CHAPITRE PREMIER - UN PROJET DE LOI ATTENDU
« Il faut y croire, on n'a pas le choix dit un professionnel engagé dans le long et difficile parcours des négociations sur le projet de loi d'orientation. De tels propos sont révélateurs du séisme qu'à connu le secteur des pêches maritimes il y a maintenant un peu plus de trois ans, crise comparable aux événements de 1975 et 1980.
La gravité et la brutalité de la crise du secteur des pêches en France dont les causes sont multiples ont, semble-t-il, servi de « catalyseur à la prise de conscience, par les professionnels et les pouvoirs publics, de la nécessité de réorganiser en profondeur la filière 1 ( * ) . Les premières mesures adoptées, notamment sur le plan national, ont renforcé les atouts de ce secteur dont, cependant, la situation demeure préoccupante.
I. UN SECTEUR ÉPROUVÉ PAR LA CRISE
Au cours de ces dernières années, le secteur de la pêche a été en proie à une crise profonde dans l'ensemble de l'Union européenne et particulièrement en France. Cette crise a des causes multiples, d'ordre structurel aussi bien que conjoncturel.
A. UNE CRISE DONT LES FACTEURS SONT MULTIPLES
1. Les facteurs généraux de la crise
a) Un environnement économique défavorable
Des facteurs généraux -qui concernent l'ensemble des États de l'Union européenne- permettent d'expliquer l'ampleur de la crise dans le secteur des pêches maritimes.
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Le problème spécifique de la
raréfaction des ressources
La raréfaction de la ressource est l'une des raisons les plus fréquemment invoquées pour expliquer la crise des années 1990. Si la « surpêche a pu en effet entraîner une réelle raréfaction pour certaines espèces dans des zones géographiques déterminées, il ne faudrait pas que ce problème de ressource, reconnu et incontestable, soit amplifié de manière excessive, devenant la dimension exclusive motivant la prise de décision politique, notamment au niveau communautaire.
Comme d'autres activités de production primaire, la pêche consiste fondamentalement à prélever des biens naturels pour satisfaire des besoins économiques et sociaux. Toutefois, du fait de leurs spécificités, les ressources halieutiques marines imposent des contraintes particulières. Pour les besoins opérationnels d'analyse et de gestion des ressources, les espèces benthiques 2 ( * ) , demersales et pélagiques sont réparties en stocks dont les critères biologiques diffèrent (géographie, âge ...).
La disponibilité des ressources halieutiques est très largement déterminée par la nature et l'homme n'a qu'un contrôle très limité sur leur abondance et leur productivité. L'enjeu majeur pour les pêcheurs est de comprendre comment fonctionne chaque stock et d'adapter leurs modalités de capture, quantitativement et qualitativement, pour tirer durablement le meilleur parti de ce que la nature met à leur disposition 3 ( * ) .
Si les ressources vivantes de la mer appartiennent à la catégorie des ressources renouvelables (par la croissance et la reproduction), variables, composites et souvent inobservables, elles n'en demeurent pas moins vulnérables et limitées. Leur gestion peut être à ce titre comparée à l'utilisation des eaux souterraines. S'il est donc vrai, que la population d'un stock donné peut varier en fonction de l'évolution du milieu, il existe, à tout moment, une production maximale au-delà de laquelle le stock ne peut plus être exploité de façon durable. L'accroissement de l'effort de pêche au delà de ce point non seulement n'entraîne pas une augmentation des prises mais provoque parfois une réduction de la production annuelle.
Les activités de pêche dans l'Union européenne sont, pour certaines espèces, depuis longtemps confrontées à une raréfaction des disponibilités en poissons. Plusieurs indicateurs permettent en effet de dresser un diagnostic sur l'état des ressources : la fraction du stock sur laquelle porte l'exploitation, le taux d'exploitation de ce stock et l'abondance des adultes.
Selon l'Institut français pour la Recherche et l'Exploitation de la Mer (IFREMER), l'examen de l'état en 1995 des stocks halieutiques de l'Atlantique Nord-Est atteste que la plupart des ressources, qui présentent un intérêt primordial pour les pêcheurs français sont, pour le moins, pleinement exploitées, certaines étant nettement surexploitées (la morue en Mer du Nord, le merlan en Manche Est ou le hareng de mer Celtique). Il est même des cas où les stocks sont à un niveau si bas qu'ils ne donnent plus lieu à aucune pêche commerciale notable (la dorade rose par exemple).
Deux causes essentielles expliquent cette raréfaction : le fait que les capacités de captures actuellement mises en oeuvre dépassent les potentialités des stocks et la capture trop conséquente de jeunes individus. L'intensification excessive de l'effort de pêche a par ailleurs fait parfois tomber certaines pêcheries sous le seuil de rentabilité ; on se rappelle l'exemple de la pêche au hareng en mer du Nord, fermée à la fin des années 70. Pourtant, globalement, les réponses scientifiques au problème de la ressource restent très lacunaires. L'attitude de la Commission européenne paraît sujette à caution, et ce pour deux raisons essentielles : la première est sa tendance naturelle à fixer un « coefficient de précaution trop important, notamment en exigeant une réduction conséquente des armements, par rapport au risque réel de raréfaction des ressources halieutiques. La seconde est caractérisée par une tendance à globaliser la ressource.
Cependant quelques stocks de poissons pélagiques demeurent dans un état relativement satisfaisant . Il s'agit en particulier, de l'anchois et du thon qui offrent de réelles perspectives de développement.
Tout en prenant en compte les problèmes de la ressource, il ne faut pas que celui-ci soit la seule dimension qui motive la prise de décision politique. Ainsi le meilleur exemple est celui du hareng de Boulogne où l'interruption de la pêche totale pendant deux ans a provoqué la fermeture définitive d'une pêcherie. Quand la ressource a été reconstituée, les marchés n'existaient plus.
• Les tendances lourdes du commerce
international
A cette raréfaction de la ressource, qui constitue une sorte « d'arrière-plan de la crise (la production communautaire de poisson est passée de 7 à 5,5 millions de tonnes au cours des dix dernières années), il faut ajouter les évolutions de l'environnement commercial général, qui se sont manifestées par la conclusion des négociations du cycle de l'Uruguay ayant débouché sur un abaissement général des protections tarifaires ainsi que par un démantèlement progressif des obstacles aux échanges. Les produits de la mer, ayant été inscrits au GATT (Général agreement on tariffs and trade) lors des négociations du DILLON Round en 1962, sont donc « sujets à la libéralisation des échanges internationaux, la Communauté ayant consolidé les droits des produits de la pêche.
Ce phénomène inévitable de mondialisation des marchés et d'internationalisation de la production affecte d'autant plus les producteurs européens que l'approvisionnement de l'Union européenne dans le secteur des produits de la pêche est structurellement déficitaire. C'est ainsi que l'auto-approvisionnement qui satisfaisait encore 71 % de la demande en 1983, est maintenant dépassé par les apports extérieurs et ne représente plus que 46 % des besoins.
Enfin la réduction des coûts de transports, notamment aériens, contribue à remettre en cause la situation préférentielle des productions domestiques au profit de pays bénéficiant de coûts de production moindres en particulier pour la main-d'oeuvre, pays qui tirent parti déjà, par ailleurs, de facilités tarifaires d'accès au marché européen (notamment les pays d'Amérique du Sud).
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La multiplication des accords entre l'Union
européenne et le reste du monde
Le grand nombre d'accords de pêches conclus entre l'Union européenne et le reste du monde, sont très favorables aux importations de produits de la pêche à des conditions tarifaires dérogatoires au tarif douanier commun. Cette politique provoque une forte concurrence pour les produits pêchés dans les eaux communautaires.
Le régime actuellement applicable à l'importation des produits de la pêche est le résultat de la politique tarifaire poursuivie par la Communauté avec ses partenaires depuis trente ans.
Ce régime s'appuie sur une réglementation douanière commune qui implique la taxation de tout produit en provenance de pays tiers à son entrée sur le marché communautaire. Les taux sont déterminés pour chaque produit à l'intérieur de la grille du tarif douanier commun (TDC).
Globalement, les taux du TDC se situent, pour la plupart des produits frais, réfrigérés et congelés dans une fourchette de 10 à 18 % et aux environs de 25 % pour les produits transformés. Certains produits tels le saumon (2 %) ou les céphalopodes (6 à 8 %) bénéficient d'un taux moins élevé.
Le caractère fortement déficitaire de l'approvisionnement, tant en matière première (poisson frais, réfrigéré et congelé) pour les besoins de l'industrie de transformation, qu'en produits transformés (poissons fumés, conserves) très prisés par les consommateurs, a conduit l'Union européenne à faciliter les importations sur le territoire communautaire en provenance de pays à moindres coûts de production ou mieux dotés sur le plan de la ressource. En raison d'une politique de libre échange prônée par l'Union européenne, ces pays disposent ainsi d'un accès privilégié sur le marché communautaire aux produits de la mer. Les propositions de la Commission européenne, qui concernent des secteurs de production déjà en proie sur le territoire de l'Union européenne, à de réelles difficultés s'inscrivent dans le cadre de réductions ou de suppressions tarifaires au TDC.
Ces exceptions tarifaires à l'égard du monde peuvent être, en premier lieu, conventionnelles s'inscrivant dans le cadre de la politique économique extérieure de développement (exemple des suppressions tarifaires consenties aux produits originaires des pays ACP signataires de la convention de LOME IV), de coopération (exemple des avantages consentis à certains pays du Maghreb tels que le Maroc ou la Tunisie ou de rapprochement des législations (exemples des pays de l'AELE, Turquie ...).
Elles peuvent, en second lieu, dépendre d'un régime d'exceptions autonomes qui concernent :
- le système de préférences généralisées (SPG) qui est un instrument autonome de politique commerciale offrant aux pays en voie de développement un tarif douanier préférentiel par apport aux pays développés, afin de stimuler le développement de leur économie.
Depuis sa création lors de la conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement (CNUCED) de New Dehli en 1968, le SPG a régulièrement fait l'objet d'un renouvellement.
A la suite de l'adoption de l'accord de Marrakech, la Communauté a jugé le moment opportun d'opérer une révision du SPG, avec le souci, sans remettre en cause les objectifs de développement qui demeurent la base du SPG, d'introduire une sélectivité des concessions en fonction du niveau de développement effectivement atteint par les pays concernés et de prendre en compte, par ailleurs, la sensibilité des produits pour le marché communautaire.
Ces concessions ont été précisées par le règlement CE n° 1256/96 du Conseil du 20 juin 1996 applicable à compter du 1er janvier 1997 jusqu'au 30 juin 1999. L'une des conséquences de ce règlement est que, par exemple, le surimi transformé a été classé dans la catégorie des produits sensibles, ce qui n'entraîne qu'une réduction de 30 % : le droit de base de 20 % passe donc sur ce produit à 14 % pour les pays bénéficiaires du SPG.
Dans le même temps, le régime spécial du « SPG drogue 4 ( * ) introduit en 1990 a été lui aussi reconduit jusqu'en 1999 et étendu à de nouveaux pays d'Amérique latine.
- Les importations en provenance de pays tiers pour l'approvisionnement du marché communautaire, qui constituent des exceptions autonomes à l'application du TDC.
Les apports de flottes communautaires ne pouvant satisfaire que la moitié des besoins du marché, la Communauté ouvre chaque année, à titre autonome et dans le cadre d'un bilan d'approvisionnement, certaines possibilités d'importations à droit réduit. Ces réductions sont qualifiées de « suspensions lorsqu'elles ne comportent pas de limitation quantitative et de contingents dans le cas contraire.
Ainsi près des deux-tiers des importations communautaires s'effectuent sous couvert d'un régime dérogatoire.
Ainsi, dans le cadre de sa politique internationale en matière de pêches maritimes, l'Union européenne a conclu 26 accords de pêche avec des pays tiers dont 24 sont appliqués effectivement (cf. annexe n° 2).
Ces accords représentent 30 % des captures effectuées par les pêcheurs communautaires (soit près de 2 millions de tonnes) et portent en partie sur le thon.
De plus, des mandats de négociation ont été définis au sein des instances communautaires de façon à permettre l'ouverture de discussions avec le Royaume-Uni pour les possessions d'Outre-Mer, et l'Afrique du Sud aux fins de conclusions d'accords de pêche.
Les mandats de négociations donnés à la Commission européenne prévoient, à côté du système classique des licences, la possibilité de constituer des sociétés mixtes et des associations temporaires d'entreprises, à l'image des instruments conclus avec l'Argentine et le Groenland ou actuellement en discussions avec le Venezuela, le Mexique et la Namibie.
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Les carences du contrôle sur le
territoire européen
Le règlement sur le contrôle des pêches au niveau européen date d'octobre 1983. Un dispositif spécifique de contrôle de l'effort de pêche a été mis en place le 1er janvier 1996 (communication par les navires de l'entrée et sortie de la zone de pêche) et une expérience de suivi des navires par satellite a été menée en 1996.
Cependant, l'insuffisance des contrôles de certains États et de l'Union européenne -qui ne dispose à cet effet que de 17 inspecteurs- favorise les importations « sauvages : on sait que certains États de l'Union « communautarisent abusivement la pêche d'États-tiers. Alors que les pêcheurs européens sont contrôlés de manière stricte dans les eaux norvégiennes, on constate une absence quasi-générale du contrôle des pêcheurs norvégiens dans les eaux communautaires.
b) Une conjoncture difficile au niveau européen
Des données d'ordre conjoncturel sont venues accentuer les déséquilibres économiques de la pêche européenne.
• La consommation
D'aucuns estiment que, contrairement, à celui d'autres denrées alimentaires, le marché des produits de la mer devrait continuer à s'accroître en raison de l'augmentation de la population, de l'urbanisation croissante, mais surtout de la valeur nutritive et diététique reconnue aux protéines animales d'origine aquatique, le poisson n'étant plus uniquement considéré comme un aliment économique mais comme une nourriture de qualité, une nourriture saine, naturelle et régénérante.
Cependant la récession économique observée en Europe en 1991 a entraîné une diminution de la demande, qui a affecté tout particulièrement les produits alimentaires et conduit les consommateurs à privilégier souvent des produits « bas de gamme (surgelés) au détriment du « haut de gamme (produits frais) beaucoup plus caractéristiques de notre production artisanale.
En 1994 la consommation totale des produits de la mer s'est élevée à 987.000 tonnes en poids net, ce qui donne un niveau de consommation moyen d'environ 18 kg par habitant.
Si la consommation « en frais , si bien ancrée dans nos habitudes alimentaires, doit se maintenir en particulier dans les pays de l'Europe du sud (France, Espagne, Italie ...), les produits surgelés (sous forme de plats cuisinés sous vide) continueront à accroître leur part de marché, en rapport avec le développement du travail féminin et l'essor de la restauration hors-foyer.
Ce dernier facteur a d'autant plus favorisé le mouvement d'importation, que l'on observe, par ailleurs, un accroissement de la « substituabilité des espèces entre elles, alors que la production française, par exemple, tirait avantage au contraire, jusqu'à une période récente, de sa forte diversité.
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Les déséquilibres du
marché
Comme on a d'ailleurs pu le constater pour d'autres produits, le marché est déséquilibré par des débarquements de poissons (tout particulièrement de cabillaud) capturés en grandes quantités, notamment par les flottes des pays de l'ex-URSS (Russie, États baltes), contraintes par leur désorganisation à écouler leur production sur le marché communautaire à des prix de braderie.
Le plus souvent transbordée en mer à bord d'autres navires, cette production est ensuite introduite sur le marché européen à partir des pays de l'Europe du Nord (Islande, Norvège).
Les facteurs internationaux de la crise sont multiples et complexes. Cet ensemble de données de tous ordres explique la gravité de la crise qu'a connue le secteur de la pêche maritime en Europe, tout particulièrement en France.
2. Les facteurs plus spécifiques à la France
Trois séries de raisons spécifiques à la France aggravent les déséquilibres constatés au niveau européen : les uns sont d'ordre économique, les autres d'ordre social et les derniers, et non les moindres, d'ordre financier.
a) Des facteurs économiques
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Le problème des fluctuations
monétaires
Les fluctuations monétaires intervenues ces dernières années au sein de l'Union européenne sont venues aggraver cette situation, induisant une évolution des courants d'échanges qui ont privilégié les pays à monnaie faible par rapport à ceux qui disposent d'une monnaie forte.
La France exporte une part importante (environ le tiers de sa production), notamment vers l'Espagne et l'Italie, marchés très rémunérateurs jusqu'à une période récente. Ces deux marchés très consommateurs et demandeurs de qualité ont été particulièrement rémunérateurs pour la pêche française.
Ceci explique que la compétitivité de notre production ait été très gravement affectée par les dévaluations monétaires intervenues en Espagne et en Italie, tandis que la faiblesse de la livre britannique permettait aux produits de la mer originaires de Grande-Bretagne, notre principal fournisseur, d'accentuer leur pénétration du marché français 5 ( * ) .
La perte estimée du chiffre d'affaires à l'exportation vers l'Espagne, pour la période 1991-1994 a été ainsi de 17 % pour une baisse de prix moyen de 31 %, l'augmentation de certains volumes n'a pas compensé la baisse de prix.
En ce qui concerne le marché italien, et pour la même période, la perte de compétitivité de nos productions s'est traduite non seulement par une diminution du prix moyen de 26 %, mais aussi par une forte réduction des volumes exportés (- 34 %) induisant une baisse importante de notre chiffre d'affaires à l'exportation vers ce pays (- 52 %).
• La dispersion de l'offre des produits de la
pêche
Il existe une réelle hétérogénéité des produits de la mer . Il n'y a pas en effet un marché des produits de la mer mais des marchés : frais, congelé, transformé. Il n'y a pas une production mais des productions réalisées par des « métiers différents, sur des zones différentes, relevant d'entreprises à stratégie et à statut différents. Cette diversité peut représenter une très grande faiblesse pour la mise en oeuvre d'une stratégie de développement par une « politique de commercialisation conquérante (beaucoup de niches à exploiter, mais beaucoup de micro-filières à animer).
Il est apparu, ainsi, que la diversité des espèces produites sur le littoral français et que leur écoulement prioritaire sur le marché en déclin du frais entravaient la rationalisation d'une commercialisation, qui se caractérise déjà par une grande dispersion de l'offre face à une demande de plus en plus concentrée. Cette dispersion de l'offre a pour conséquence de renforcer le pouvoir des acheteurs d'aval.
Les produits de la mer surgelés constituent un exemple symptomatique de la dispersion de l'offre . En effet, dans ce secteur, tous produits confondus -qui se porte bien (+ 4 % en volume en 1994)-, les produits de la mer surgelés « tournent au ralenti (- 3 %). Un élargissement excessif des assortiments chez les distributeurs, en réponse à une demande accrue pour ces produits de service, a contribué, semble-t-il, à un défaut d'identification.
Face à cette diversité de produits proposés (du fait de leur origine, leur saisonnalité, leur qualité ...), le consommateur a parfois l'impression de manquer d'informations.
• Les charges liées au
débarquement
La composition et le niveau des frais de débarquement sont très disparates selon les ports. Une partie des disparités s'explique par le fait que les services rendus à terre peuvent varier d'un port à un autre.
De plus, le poids de ces charges est accru par l'éparpillement des lieux de vente qui se confond parfois avec celui de débarquement.
Les causes de cet éparpillement sont liées à la variabilité de la productivité des structures à terre et au coût important des investissements dans les ports de pêche, en partie dû à la perspective de la mise aux normes européennes.
Il existe, ainsi, 46 criées en France métropolitaine (annexe n° 5), ce qui correspond à quelques unités près au nombre de ports de pêche.
Leur répartition sur le territoire est le fruit de traditions locales, plus que des besoins du marché : on recense ainsi 15 criées en Bretagne, dont 9 dans le Finistère, 8 en Loire-Atlantique-Vendée, 7 en Normandie et 7 en Méditerranée, toutes situées à proximité les unes des autres.
Les dix premières criées, soit le quart, réalisent les deux tiers des apports en valeur. Si l'interconnexion des criées est un progrès réel, les frais de débarquement sont en moyenne élevés et n'ont pas connu de diminution dans la période récente.
Une conséquence directe de cette diversité est la multiplication des ventes hors criée qui atteindraient aujourd'hui environ 40 % de la valeur des débarquements . Ceci aggrave le poids des charges pesant sur les navires qui restent sous criée, créant un phénomène de cercle vicieux.
•
La transformation des modes de
commercialisation
Les modifications observées dans le négoce du fait de la part croissante des grandes et moyennes surfaces (GMS), qui représentent plus de 55 % de la commercialisation du poisson depuis 1995 et continue de croître de 2 % par an, produisent des effets parfois pervers.
Les différentiels de prix entre GMS et circuits traditionnels qui ne cessent de s'accroître, la propension des supermarchés à s'équiper d'un étal de marée en recourant si nécessaire au frais-emballé et un effort d'adaptation des assortiments de la part des grandes surfaces sont les raisons essentielles expliquant cette évolution. Les GMS attachent, certes, de l'importance à la qualité, mais exigent de plus en plus un approvisionnement régulier de produits standardisés au moindre coût. Les grandes enseignes, qui vendent 40 % de leur volume de poisson hebdomadaire le vendredi et le samedi, entendent de plus en plus planifier leurs promotions deux ou trois jours à l'avance et gèrent leurs besoins nationaux via un unique acheteur de centrale.
A la différence des autres produits alimentaires, dont la distribution en pré-emballés a commencé au cours des années 70, le rayon poissonnerie est resté traditionnel (« à la coupe ) en France jusqu'en 1995. L'évolution risque cependant d'être très rapide. La création, il y a deux ans, de trois plates-formes d'approvisionnement de GMS atteste de la part croissante de la grande distribution dans la commercialisation des produits aquatiques.
Ce poids des GMS ne pèse pas seulement sur les producteurs, les industriels de la conserve, de la surgélation et du saurissage doivent eux aussi parfois se plier aux exigences des GMS. Pour mémoire, en vingt ans, les deux tiers des conserveries ont fermé leurs portes.
Le développement de la politique de partenariat entre les producteurs et les GMS, à l'image de ce qui a été pratiqué dans le domaine agricole pour certains produits, est à ce jour encore insuffisant : l'application de la loi du 1 er juillet 1996 sur la loyauté dans les relations commerciales permettra peut-être à terme d'étendre aux pêches maritimes la formule d'un prix minimum d'achat ...
b) Des relations sociales spécifiques
Les règles sociales particulières qui s'appliquent aux relations entre marins ainsi que le mode de rémunération spécifique de « la part , ne sont pas étrangers à la brutalité et à la gravité de la crise des années 1993-1994.
La pêche est un secteur très ancien de l'activité économique qui s'est structurée autour de traditions de métier . Les textes applicables, remontant à 1681, ont été à peine rénovés en 1926 lors de l'élaboration du Code du Travail Maritime. « Culturellement l'activité de pêche est libre, « sans patente depuis Louis XIV. Si les marins de la pêche industrielle sont des salariés d'entreprise, travaillant en mer, il en va différemment dans la pêche artisanale avec une séparation beaucoup plus nuancée entre patron et salarié ; le patron n'est-il pas lui aussi souvent marin avant d'être employeur ?
La rémunération à la part (c'est-à-dire l'allocation au marin à titre de rémunération d'une part en nature du produit pêché puis de la vente du produit) assure le partage des risques et des bénéfices. Que se passe-t-il si la pêche est mauvaise et se vend mal ? Un salaire négatif n'est pas envisageable, un salarié ne pouvant participer aux pertes. Pourtant cela s'est vu en 1993. Ainsi, pendant longtemps, a régné un certain flou sur le statut du salarié à la pêche artisanale, ralentissant ainsi toute possibilité de réelle évolution.
c) Un contexte financier difficile
Des données financières pèsent, par ailleurs, sur la pêche française et aggravent ses fragilités. De nombreux producteurs demeurent fortement endettés ; ils doivent en effet acquitter d'importantes charges d'amortissement pour les navires de pêche récemment modernisés ou plus rarement construits. On peut estimer que ce poids en France des facteurs financiers est alourdi par un certain surinvestissement auquel s'étaient livrés nos producteurs avant la crise.
Cet aspect a été mis en évidence par le rapport d'audit sur la situation financière des navires de pêche artisanale et des organismes d'intervention 6 ( * ) .
La structure financière des entreprises de pêche est gravement déséquilibrée par la faiblesse des fonds propres et la part de l'endettement à court et moyen terme.
La pêche artisanale présente ainsi les caractéristiques d'une industrie lourde et capitalistique qui serait Financée comme une PME artisanale.
EXTRAITS DU RAPPORT D'AUDIT SUR LA PÊCHE ARTISANALE Il s'agit en fait d'une économie d'endettement, qui était supportable tant que des chiffres d'affaires en hausse permettaient de faire face à des charges financières croissantes et qu'un taux d'inflation élevé permettait d'effacer une partie de la dette, mais qui s'est avérée très rapidement inadaptée à une évolution inverse et durable. Le niveau des frais financiers et des amortissements a excédé très rapidement la capacité de remboursement générée par l'exploitation, ce qui a eu pour conséquence, en l'absence de réserves et de véritables fonds propres, un endettement supplémentaire à court terme onéreux, ainsi que des découverts bancaires, destinés à couvrir des résultats d'activité. Cet endettement n'a fait que reporter et amplifier les difficultés, même si les difficultés immédiates ont pu être provisoirement masquées en trésorerie. On constate de plus, l'inadaptation du cadre financier et comptable et la faiblesse des capacités de gestion à favoriser un financement inadéquat. Les défauts du cadre comptable, découlant du statut d'entreprise individuelle, marqué par la confusion des caisses et des patrimoines, sont multiples et expliquent en partie la dégradation des ratios financiers : absence d'obligation de constituer des réserves durant les bonnes années, contrairement au statut de société, confusion des caisses et possibilités d'effectuer des prélèvements sur le compte de l'exploitant, en sus de la rémunération du patron (la part), ce qui explique en partie la faiblesse des fonds propres, notion qui elle-même a peu de signification pour une profession qui raisonne avant tout en trésorerie. L'inconvénient de ce cadre est d'autant plus fort, que le patron pêcheur est avant tout un professionnel de la mer, qui privilégie la qualité technique de l'outil ainsi que l'investissement à bord par rapport à la constitution d'une réserve financière de précaution. Cela pose bien évidemment le problème de la qualité des conseils en gestion dont bénéficient à terre les patrons pêcheurs mais aussi de la capacité de ces conseils à être entendus, ce qui renvoie au comportement individuel du patron pêcheur. |
Enfin, le rapport a constaté des facteurs aggravants pour les bateaux acquis entre 1988 et 1991. En effet, les armements acquis durant cette période ont supporté des surcoûts ayant gravement déséquilibré les plans de financement et qui expliquent qu'aujourd'hui beaucoup d'entre eux soient dans une situation difficile. Ces surcoûts ont été dus notamment à l'instauration de septembre 1998 à mars 1991 d'un permis de mise en exploitation, au recours à des prêts à taux de marché et à l'inflation du coût de la construction.
* 1 Avis n° 79 (1995-1996) Tome II-Pêche, présenté par M. Josselin de Rohan au nom de la commission des Affaires économiques et du plan sur le projet de loi de finances pour 1996.
* 2 Un glossaire des termes techniques figure à l'annexe n° 8 du rapport
* 3 Revue « POUR », édité par le Groupe de recherche pour l'éducation et la prospective n° 149-150 - 1996 « Les pêches maritimes françaises : bilan et perspectives ».
* 4 Entré en vigueur en 1990, le Système de préférences généralisées « Drogue » accorde aux pays andins et d'Amérique centrale des réductions tarifaires pour leurs importations sous condition de la poursuite d'efforts de ces États dans la lutte contre la drogue.
* 5 Avis n° 2275 (1995/1996) Pêche. Tome II, présenté par M. Aimé Kergueris au nom de la Commission de la Production et des Échanges sur le projet de loi de finances pour 1996.
* 6 Rapport d'audit établi par MM. Bruno Mettling, Pierre Henaff, Jean-Pierre Menanteau et Mlle Anne Mingasson -février 1995.