N° 423
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996
Annexe au procès-verbal de la séance du 12 juin 1996.
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi, ADOPTÉE AVEC MODIFICATIONS PAR l'ASSEMBLEE NATIONALE EN DEUXIÈME LECTURE, relative à l 'adoption.
Par M. Luc DEJOIE,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, François Giacobbi, Charles Jolibois, Robert Pagès, vice-présidents ; Michel Rufïn, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, Paul Masson, secrétaires : Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, Pierre Biarnès, François Blaizot, André Bohl, Christian Bonnet, Mme Nicole Borvo, MM. Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Michel Dreyfus Schmidt, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Lucien Lanier, Guy Lèguevaques, Daniel Millaud, Georges Othily, Jean-Claude Peyronnet, Claude Pradille, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre Schosteck, Alex Turk, Maurice Ulrich
Voir les numéros :
Assemblée nationale (10ème législ.) : Première lecture : 2251, 2449 et TA 449
Deuxième lecture : 2727, 2794 et TA 542
Sénat : Première lecture : 173, 295, 298 et TA 112 (1995-1996)
Deuxième lecture : 396 (1995-1996)
Adoption
LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION
Réunie le mercredi 12 juin 1996 sous la présidence de M. Charles Jolibois, vice-président, la commission a examiné, sur le rapport de M. Luc Dejoie, la proposition de loi relative à l'adoption, adoptée en deuxième lecture par l'Assemblée nationale.
Sur le titre premier qui modifie le code civil, elle a adopté 13 amendements, s'en remettant, comme en première lecture, à la commission des Affaires sociales pour les titres 11 à V qui constituent le volet social de la proposition de loi.
Comme en première lecture, elle a supprimé la différence d'âge maximum entre l'adopté et l'adoptant introduite par l'Assemblée nationale (art. 3) et maintenu à trois mois le délai de rétractation de l'accord donné à l'adoption que l'Assemblée nationale a successivement réduit à six semaines puis à deux mois (art. 7 et 11).
Elle a par ailleurs préféré, comme en première lecture, garder à l'adoption simple sa dénomination actuelle plutôt que celle d'adoption « complétive » proposée par l'Assemblée nationale. Soucieuse de conserver son rôle à cette forme d'adoption, elle a en outre supprimé la prorogation, au-delà de la majorité, de la faculté de prononcer une adoption plénière (art. 4-II).
S'agissant de l'adoption plénière des enfants du conjoint, elle a souhaité, comme en première lecture, en limiter la faculté en cas de décès de l'autre parent à l'absence de tout ascendant ; en revanche, elle a admis, comme l'Assemblée nationale l'avait suggéré en deuxième lecture, que l'adoption puisse être prononcée en cas de déchéance totale des droits de l'autre parent (art. 5). Elle a par ailleurs considéré qu'une adoption simple pouvait être prononcée après une adoption plénière si le juge estime que tel est l'intérêt de l'enfant (art. 16 A).
S'agissant de l'adoption internationale, la commission a préféré supprimer une nouvelle fois l'article 15 afin de ne pas heurter, dans le code civil, les principes du droit international privé à la veille de la ratification de la convention de La Haye et dans la mesure où la jurisprudence de la Cour de cassation permet de résoudre les difficultés liées à l'absence de législation sur l'adoption dans le pays d'origine de l'enfant dès lors que le représentant légal de celui-ci a consenti à l'adoption en pleine connaissance de ses effets au regard de la loi française.
La commission a par ailleurs décidé de ne pas proposer le rétablissement dans le code civil des articles relatifs au recueil facultatif d'informations non-nominatives auprès de la mère ayant demandé le secret de son accouchement ou des parents qui remettent leur enfant aux fins d'adoption en demandant le secret de leur identité, dans la mesure où l'Assemblée nationale a estimé que la solennisait de ce dispositif n'était pas utile (art. 6 bis, 27 ter A et B). Elle a revanche précisé, à l'article 30, que le représentant légal de l'enfant est informé de la levée du secret par les parents biologiques, et elle a rétabli, à l'article 31, une limite d'âge minimum de treize ans pour accéder aux informations non nominatives.
Elle a également adopté sans modification les dispositions relatives à l'adoption posthume (art. 13), au prononcé d'une adoption simple après une adoption plénière (art. 16 A), à la reconnaissance d'enfant naturel (art. 27 ter AA) et à la notification du changement de domicile aux personnes titulaires d'un droit de visite ou d'hébergement (art. 27 quater).
Mesdames, Messieurs.
Le Sénat est appelé à examiner à nouveau la proposition de loi relative à l'adoption adoptée, en deuxième lecture, par l'Assemblée nationale le 29 mai 1996.
Rappelons que, selon les termes mêmes de son auteur. M. Jean-François Mattéi, cette proposition de loi qui ne remet pas en cause les principes fondamentaux du régime de l'adoption posés par la loi du 11 juillet 1966, a pour objet « de rendre les conditions et les procédures d'adoption plus simples, plus sûres et plus justes » .
Comme en première lecture, votre commission des Lois, saisie au fond, s'est attachée à l'examen du titre premier, qui modifie le code civil, et aux articles 30 et 31 qui organisent le recueil, la conservation et la communication d'informations non-identifiantes relatives aux parents par le sang d'enfants adoptés avec demande de secret de l'accouchement ou de l'état-civil des parents d'origine. Elle a renvoyé à la commission des Affaires sociales, saisie pour avis, l'examen des dispositions du volet social de la proposition de loi et vous demande en conséquence de suivre, pour ces dispositions, les conclusions présentées par le rapporteur pour avis, notre collègue M. Lucien Neuwirth.
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En première lecture, le Sénat avait retenu sans modification plusieurs des dispositions adoptées par l'Assemblée nationale, ainsi l'assouplissement des conditions d'âge et de durée du mariage (art. premier et 2), le choix de l'adoptant par le tuteur (art. 8), la transcription du jugement d'adoption de l'enfant né à l'étranger (art. 14 bis), l'extension aux enfants de l'adopté des liens de parenté entre l'adoptant et l'adopté (art. 19), l'attribution des prénoms en cas d'accouchement anonyme (art. 27 bis), enfin l'action en contestation de la reconnaissance d'un enfant naturel (art. 27 ter).
Il avait également retenu, sous réserve de préserver la pleine capacité d'appréciation du juge prononçant le jugement d'adoption, le principe de la prise en compte par celui-ci de l'agrément administratif délivré aux personnes souhaitant adopter un enfant (art. 14). De même, il avait adopté, sous réserve d'une modification rédactionnelle, les articles relatifs à l'adoption posthume (art. 13) et à la révocation de l'adoption simple à la demande du ministère public (art. 20) ainsi que le remplacement de la déchéance de l'autorité parentale par le retrait total ou partiel de cette autorité (art. 21 à 27).
Il avait en revanche écarté deux modifications que l'Assemblée nationale avait souhaité apporter au régime actuel de l'adoption, d'une part l'introduction d'un écart d'âge maximum de 45 ans entre l'adoptant et l'adopté (art. 3 et 15 bis), d'autre part la réduction à six semaines du délai de rétractation du consentement à l'adoption (art 7). Il avait en outre limité les cas dans lesquels l'enfant du conjoint peut faire l'objet d'une adoption plénière (art. 5).
A l'initiative de notre collègue, M. Lucien Neuwirth, le Sénat avait en outre modifié l'article 350 du code civil pour préciser que, « sauf le cas de grande détresse des parents », le tribunal déclare l'abandon de l'enfant dont les parents se sont manifestement désintéressés pendant l'année précédant l'introduction de la demande en déclaration d'abandon (art. 10).
Le Sénat avait par ailleurs supprimé la règle de conflit de lois en matière d'adoption internationale dans la mesure où elle était contraire aux principes du droit international privé et n'apparaissait pas indispensable dès lors que la jurisprudence avait apporté une solution satisfaisante à la situation des enfants dont la loi nationale ignore l'adoption (art. 15).
Il avait également souhaité mettre l'accent sur le rôle de l'adoption simple qui constitue une réponse adaptée à certaines situations. Il avait donc supprimé l'allongement du délai d'adoption plénière de l'enfant âgé de plus de 15 ans (art. 4) et prévu que tout enfant ayant fait l'objet d'une adoption plénière puisse bénéficier ultérieurement d'une adoption simple si le juge estime que tel est son intérêt (art. 16 A). Enfin, il avait écarté la nouvelle dénomination d' « adoption complétive » que l'Assemblée nationale avait souhaité donner à l'adoption simple (art. 16 et 17).
Le Sénat avait enfin complété le titre premier de la proposition de loi par trois articles nouveaux pour introduire dans le code civil une partie des dispositions des articles 30 et 31 de la proposition de loi ouvrant aux mères qui demandent que leur accouchement soit tenu secret ou aux parents qui remettent leur enfant aux fins d'adoption en demandant le secret de leur état-civil, la faculté de donner des informations relatives à l'enfant et à eux-mêmes sous réserve qu'elles ne permettent pas de les identifier (art. 6 bis. 27 ter A et B).
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En deuxième lecture, l'Assemblée nationale n'a adopté sans modification que l'article 20 relatif à la révocation de l'adoption simple à la demande du ministère public et les articles 21 à 27 modifiant la dénomination de la déchéance de l'autorité parentale.
Elle est en revanche revenue à son texte initial pour plusieurs dispositions :
- la déclaration judiciaire d'abandon dont elle ne souhaite que l'adaptation rédactionnelle (art. 10) ;
- l'introduction d'une norme de conflit de lois en matière d'adoption internationale (art. 15) ;
- la désignation de l'adoption simple sous la qualification de « complétive » (art. 4 et 17).
Elle a par ailleurs repris, en les modifiant, certaines dispositions qu'elle avait adoptées en première lecture :
- l'introduction d'un écart d'âge maximal entre adoptants et adoptés, qu'elle a porté de 45 à 50 ans (art. 3) ;
- l'élargissement des cas d'adoption de l'enfant du conjoint en y ajoutant la déchéance de l'autorité parentale (art. 5) ;
- la réduction de trois à deux mois (au lieu de six semaines en première lecture) du délai de rétractation du consentement à l'adoption (art. 7) ;
- la prise en compte de l'agrément administratif par le juge de l'adoption, sous réserve d'une rectification de référence (art. 14) ;
- la faculté de prononcer une adoption simple sur une adoption plénière « s'il est justifié de motifs graves » (art. 16 A).
Elle a d'autre part écarté certaines des suggestions du Sénat, ainsi l'introduction dans le code civil des dispositions relatives au recueil et à la communication d'informations relatives aux parents d'origine ayant demande à conserver l'anonymat (art. 6 bis, 27 ter A et B).
Enfin l'Assemblée nationale a introduit deux dispositions nouvelles :
- à l'initiative de MM. Ehrmann et Philibert ainsi que de Mme Catala, l'information de l'autre parent en cas de reconnaissance d'un enfant naturel (art. 27 ter AA) ;
- à l'initiative du Gouvernement, la sanction du défaut de notification du changement de domicile aux personnes titulaires d'un droit de visite ou d'hébergement à l'égard d'un enfant naturel (art. 27 quater).
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• En deuxième lecture, votre commission des
Lois vous propose d'adopter
sans modification :
- l'article 13, relatif à l'adoption post mortem ;
- l'article 16 A, qui soumet le prononcé d'une adoption simple après une adoption simple à la constatation de « motifs graves » et non plus d'un « échec avéré » de l'adoption plénière.
- les deux dispositions nouvelles introduites en deuxième lecture par l'Assemblée nationale, c'est-à-dire les articles 27 ter AA, qui organise l'information du premier parent qui a reconnu un enfant naturel en cas de reconnaissance par l'autre parent, et 27 quater, qui prévoit la sanction du défaut de notification du changement de domicile aux personnes exerçant à l'égard des enfants naturels un droit de visite ou d'hébergement.
Par ailleurs, votre commission des Lois ne proposant pas de rétablir dans le code civil les trois dispositions adoptées en première lecture par le Sénat pour ouvrir à la mère qui accouche anonymement ou aux parents qui remettent l'enfant aux fins d'adoption en demandant à préserver le secret de leur identité, la faculté de donner des informations les concernant dès lors qu'elles ne permettent pas de les identifier, elle vous demande de souscrire à la suppression de ces articles dès lors que l'Assemblée nationale les a considérés comme inutiles alors qu'ils étaient destinés à conférer un caractère plus solennel aux dispositions qu'elle avait proposées (art. 6 bis. 27 ter A et B).
Elle vous propose en revanche de compléter le code de la famille et de l'aide sociale pour préciser que le représentant légal de l'enfant est informé de la levée, par les parents biologiques, du secret de leur identité (art. 30). Le dispositif serait ainsi équilibré, étant clairement entendu que cette disposition ne constitue en rien un pas vers une quelconque remise en cause du secret, lorsqu'il a été demandé par les parents biologiques et qu'ils ne souhaitent pas y renoncer, ni de la liberté de l'enfant de ne pas chercher à connaître les intéressés et de ne pas être sollicité à cet effet.
• Votre commission des Lois vous demande en revanche
de
supprimer à nouveau l'écart d'âge maximal
entre l'adoptant et l'adopté, que l'Assemblée nationale
a porté à 50 ans en deuxième lecture, dans la mesure
où il pourrait conduire à rendre difficile l'adoption de fratries
ou d'enfants dits « à particularités », ou
encore hâter des adoptions successives selon un rythme qui risque de
perturber l'équilibre familial (art. 3).
Par ailleurs, si votre commission des Lois est très sensible au développement psychoaffectif de l'enfant remis aux fins d'adoption et à la nécessité de le maintenir le moins longtemps possible dans des institutions spécialisées, il lui semble toutefois que l'intérêt de l'enfant, comme celui de sa mère biologique, commande que celle-ci dispose d'un délai suffisant pour se rétablir après un accouchement généralement difficile et prendre une décision en pleine connaissance de ses conséquences.
Pour ces motifs, elle vous propose de confirmer votre vote de première lecture et de conserver au délai de rétractation sa durée actuelle de trois mois (art. 7 et 11).
Comme en première lecture, votre commission des Lois vous propose de conserver sa dénomination actuelle à l'adoption simple qui constitue la forme la plus ancienne et la plus universelle de filiation adoptive.
Le qualificatif de « complétive » proposé par M. Jean-François Mattéi lui paraît en effet pour le moins inhabituel et inadapté dans la mesure, notamment, où il tendrait à suggérer que, sans cette adoption, la filiation de l'enfant serait incomplète alors qu'en réalité l'adoption simple s'ajoute à la filiation initiale mais ne vient pas la compléter.
Votre commission des Lois estime par ailleurs, comme en première lecture, que la faculté actuelle de prononcer, sous certaines conditions, l'adoption plénière d'enfants âgés de quinze à dix-huit ans est suffisante et qu'il ne convient pas de la proroger jusqu'à vingt ans. L'adoption simple constitue en effet la meilleure réponse à des situations de cette nature (art. 4-II).
S'agissant de l'adoption des enfants du conjoint, votre commission des Lois vous propose d'admettre, comme l'Assemblée nationale l'a souhaité en deuxième lecture, qu'elle puisse être prononcée en cas de déchéance totale des droits de l'autre parent. En revanche, il lui semble nécessaire de limiter l'adoption en cas de décès de l'autre parent à la situation dans laquelle ce parent n'a laissé aucun ascendant ; dans tous les autres cas, il est en effet important que l'enfant conserve ses liens avec la famille de ce parent (art. 5).
S'agissant du prononcé de l'adoption, votre commission des Lois vous propose simplement de prévoir que le juge vérifie que le ou les demandeurs sont titulaires de l'agrément pour adopter ou en sont dispensés, sans procéder, dans le code civil, par référence au code de la famille et de l'aide sociale (art. 14).
En matière d'adoption internationale, la commission des Lois persiste à penser que l'introduction dans le code civil d'une disposition reprenant la jurisprudence de la Cour de cassation en matière d'adoption d'enfants étrangers risque de soulever un certain nombre de difficultés :
- sur le terrain du droit international privé tout d'abord, dans la mesure où l'état des personnes est une compétence nationale, ce que la convention de La Haye, que la France s'apprête à ratifier, confirme expressément ;
- en matière de relations internationales dès lors que le texte voté par l'Assemblée nationale écarte de plein droit l'application de la législation nationale des pays qui ignorent ou prohibent l'adoption ;
- enfin, au regard de l'efficacité de la lutte contre les trafics d'enfants, dans la mesure où les filières en provenance des pays prohibant l'adoption seraient encouragées par une disposition susceptible de laisser croire aux candidats à l'adoption qu'il est aisé d'adopter des enfants venant de pays ignorant cette procédure, alors même que les conditions du prononcé de telles adoptions sont strictes et appréciées au cas d'espèce.
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Sous réserve de ces observations et des amendements qu'elle vous propose, votre commission des Lois vous demande d'adopter les dispositions restant en discussion de la présente proposition de loi.