne peut être publié.

3. La décision au fond

A ce stade de la procédure, soit après échec du règlement amiable, deux possibilités sont ouvertes dans le délai de trois mois qui suit la remise du rapport de la Commission au Comité des ministres.

- la Cour peut être saisie soit par la Commision, soit par l'Etat partie dont la victime est le ressortissant, soit par l'Etat qui a saisi la Commission, soit par un Etat partie mis en cause. Le protocole n° 9, entré en vigueur en septembre 1994, a élargi cette faculté de saisine au requérant individuel, ce qui n'était pas possible auparavant. En réalité, l'entrée en vigueur du protocole n° 11 rendra obsolète le protocole n° 9, tout en préservant cet apport essentiel de la possibilité de saisine de la Cour par le requérant individuel. Le jugement de la Cour, qui a un caractère définitif et obligatoire, impose à l'Etat une obligation de résultat pour se mettre en conformité avec la convention en lui laissant le choix des moyens. Si le résultat attendu ne paraît pas répondre au dommage subi, elle peut accorder, sous forme indemnitaire, une satisfaction équitable à la partie lésée.

- Si la Cour n'est pas saisie, c'est au Comité des Ministres qu'il reviendra de décider, par un vote à la majorité des deux-tiers, sur la question de savoir s'il y a eu ou non violation de la convention. S'il admet qu'il y a eu violation, le Comité des Ministres fixe un délai pour que l'Etat en cause se mette en conformité avec cette décision.

Cette intervention d'un organe politique, paradoxale dans le cadre d'une procédure juridictionnelle, disparaîtra dans le cadre de la réforme proposée par le protocole n° 11.

Cela étant, en saisissant la Cour aussi souvent que possible, la Commission a su conserver, de bout en bout, un caractère judiciaire au processus.

III. LA FRANCE ET LA CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME

A. APRÈS UNE RATIFICATION TARDIVE, LA FRANCE PARTICIPE AUJOURD'HUI PLEINEMENT AU MÉCANISME DE SAUVEGARDE

Notre pays a attendu 24 ans pour ratifier la convention européenne des droits de l'homme puisque ce n'est que le 3 mai 1974 qu'intervint cette ratification, effectuée d'ailleurs par M. Alain Poher, alors président de la République par intérim. Chacun connaît les principales raisons de ce délai : alors qu'un projet de loi tendant à autoriser la ratification de la convention avait été déposé dès 1953, puis à nouveau en 1956, la survenance de la crise du 13 mai 1958 -trois mois après l'adoption du projet par l'Assemblée nationale- interrompit le processus législatif. Ensuite, l'aggravation de la crise algérienne mit en relief l'aspect inopportun de la ratification d'un accord dont l'application rigoureuse de certaines dispositions -relatives par exemple à l'arrestation et la détention préventive- semblait difficile dans le contexte de l'époque.

Des obstacles plus juridiques furent évoqués par les gouvernements successifs ou par certains parlementaires.

- l'incompatibilité de l'article 2 du premier protocole concernant le droit à l'instruction avec la volonté affirmée de certains parlementaires de faire prévaloir le principe de la laïcité ;

- l'incompatibilité de certaines dispositions de la convention (articles 5 et 6) avec le dispositif pénal particulier concernant les règles de la discipline militaire ;

- l'incompatibilité de l'article 10 concernant la liberté d'expression avec ce qui était à l'époque le régime de monopole de la radiodiffusion ;

- surtout, les gouvernements considéraient que l'article 15 de la convention, relatif aux circonstances exceptionnelles, légitimant sous certaines conditions la restriction à certains droits, pouvait affecter la souveraineté nationale en ce qu'elle était supposée donner à une instance internationale un droit de regard sur l'opportunité de la mise en oeuvre de l'article 16 de notre constitution relatif également aux mesures prises par le Président de la République en cas de circonstances exceptionnelles.

La ratification de 1974 fut donc assortie de trois réserves ou déclarations interprétatives portant chacune sur les trois derniers points ci-dessus exposés. En outre, et c'est un point essentiel, la ratification de 1974 se fit sans que la France souscrivit à la clause d'acceptation de la compétence de la Commission en matière de requête individuelle, abstention que notre Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées avait en son temps, par la voix de son rapporteur, vivement regretté 4 ( * ) .

Deux des trois réserves déposées par la France devinrent caduques après 1981 lorsque fut aboli le monopole de la radiodiffusion et supprimé le régime pénal spécial des TPFA. Mais c'est la ratification, le 2 octobre 1981, de l'article 25 concernant le droit de requête individuel qui permit de considérer que notre pays était désormais une partie pleine et entière à la convention. La France avait d'ailleurs également, depuis 1974, procédé à la ratification de 9 des 10 protocoles successifs qui, nous l'avons vu, ont soit enrichi le champ des droits protégés, soit amélioré la procédure de contrôle. 5 ( * ) On mentionnera notamment la ratification, le 17 février 1986, du protocole n° 6 proclamant l'abolition de la peine de mort.

Cette participation plus claire de notre pays à l'application de la convention n'a pas été sans contrepartie : nombreuses ont été les requêtes individuelles effectuées contre l'Etat français.

B. LA MISE EN CAUSE DE LA FRANCE DEVANT LES INSTANCES DE CONTRÔLE

En effet, depuis la reconnaissance en 1981 du droit de recours individuel, la France est, avec l'Italie, le pays le plus souvent mis en cause par des particuliers devant les instances strasbourgeoises : quelque 5 000 requêtes ont été déposées, dont un grand nombre n'a pas cependant passé le cap de la recevabilité. Pour la seule année 1994, 1 364 requêtes individuelles concernaient la France.

Cela étant, le gouvernement français assurait au 1er septembre 1995 le traitement de 367 affaires en instance, ayant donc été déclarées recevables par la Commission.

Le constat de violation des dispositions de la Convention émis dans le rapport de la Commission concerne en moyenne une affaire sur deux, de même pour les arrêts de la Cour. Au total, la Cour a rendu 50 arrêts concernant la France, entre 1988 et 1995, dont 30 concluaient à une violation de la Convention.

Le grief le plus souvent retenu a trait à la durée de la procédure judiciaire ; à cet égard, de nombreuses affaires concernent le cas de requérants hémophiles contaminés par le virus du sida, ceux-ci estimant que la procédure gracieuse et contentieuse aux fins d'indemnisation par l'Etat avait largement dépassé le « délai raisonnable » dont la Cour, depuis 1993, considère qu'il ne saurait excéder deux ans. Il est probable qu'au vu de la jurisprudence de la Cour, l'Etat français soit, dans les affaires en cours, conduit à verser des indemnités complémentaires au titre de la « satisfaction équitable ».

D'autres affaires portent sur la violation alléguée du principe du procès équitable, en particulier dans le cas des juridictions ordinales (Conseil de l'ordre des médecins, des pharmaciens, etc ...) du fait de l'absence d'audience publique dans ces instances.

Un décret du 5 février a instauré la publicité des débats pour les sessions disciplinaires des ordres des médecins, des pharmaciens et des sages-femmes. Pour les autres ordres, le maintien de la règle antérieure laisse augurer de nouvelles requêtes en ce domaine.

Plusieurs affaires ont également concerné les détentions provisoires, les écoutes téléphoniques ou les internements psychiatriques. Enfin des ressortissants étrangers se sont appuyés fréquemment sur l'article 8 de la Convention -droit au respect de la vie familiale et privée- pour contester des mesures d'éloignement qui les séparaient de leurs familles. Ces mêmes ressortissants, déboutés d'une demande d'asile politique ont argué de ce que leur retour forcé dans leur pays les exposerait à « la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants » (art. 3). Toutefois, un arrêt de la Cour en date d'août 1993 (Vijayanathan c. France) a reconnu la compatibilité de notre procédure de reconduite à la frontière avec la Convention.

Les arrêts de la Cour européenne ont eu une influence sensible, soit sur notre législation interne, soit sur la jurisprudence de nos instances judiciaires suprêmes. On connaît la législation concernant les écoutes téléphoniques, adoptée après un arrêt Kruslin du 24 avril 1990. De même, la Cour de Cassation a adapté sa jurisprudence sur le changement d'état civil des transsexuels après un arrêt B.c. France du 28 juin 1991.

*

* *

Ainsi, en 40 années d'existence, la convention a-t-elle démontré son efficacité, grâce en particulier à la vigilance de ceux qui, au sein de la Commission et de la Cour, avaient pour mission d'assurer le respect scrupuleux des droits et libertés individuels. Mais la pratique a ainsi révélé, progressivement, des lourdeurs fonctionnelles que l'élargissement récent et à venir des membres du Conseil de l'Europe et des Parties à la convention ne contribuerait pas à atténuer. D'où l'urgence qu'il y avait à envisager une réforme ambitieuse des instances de contrôle.

DEUXIÈME PARTIE : LES PRINCIPALES DISPOSITIONS DU PROTOCOLE N° 11

I. UN NÉCESSAIRE AMÉNAGEMENT DES STRUCTURES DE CONTRÔLE

A. LES MOTIFS D'UNE RESTRUCTURATION

Par le champ des droits individuels qu'elle recouvre et la précision de leur description, par l'efficience de son système de contrôle, la Convention européenne des droits de l'homme répond bien, après 40 années de fonctionnement, aux espérances que ses initiateurs avaient placées en elle. Par sa jurisprudence exigeante et riche, la Cour a su faire progresser la protection des droits et libertés individuels en Europe, tant par les arrêts qu'elle a pu rendre que par le rôle d'aiguillon qu'elle a su tenir pour inciter certains Etats à aménager leurs législations intérieures dans une perspective plus respectueuse des droits fondamentaux.

Mais, victimes de leur propre succès, il est apparu indispensable de procéder à une restructuration de ses organes de contrôle, pour plusieurs raisons.

l'abondance des requêtes individuelles : si le nombre de requêtes étatiques est resté relativement limité, celui des requêtes individuelles a connu une croissance exponentielle : de 1955 à 1993, 23 114 requêtes ont été enregistrées par la Commission (2 037 en 1993). Si la moyenne annuelle des requêtes était de 444 entre 1975 et 1984, elle a atteint 1 313 de 1985 à 1993. La Cour a été confrontée à un phénomène identique : si elle n'a eu à rendre que 31 décisions entre 1959 et 1978, ce chiffre est passé à 417 entre 1979 et 1994 et ,depuis 1991, elle rend une moyenne de 71 arrêts par an.

la lenteur de la procédure. Celle-ci est directement liée à l'engorgement dont il vient d'être fait mention. De la saisine de la Commission à l'arrêt de la Cour, la durée de la procédure est en moyenne de 5 ans et demi. Même si les aménagements de procédure (constitution du comité de trois membres au sein de la commission pour procéder au filtrage des requêtes) ont récemment permis une réduction de ce délai, il reste néanmoins excessif, singulièrement pour une Cour qui peut être amenée à sanctionner tout manquement à l'obligation de "délai raisonnable du procès équitable".

on a également mis en relief le manque de clarté de la procédure pour les particuliers : la multiplicité des scénarios possibles après une saisine individuelle -rejet éventuel de la requête par la Commission, rapport de la même Commission, décision du Comité des ministres, arrêt de la Cour, règlement amiable avec l'Etat en cause- est susceptible de décourager, par sa complexité apparente, des requérants potentiels.

il convient enfin de rappeler que la dualité des instances Commission/Cour a abouti sinon à des arrêts divergents -la Commission n'est pas à proprement parler un organe juridictionnel- du moins à des appréciations différentes du fond d'une affaire, la Commission se montrant souvent plus libérale que la Cour dans son interprétation de la convention. Sans aller jusqu'à évoquer le terme de "guerre des juges", on ne peut manquer de relever, ici et là, des divergences de jurisprudence entre les deux instances de contrôle.

B. LES ÉTAPES DE LA RÉFORME

Entre un aménagement limité du mode de fonctionnement des instances de contrôle -augmentation des moyens matériels et humains- et une réforme plus fondamentale, c'est cette dernière option qui fut choisie. Il convint ensuite d'opérer un choix entre la mise en place d'une juridiction à deux niveaux -Commission puis Cour- ou entre la fusion de ces deux instances. Cette dernière hypothèse fut évoquée pour la première fois en 1985 lors de la Conférence ministérielle européenne de Vienne sur les droits de l'homme. Par la suite, le Comité directeur pour les droits de l'homme (CDDH) et le Comité d'experts pour l'amélioration des procédures de protection des droits de l'homme (DH-PR) examinèrent la faisabilité des deux propositions concurrentes (Cour unique ou juridiction à deux niveaux).

Le 28 mai 1993, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe, soucieux de voir la réforme aboutir rapidement, confia au CDDH le mandat suivant, où figure à la fois la notion d'une Cour unique et celle d'une "structure appropriée" permettant un réexamen éventuel.

"Le Comité des Ministres met l'accent sur la nécessité d'une réforme du mécanisme de surveillance de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, ayant pour but d'améliorer l'efficacité et de diminuer le temps mis au traitement des requêtes individuelles, au coût minimum.

Pour cette raison, le Comité des Ministres charge le CDDH de préparer un projet de protocole d'amendement à la Convention, portant restructuration du mécanisme de surveillance existant en leremplaçant par :

une Cour qui :

- devrait se composer d'un nombre de juges égale à celui des membres du Conseil de l'Europe ;

- devrait travailler en comités et en Chambres ; et

- doit être munie :

- d'un mécanisme effectif pour le filtrage des requêtes ;

- d'une procédure effective permettant des règlements amiables ;

- d'une structure appropriée assurant la qualité et la cohérence de sa jurisprudence et permettant un réexamen dans des cas exceptionnels, par exemple ceux soulevant des questions graves relatives à l'interprétation ou à l'application de la Convention ; une disposition devrait être élaborée pour la présence d'un juge national lors d'un quelconque réexamen de cette sorte ;

- le Comité des Ministres gardant la compétence que lui confère l'article 54, étant entendu que sa compétence d'examiner les requêtes individuelles en vertu de l'actuel article 32 est abolie.

Le CDDH devait également examiner :

- la question de savoir si le droit de recours individuel devrait ou non rester facultatif ;

- la manière dont les requêtes interétatiques devraient être traitées ;

- le rôle et les fonctions d'éventuels Avocats Généraux".

C'est sur cette base avalisée par la déclaration de Vienne issue du sommet des chefs d'Etat et de gouvernement du Conseil de l'Europe, le 9 octobre 1993, que le Comité d'experts fut chargé d'élaborer un projet de protocole d'amendement, agréé par la suite par le CDDH et enfin adopté par le Comité des Ministres le 20 avril 1994. Le texte final a été soumis le 11 mai 1994 à la signature des Etats membres du Conseil de l'Europe signataires de la convention.

II. CRÉATION D'UNE COUR UNIQUE

Le protocole n° 11 à la Convention européenne des droits de l'homme modifie très sensiblement la structure institutionnelle et les compétences des différents organes chargés de veiller au respect, par les Etats parties, des dispositions de la convention.

Essentiellement, le protocole procède à la fusion de deux des trois organes en charge du mécanisme de contrôle -Commission, Cour- pour leur substituer un seul organe, la Cour.

1. Une composition rénovée

Si le statut de la Cour unique n'est que légèrement modifié, à ceci près qu'elle devient désormais une instance permanente, sa composition est substantiellement rénovée : ainsi est-il précisé que « la Cour se compose désormais d'un nombre de juges égal à celui des Hautes Parties contractantes » (article 20) 6 ( * ) . Le nombre de juges sera donc celui des Etats signataires de la Convention et non des Etats membres du Conseil de l'Europe dont certains peuvent n'être pas partie à ladite convention. Le nouvel article supprime la règle exigeant que la Cour ne puisse comprendre plus d'un ressortissant d'un même Etat.

Le mandat des juges -qui demeurent élus par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe- est réduit de neuf à six ans (article 23), et ce mandat s'achèvera impérativement lorsqu'ils atteindront l'âge de 70 ans (article 23, § 6).

Enfin, une nouvelle disposition est destinée à faciliter le fonctionnement de la Cour : ses membres bénéficieront de l'assistance de référendaires, collaborateurs qui pourront être nommés sur proposition des juges (article 25).

2. Les nouvelles formations contentieuses

Pour l'examen des affaires dont elle sera saisie, la Cour siégera en comités, en chambres et en une grande chambre. Cette différenciation des formations contentieuses a été choisie par les auteurs du protocole pour prendre en compte les tâches spécifiques dévolues actuellement à la Commission et à la Cour.

L'Assemblée plénière, qui devrait réunir une quarantaine de juges, ne disposera guère que de compétences administratives (article 26) : élection pour trois ans de son président et d'un ou deux vice-présidents ; constitution des chambres pour une période déterminée ; élection des présidents des chambres ; adoption du Règlement et élection du greffier et de son ou ses adjoints.

a) Les Comités de trois juges (articles 27 et 28)

Ces comités sont constitués par les chambres de la Cour pour une période déterminée : la compétence d'un comité de trois juges se limite à la déclaration, votée à l'unanimité, de l'irrecevabilité ou la radiation votée du rôle d'une requête individuelle 7 ( * ) qui ne nécessite pas un examen complémentaire. Cette décision est définitive.

b) Les Chambres de sept juges

Celles-ci sont constituées par la Cour pour une période déterminée. C'est elle qui désignera les sept juges, selon des modalités qui seront définies par le Règlement de la Cour. En toute hypothèse, le juge élu au titre d'un Etat partie au litige sera membre de droit de la chambre.

La chambre est la clé de voûte du dispositif nouveau : c'est à elle qu'il reviendra d'examiner le fond et la recevabilité des requêtes étatiques et des requêtes individuelles, si aucune décision d'irrecevabilité ou de radiation du rôle n'a été prise par le Comité de trois juges (voir supra). D'une façon générale, la décision sur la recevabilité sera prise séparément de celle concernant le fond. Il convient de rappeler que les conditions de recevabilité, énumérées à l'article 35 du protocole, sont identiques à celles prévues aux articles 26, 27 et 29 de la convention.

C'est ainsi que la chambre reprendra les compétences exercées dans le présent système de contrôle par la Commission : étude de la recevabilité de la requête, établissement des faits dans le cadre d'un examen contradictoire, mise à la disposition des parties pour parvenir à un règlement amiable (article 38, § a et b). Il reviendra à la chambre, à la différence de la Commission, de statuer au fond de l'affaire (article 41) par une déclaration de la violation de la convention et, éventuellement, une décision pour une satisfaction équitable

c) La Grande Chambre de 17 juges

La Grande Chambre, comme les chambres de 7 juges, sera constituée au cas par cas. Sa composition réunira des membres de droit -le Président de la Cour, les vice-présidents, les présidents de chambres et le juge élu au titre de l'Etat mis en cause dans le litige- et des juges tirés au sort lors de chaque affaire.

La Grande Chambre peut être saisie de deux façons : à la demande d'une chambre -c'est le dessaisissement (article 30), ou à celle de toute partie à l'affaire dans le cadre d'une procédure de renvoi ou de réexamen (article 43).

le dessaisissement

L'article 30 dispose qu'une chambre peut se dessaisir d'une affaire pendante devant elle au profit de la Grande Chambre dans deux hypothèses : si intervient une "question grave relative à l'interprétation de la convention ou de ses protocoles" ou si la solution d'une question risque de conduire à une contradiction de jurisprudence. On notera que ce dessaisissement a un caractère conditionnel puisqu'il est tributaire de l'approbation des parties au litige. Cette conditionnalité est interprétée comme permettant de ne pas priver les parties d'un réexamen éventuel de l'affaire par la Grande Chambre, mais cette fois au titre du renvoi.

le renvoi : l'article 43 prévoit que, dans un délai de trois mois à compte de la date de l'arrêt d'une chambre "toute partie à l'affaire peut, dans des cas exceptionnels, demander le renvoi de l'affaire devant la Grande Chambre".

La demande de renvoi est alors examinée dans un premier temps par un collège de cinq juges de la Grande Chambre qui accepte la demande "si l'affaire soulève une question grave relative à l'interprétation ou à l'application de la convention ou de ses protocoles, ou encore une question grave de caractère général".

Plusieurs juristes se sont interrogés sur la qualification juridique précise qu'il convenait de conférer à cette modalité de réexamen. Selon certains 8 ( * ) , il ne saurait s'agir d'un "renvoi" au sens traditionnel de ce terme, dans la mesure où en général, "le renvoi organise un transfert de compétence d'une juridiction à une autre, relève de la décision de la juridiction qui renvoie et se situe avant toute décision au fond". En l'occurrence, ces trois caractéristiques ne sont pas réunies : la juridiction est unique, la décision relève des parties et le renvoi intervient après un arrêt rendu par la Chambre.

Il ne s'agirait pas davantage d'une modalité d'appel dans la mesure où le renvoi-réexamen n'est pas automatique, conditionné qu'il est par la décision du collège des cinq juges.

Il semble que cette disposition de réexamen ait davantage comme finalité de ménager à l'Etat partie, lorsqu'est en cause "une question importante d'intérêt politique ou d'intérêt public" une possibilité de réformation du premier arrêt de la Chambre.

Enfin cette procédure qui fait revivre, sous une forme nouvelle, la dualité de juridiction existant dans le système actuel (Commission, Cour), pourrait paradoxalement aboutir, aux dires d'experts, à une "altération de la procédure juridictionnelle". En faveur de cette analyse, on avance la pratique de la Cour qui, dans le passé, avait plus souvent conclu (84% des cas) à une non-violation de la convention que la Commission. On fait valoir aussi que la saisine de la Grande Chambre peut aboutir à remettre en cause le travail réalisé par la Chambre, la Grande Chambre ayant la faculté "à tout stade de la procédure", de considérer une requête comme irrecevable (article 35, § 4).

En réalité, c'est à la Cour elle-même qu'il appartiendra de gérer ce nouveau dispositif de réexamen. Il est alors permis de penser que les juges qui la composent sauront, comme ils l'ont amplement démontré dans le passé, exploiter ces dispositions nouvelles en faveur d'une garantie toujours accrue des droits individuels.

III. LES NOUVEAUX ORGANES DE JUGEMENT S'INSCRIVENT DANS UN PROCESSUS PLUS JURIDICTIONNEL

Deux modifications principales sont en effet prévues en ce domaine par le protocole n° 11 : la première concerne le droit de recours individuel et la seconde retire au Comité des Ministres -organe politique- sa compétence décisionnelle.

1. Un droit de recours individuel conforté

Le protocole n° 11 supprime deux clauses facultatives de la convention : le droit de recours individuel n'est plus conditionné à la déclaration d'acceptation de la compétence de la Cour par l'Etat défendeur. Par ailleurs, la compétence de la Cour devient obligatoire. Cela étant, la pratique avait déjà permis d'avancer sur cette voie et les dispositions nouvelles accordent le droit aux faits : le droit de recours individuel est aujourd'hui reconnu par tous les Etats parties, de même que la compétence de la Cour.

Ensuite, le protocole n° 11 ouvre, pour les particuliers, un droit de saisine directe, alors qu'auparavant, l'individu ne pouvait saisir que la seule Commission, la Cour n'ayant à connaître que de l'Etat défendeur.

Désormais, l'article 34 précise que "la Cour peut être saisie par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d'une violation, par l'une des parties contractantes, des droits reconnus dans la convention ou ses protocoles (...)".

2. La compétence résiduelle du Comité des Ministres

L'intervention, dans le cadre d'une procédure judiciaire, d'un organe intergouvernemental dont la vocation est prioritairement politique, revêtait un caractère particulièrement ambigu. Au regard de toute pratique judiciaire moderne, l'absence de publicité de la procédure, son caractère non contradictoire, la possibilité pour l'Etat en cause de voter sur le litige auquel il est partie, avaient un caractère assez choquant.

Le protocole n° 11 supprime donc la compétence reconnue par l'article 32 de la convention au Comité des Ministres de prendre une décision au fond, qu'il s'agisse d'une requête individuelle ou d'une affaire interétatique. Le Comité ne conserve plus que la tâche de surveillance de l'exécution des arrêts de la Cour (article 54 de la convention).

*

* *

CONCLUSION

L'extension déjà réalisée du Conseil de l'Europe à de nombreux pays d'Europe centrale et orientale, de même que celles qui devraient intervenir dans un avenir plus ou moins proche (Russie, Ukraine, Macédoine) justifiaient la refonte des instances de contrôle de la Convention européenne des droits de l'homme. Ce texte n'a pas pour moindre mérite d'unifier un continent, par ailleurs si fractionné, autour de valeurs communes et de droits fondamentaux dont le respect n'est pas toujours scrupuleux.

Le protocole aujourd'hui soumis à notre examen, en confortant l'oeuvre déjà accomplie et en lui donnant les moyens de se parfaire encore constitue donc un complément attendu et utile au texte de 1950. Votre rapporteur vous invite donc à adopter le projet de loi soumis à notre Haute Assemblée.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné le présent projet de loi au cours de sa séance du mercredi 11 octobre 1995.

A l'issue de l'exposé du rapporteur, M. Philippe de Gaulle s'est déclaré très réservé sur le rôle de la convention des droits de l'homme, en ce qu'elle autorisait une forme d'ingérence dans les dispositifs législatifs internes des Etats parties.

M. Gérard Gaud a fait observer au commissaire que le protocole n° 11 soumis à l'examen du Sénat n'avait qu'un objectif limité, tendant à réorganiser les instances de contrôle afin d'en améliorer l'efficacité.

PROJET DE LOI

Texte présenté par le Gouvernement

Article unique

Est autorisée la ratification du protocole n° 11 à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, portant restructuration du mécanisme de contrôle établi par la convention (ensemble une annexe), fait à Strasbourg le 11 mai 1994 et dont le texte est annexé à la présente loi 9 ( * ) .

* 1 la convention européenne des droits de l'homme, PUF

* 2 A l'exception de la Convention américaine, la plupart des autres instruments internationaux des droits de l'homme n'offrent pas une telle protection.

* 3 à l'exception de la peine de mort prononcée, en application de la loi, pour des actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre.

* 4 Rapport n° 29 (1973-1974) de M. Roger Poudonson.

* 5 La France a signé mais n'a pas ratifié le protocole n° 10 non entré en vigueur, modifiant les règles de vote du Comité des Ministres sur les rapports de la Commission.

* 6 A ce jour, 31 Etats ont ratifié la convention, sur 36 Etats membres du Conseil de l'Europe.

* 7 La recevabilité des requêtes étatiques est examinée par la Chambre.

* 8 Frédéric Sudre. La Semaine juridique n° 21-22 (1995).

* 9 Voir document annexé au projet de loi n° 373 (1994-1995)

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