EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le jeudi 12 décembre 1996, sous la présidence de M. Christian Poncelet, président, la commission a tout d'abord procédé, sur le rapport de M. Michel Mercier, rapporteur, à l'examen du projet de loi n° 126 (1996 -1997) relatif à la zone franche de Corse.
M. Michel Mercier, rapporteur, a rappelé que le projet de loi relatif a la zone franche de Corse avait été annoncé par le Premier ministre au cours de son voyage dans l'île le 17 juillet dernier. Il a précisé que ce texte créait un triple dispositif d'exonérations de l'impôt sur les bénéfices, de la taxe professionnelle et de charges sociales au profit des entreprises situées en Corse.
A titre liminaire, le rapporteur a souhaité retracer l'évolution économique récente de la Corse et rappeler les grandes lignes des aides existantes en faveur de l'île. Il a ainsi souligné le poids de l'éloignement insulaire et les difficultés du relief, qui expliquent une répartition des activités dominée par le commerce et la fonction publique : le tertiaire représente, en effet, les trois-quarts des effectifs et de la valeur ajoutée, cependant que le tourisme apporte, grâce à une capacité d'accueil de 380.000 personnes, 15 % du produit intérieur brut régional.
Le rapporteur a ajouté que l'étroitesse du marché, les aléas des faisons avec le continent et de la saison touristique conditionnaient enfin largement la taille des entreprises, 95 % d'entre elles comptant moins de 10 salariés.
M. Michel Mercier, rapporteur, a ensuite souligné l'endettement élevé des entreprises corses, précisant que, selon une étude récente de la Banque de France, la proportion des structures en bonne santé était deux fois Plus faible que la moyenne nationale et que les entreprises en situation Préoccupante étaient presque deux fois plus nombreuses en Corse que sur le continent. Il a également fait observer le poids des arriérés au titre des cotisations sociales dues par les entreprises.
Le rapporteur a indiqué que cette situation, aggravée par le caractère décevant des deux dernières saisons touristiques, avait entraîné un nouveau moratoire des dettes fiscales et sociales.
Puis il a complété son exposé par une analyse des instruments spécifiques dont dispose la Corse pour faire face à cette situation structurellement difficile.
Il a estimé que, plutôt que d'un statut fiscal spécifique, la Corse bénéficiait d'une juxtaposition historique de mesures favorables. Il a précisé qu'un premier train de mesures, remontant au Consulat et au Premier Empire, concernait les droits de succession et les prélèvements indirects.
Il a ajouté qu'un deuxième ensemble, plus moderne, de mesures fiscales avait été adopté à partir de 1988, afin de réduire le retard de développement économique, avec notamment la mise en place des dispositions d'exonération d'impôt sur les sociétés pour les entreprises nouvelles, puis pour les activités nouvelles développées en Corse.
Le rapporteur a rappelé qu'enfin la loi du 27 décembre 1994 avait institué une exonération des parts régionale et départementale de la taxe professionnelle, un abattement de 25 % sur les bases de la part communale ainsi qu'une exonération totale de la taxe foncière sur les propriétés bâties à usage agricole.
Il a révélé que le coût total de ces mesures dérogatoires était de l'ordre de 700 millions de francs.
M. Michel Mercier, rapporteur, a souligné le fait qu'en outre la collectivité territoriale de Corse disposait de compétences spécifiques en matière d'équipement et d'aménagement du territoire et que la Corse était classée, comme la plupart des îles de la Méditerranée, en zone d'objectif numéro 1 pour la programmation des aides communautaires.
Indiquant que le total des moyens prévus au titre du plan de développement quinquennal actuellement en cours atteignait 4,5 milliards de francs, dont 500 millions de francs versés par l'État, le rapporteur a estimé que l'argent public ne manquait pas en Corse.
Puis, il a analysé les conditions dans lesquelles avait été conçu le projet de zone franche pour la Corse. Il a révélé que la commission de Bruxelles avait opposé un refus aux demandes d'adoption d'un programme européen d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI), qui aurait permis l'application de mesures dérogatoires telles que le relèvement des aides aux entreprises, à l'agriculture et à la pêche. Le choix a donc été fait de la zone franche, après avis favorable donné par la commission au mois d'octobre.
M. Michel Mercier, rapporteur, avant de décrire le contenu du projet de loi, a souligné que sa complexité provenait des diverses contraintes imposées par la commission de Bruxelles afin de rendre la zone franche de Corse compatible avec les dispositions du Traité de Rome relatives à la concurrence intra-communautaire.
Puis, il a indiqué que, dans le projet de loi initialement déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale, les exonérations fiscales, d'une durée de 5 ans, concernaient en principe les entreprises relevant de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés qui exercent ou créent une activité industrielle, commerciale ou artisanale au sens de l'article 34 du code général des impôts, ou agricole au sens de l'article 63 du même code.
Il a précisé que, toutefois, les secteurs d'activité concernés, ainsi que les taux d'exonération, étaient modulés selon le type de régime dont relevait l'entreprise : celui des créations et extensions d'activités, celui des activités existantes ou celui des entreprises en difficulté. Il a ajouté qu'en outre certaines activités industrielles, commerciales ou artisanales étaient totalement exclues du dispositif de la zone franche, en particulier la pêche.
Décrivant le contenu des débats à l'Assemblée nationale, M. Michel Mercier, rapporteur, a indiqué que celle-ci avait obtenu du Gouvernement que le dispositif d'exonération prévu pour la zone franche de Corse s'applique cependant aux pêcheurs pour les cotisations patronales. Par ailleurs, un accord est intervenu le 10 décembre dernier avec la collectivité territoriale de Corse, qui prendra en charge la moitié des cotisations personnelles sur 5 ans.
Le rapporteur a également précisé que l'Assemblée nationale avait étendu le bénéfice de l'exonération d'impôt sur les bénéfices et de charges sociales aux activités libérales lorsque celles-ci sont exercées dans le cadre d'une société soumise à l'impôt sur les sociétés dont l'effectif est égal ou supérieur à 3 salariés. L'exonération continue toutefois de ne pas s'appliquer aux contribuables soumis à l'impôt sur le revenu au titre de leurs bénéfices non commerciaux ainsi qu'à ceux dont le nombre de salariés est inférieur à trois.
M. Michel Mercier, rapporteur, a fait observer que, par suite d'un oubli, l'exonération des activités donnant lieu à des bénéfices non commerciaux n'était cependant pas prévue en matière de taxe professionnelle.
Il a, enfin, précisé que l'Assemblée nationale avait réintégré, dans le champ des activités exonérées au titre de la zone franche, la gestion ou la location d'immeubles pour les entreprises implantées en Corse dont les Prestations portent exclusivement sur des biens situés en Corse. Ces activités constituaient en effet, dans le projet de loi initial du Gouvernement, une exception au principe d'exonération des bénéfices industriels et commerciaux.
En conclusion de son propos, le rapporteur a estimé que le projet de loi relatif à la zone franche de Corse pouvait, en dépit de sa complexité, donner une "bouffée d'oxygène" à l'île, à la condition toutefois que sa mise en oeuvre soit précédée d'un retour à la paix civile.
Après une demande de précision de M. Jacques-Richard Delong, M. Michel Charasse a indiqué d'emblée qu'il déposerait une question préalable, pour des motifs de principe, sur ce projet de loi.
Il a, tout d'abord, estimé que la Corse était "gavée" d'argent public, puisqu'elle percevait, à titre de subvention, 4,3 milliards de francs annuels, soit 18.000 francs par habitant et par an. La Corse apparaît ainsi comme la région la plus aidée de France pour un effet économique nul, puisqu'aucune entreprise ne veut s'y installer. Il a ainsi fait valoir que le problème de l'île n'était pas tant celui des ressources financières que celui du rétablissement de l'ordre public.
M. Michel Charasse a exprimé la crainte qu'en effet le mécanisme de zone franche prévu par le projet de loi ne soit en définitive qu'un moyen supplémentaire offert au milieu "mafieux" local pour des opérations de "blanchiment de l'argent sale". Il a suggéré qu'en conséquence l'instauration d'une zone franche soit au moins assortie d'une clause prévoyant qu'elle n'interviendrait qu'à compter du rétablissement de la paix civile.
En conclusion de son propos, M. Michel Charasse, fustigeant les complaisances de l'État et de certaines grandes entreprises publiques à l'égard des nationalistes, a rappelé que le coût des attentats intervenus en Corse avait atteint 617 millions de francs en 1995 et il a proposé qu'un préciput soit effectué à due concurrence de ce montant sur les subventions versées par l'État à l'île.
M. Roland du Luart, après avoir exprimé son identité de vue avec M. Michel Charasse, a affirmé qu'il était plus que réservé sur le principe de l'adoption d'une loi qu'il a qualifiée de "texte de circonstance".
Indiquant qu'il voterait, à titre personnel, la question préalable proposée par M. Michel Charasse, il a jugé à son tour que la priorité était en Corse le rétablissement préalable de l'état de droit.
M. Jacques Oudin a souhaité, en premier lieu, que le rapport de la commission se fasse l'écho des travaux effectués au cours de ces dernières années à la demande du Gouvernement, d'une part par M. Michel Prada, mais également par lui-même, sur la situation institutionnelle, économique et financière de la Corse.
Il a, en deuxième lieu, souligné le suréquipement dont bénéficie la Corse avec 6 ports à touchées internationales et 4 aéroports internationaux Pour 246.000 habitants.
Il a demandé, en troisième lieu, que le rapporteur fasse état des données budgétaires qui prouvent que la collectivité territoriale de Corse est celle qui reçoit le montant le plus élevé d'aides en France métropolitaine, devant la région Limousin, alors que l'analyse de l'épargne et de la consommation des ménages corses ainsi que le taux de chômage montrent que ces derniers ne sont pas moins bien pourvus que les ménages de certains départements du continent.
Rappelant, en quatrième lieu, que les Corses n'avaient pas eux-mêmes réclamé l'enveloppe de 350 millions de francs d'exonération de taxe professionnelle adoptée en 1994, M. Jacques Oudin a estimé que l'île recevait un montant trop élevé d'aides financières et que cette situation, qui avait fini par tuer l'esprit d'entreprise, nuisait à son développement économique.
Réclamant, en conclusion, le retour préalable à la paix civile ainsi qu'une analyse fine de l'impact des aides aujourd'hui apportées à la Corse, il a précisé qu'il ne pourrait voter le projet de loi relatif à la zone franche que par solidarité avec l'action du Gouvernement.
M. Jean Cluzel, comparant l'État français au Royaume de Bourges pendant la Guerre de Cent ans, a déploré la remise en cause incessante de son autorité, notamment en Corse.
Il a souhaité que la discussion du projet de loi relatif à la zone franche de Corse soit l'occasion de lancer, en séance publique, un appel fort en direction du Gouvernement pour que soient prises en compte les opinions émises par ses trois collègues. Il s'est, à son tour, demandé si le rapporteur ne pouvait pas proposer un amendement assujettissant la mise en oeuvre de la zone franche de Corse à une clause de retour préalable à l'état de droit dans l'île.
M. Jacques-Richard Delong a indiqué qu'il voterait le projet de loi Par devoir, mais contre sa conscience.
En réponse aux différents intervenants, M. Michel Mercier, rapporteur, a tenu à souligner que l'ensemble des élus corses qu'il avait auditionnés reconnaissaient le poids de l'engagement financier de l'État à l'égard de la Corse. Il a noté que l'examen du projet de loi relatif à la zone franche de Corse vaudrait finalement moins par le contenu de ce texte que par les débats qui l'entoureront. Prenant cependant la défense du projet du Gouvernement, il a relevé l'importance des handicaps affectant l'économie corse, qui justifient la mise en oeuvre d'un statut fiscal largement dérogatoire.
Il a, enfin, à son tour plaidé pour un renforcement de la présence de l'État en Corse, estimant que la discussion du projet de loi serait l'occasion de rappeler cette exigence.
Indiquant qu'il n'était pas d'usage que la commission examine, lors de la première séance consacrée à l'examen d'un projet de loi, des amendements autres que ceux proposés par le rapporteur, M. Christian Poncelet, président, a cependant consenti à ce qu'à titre dérogatoire les commissaires se prononcent sur le principe de l'examen de la question préalable déposée par M. Michel Charasse.
Souhaitant expliquer son vote sur la question préalable, M. Michel Charasse a indiqué aux commissaires que son attitude était justifiée par l'annonce faite, au travers d'un communiqué, la veille, par le Front de libération nationale de la Corse (FLNC) d'une reprise des attentats tant sur l'île que sur le continent. Il a estimé qu'en conséquence, l'ajournement des travaux de la commission sur le projet de loi était une question de dignité et permettrait de signifier son refus de légiférer sous la menace.
Réitérant son soutien au principe de la question préalable, M. Roland du Luart s'est étonné de l'inégalité de traitement entre l'outre-mer et la Corse, cette dernière bénéficiant d'un montant de ressources transférées par habitant nettement supérieur à celui des départements et territoires d'outre-mer.
M. Christian Poncelet, président, rappelant que le principe de la zone franche était déjà mis en oeuvre sur certaines portions du territoire national et pas seulement en Corse, a fait valoir, à l'inverse, qu'un ajournement des travaux de la commission sur le projet de loi aurait pour effet d'accorder au Front de libération nationale de la Corse une importance excessive.
M. Jacques Oudin a apporté son soutien à la démarche du président Poncelet, souhaitant toutefois que la discussion du projet de loi relatif à la zone franche de Corse soit l'occasion de débattre de la situation prévalant sur l'île. Manifestant à nouveau son souhait que le rapport de la commission soit le lieu d'une analyse précise des transferts financiers opérés au profit de la Corse, il a répété que la priorité n'était pas aujourd'hui dans l'accroissement de ces transferts mais dans le rétablissement de la paix civile.
M. Christian Poncelet, président, a alors souligné le fait que la persistance des désordres sur l'île n'était pas un phénomène récent et que la discussion de ce texte pouvait être l'occasion pour le Parlement de rappeler le Gouvernement à ses devoirs en ce domaine. Il a, en conséquence, une nouvelle fois plaidé pour que la discussion du projet de loi relatif à la zone franche de Corse ne soit pas différée.
M. Jacques-Richard Delong a abondé dans le sens des déclarations de MM. Christian Poncelet, président, et Jacques Oudin, faisant valoir qu'il était choquant de laisser un "mouvement de bandits" influer sur les délibérations des Assemblées parlementaires.
M. Yann Gaillard, tout en manifestant de la compréhension sur le fond de l'intervention de M. Michel Charasse, a, à son tour, souligné le manque de réalisme de sa question préalable.
Il s'est déclaré en revanche favorable à l'inclusion dans le projet de loi d'une clause renvoyant la mise en oeuvre de la zone franche au retour de la paix civile.
La commission a, dans le cadre d'un premier vote, décidé d'examiner la question préalable déposée par M. Michel Charasse.
Au cours d'un second vote, elle a rejeté cette question préalable.
Puis, la commission a procédé à l'examen des amendements présentés par son rapporteur.
A l'article premier (exonération d'impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux et sur les bénéfices agricoles), la commission a adopté onze amendements de portée rédactionnelle. Elle a également adopté un amendement tendant à aligner le régime de la zone franche de Corse sur celui des zones franches urbaines, en rendant éligibles à l'exonération d'impôt sur les bénéfices les sociétés membres d'un groupe fiscal.
Puis, elle a adopté l'article premier ainsi modifié.
Elle a adopté sans modification l'article premier bis (exonération de l'imposition forfaitaire annuelle dans la zone franche de Corse).
A l'article 2 (exonération de taxe professionnelle), la commission a adopté douze amendements rédactionnels, de précision ou rectifiant des erreurs matérielles.
Elle a, en outre, adopté un amendement étendant l'exonération de taxe professionnelle à l'ensemble des contribuables relevant du régime des bénéfices non commerciaux, y compris ceux acquittant l'impôt sur le revenu dès lors qu'ils emploient 3 salariés au moins.
Puis, elle a adopté l' article 2 ainsi modifié.
A l'article 3 (allégement des cotisations sociales patronales pour les bas salaires), la commission a adopté treize amendements de portée rédactionnelle, de précision ou rectifiant des erreurs matérielles.
Elle a également adopté un amendement similaire, à celui adopté à l'article 2, étendant le bénéfice et la réduction des cotisations sociales à toutes les entreprises d'exercice libéral employant au moins 3 salariés, qu'elles soient soumises à l'impôt sur les sociétés ou à l'impôt sur le revenu.
Elle a adopté l'article 3 ainsi modifié.
Elle a enfin adopté à l 'article 4 (bilan intermédiaire d'application de la loi), un amendement dont l'objet est de prévoir que le bilan intermédiaire d'application de la loi relative à la zone franche de Corse sera déposé devant le Parlement.
La commission a alors approuvé le projet de loi ainsi modifié.